Cet article est extrait du livre Sous nos yeux.
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Malgré 40 000 hommes engagés, les Frères musulmans ne parviennent pas à prendre la capitale syrienne. Loin d’accueillir des « libérateurs », la population résiste et l’opération est un échec.

11— LE « PRINTEMPS ARABE » EN SYRIE

Dès le 4 février 2011, date d’ouverture de la réunion du Caire, la coordination du «  Printemps arabe  » en Syrie est assurée par le compte Facebook Syrian Revolution 2011. L’énoncé suffit à comprendre que l’opération devrait renverser rapidement la République arabe syrienne, comme cela a été le cas des autres «  révolutions colorées  » puisque l’objectif n’est pas de changer les mentalités, mais uniquement les équipes dirigeantes et quelques lois du pays. Le jour même de sa création, Syrian Revolution 2011 lance un appel à manifester à Damas qui est relayé par Al-Jazeera, tandis que Facebook lui affiche des dizaines de milliers de «  Followers  ». Magie de l’informatique. Ce compte jouera un rôle central durant les cinq années à venir. Il dédiera chaque vendredi, jour de prière des musulmans, à un objectif des Frères.

Le député haririste Okab Sakr

Le 22 février, John McCain est au Liban. Il rencontre divers leaders de la Coalition pro-saoudienne du 14-Mars, dont le député Okab Sakr, auquel il confie l’acheminent d’armes vers des islamistes qui les attendent en Syrie [1]. Puis, il quitte Beyrouth et va explorer la frontière syrienne. Il choisit le village d’Ersal comme future base des opérations.

Malgré les appels du mystérieux compte Syrian Revolution 2011, il faut attendre la mi-mars pour que les événements débutent en Syrie. Les Frères regroupent à Deraa, une ville du Sud réputée très baasiste, d’anciens jihadistes d’Afghanistan et d’Irak. Ils détournent une manifestation de fonctionnaires qui réclamaient une augmentation de leurs traitements et débutent le saccage du Palais de Justice. Le jour même, encadrés par des officiers du Mossad, ils attaquent un centre des services secrets, situé à l’extérieur de la ville, et exclusivement utilisé pour surveiller l’activité israélienne dans le Golan occupé.

Rendant compte de l’événement, Al-Jazeera assure que les habitants de Deraa protestent après que la police a torturé des enfants qui avaient tagué des slogans hostiles au président Assad. La confusion règne tandis que les casseurs poursuivent la destruction du centre-ville. Durant les semaines suivantes, trois groupes d’islamistes se déplacent dans le pays, attaquant des cibles secondaires, mal défendues. L’impression de troubles se généralise dans tout le pays, bien qu’ils ne touchent que trois endroits distincts à la fois. En quelques semaines, on dénombre plus de 100 morts, principalement des policiers et des militaires.

Le président Assad réagit à l’inverse de ce que l’on attend de lui  : loin d’imposer un Patriot Act local, il abroge l’état d’urgence qui était toujours en vigueur — la Syrie est en guerre contre Israël qui occupe le plateau du Golan — et dissout la Cour de sûreté de l’État. Il fait voter une loi garantissant et organisant le droit de manifestation, dénonce une opération conduite depuis l’étranger et appelle le Peuple à soutenir les Institutions. Il réunit les chefs d’état-major et interdit que les soldats fassent usage de leurs armes s’il existe un risque de tuer collatéralement des civils.

Le Guide des Frères musulmans syriens, Ali Sadreddine al-Bayanouni (réfugié à Londres), fait alliance avec l’ancien vice-président syrien Abdel Halim Khaddam (réfugié à Paris). Ce dernier s’était enfui de son pays lorsqu’on avait découvert la manière dont il couvrait, avec le chef des services de Renseignement Ghazi Kanaan, le pillage du Liban par le saoudien Rafic Hariri.

Prenant le président au mot, les Frères attaquent un convoi militaire à Banias (la ville de l’ancien vice-président Abdel Halim Khaddam) durant plusieurs heures, sous les yeux de la population. De crainte de blesser des civils, les soldats obéissant à leur président ne font pas usage de leurs armes. Une dizaine d’entre eux sont tués. Le sergent qui commande le détachement perd ses deux jambes en étouffant de son corps une grenade pour qu’elle ne tue pas ses hommes. L’opération est organisée depuis Paris par le Front du salut de Khaddam et des Frères musulmans. Le 6 juin, ce sont 120 policiers qui sont tués dans une situation identique à Jisr Al-Choughour.

Des rassemblements hostiles à la République arabe syrienne se tiennent dans plusieurs villes. Contrairement à l’image que répercutent les médias occidentaux, jamais les manifestants ne réclament la démocratie. Les slogans les plus scandés sont  : «  Le Peuple veut la chute du régime  », «  Les chrétiens à Beyrouth, les alaouites au tombeau  », «  Nous voulons un président qui craigne Dieu  », «  À bas l’Iran et le Hezbollah  ». Plusieurs autres slogans évoquent la «  liberté  », mais pas au sens occidental. Les manifestants réclament la liberté de pratiquer la charia.

À ce moment-là, les gens ne considèrent comme source d’information fiable qu’Al-Jazeera et Al-Arabiya qui ont soutenu les changements de régime en Tunisie et en Égypte. Ils sont donc persuadés qu’en Syrie aussi, le président va abdiquer et les Frères musulmans vont arriver au pouvoir. La grande majorité des Syriens assiste à ce qu’elle croit être une «  révolution  » et se prépare à un virage islamiste. Il est très difficile de chiffrer le nombre de Syriens qui s’opposent à la République ou qui soutiennent les Frères musulmans. Tout au plus peut-on constater que des centaines de petites manifestations se déroulent dans le pays et que la plus importante a rassemblé près de 100 000 personnes à Hama. Ses organisateurs sont reçus par le président Assad à Damas. Lorsqu’il leur demande quelles sont leurs revendications, ils lui répondent «  l’interdiction d’accès des alaouites à Hama  ». Stupéfait, le président — lui-même alaouite — met fin à l’entretien.

Le 4 juillet à Paris, les Frères et le gouvernement israélien organisent en sous-main une réunion publique pour enrôler la classe dirigeante française. Répondant à l’appel du «  philosophe  » Bernard-Henri Lévy et des ancien et futur ministres des Affaires étrangères, Bernard Kouchner et Laurent Fabius, des élus de droite, du centre, de gauche et des écologistes apportent leur soutien à ce qui leur est présenté comme un combat pour la démocratie. Nul ne remarque dans la salle la présence des vrais organisateurs  : Alex Goldfarb (conseiller du ministre israélien de la Défense) et Melhem Droubi (responsable mondial des relations extérieures de la Confrérie, venu spécialement d’Arabie saoudite).

Burhan Ghalioun quitte la Syrie à 24 ans et poursuit une carrière d’universitaire à Paris. Parallèlement, avec l’aide de la NED, il créé l’Organisation arabe des droits de l’homme, en 1983 en Tunisie. Lorsque l’Algérien Abassa Madani (du Front islamique du salut) part en exil au Qatar, ce laïque l’aide à écrire ses discours. En juin 2011, il participe à la Conférence pour le Salut National des Frères musulmans et, sur proposition des États-Unis, est élu le mois suivant à la présidence du Conseil National Syrien (CNS). Dès lors, il touche un salaire du département d’État pour « représenter le Peuple syrien ».

En août, un Conseil national syrien est constitué à Istanbul sur le modèle du Conseil national de transition libyen. Il rassemble des personnalités vivant depuis des années hors de Syrie, quelques-uns ayant juste quitté le pays, et des Frères musulmans. L’étrange idée que ce groupe cherche à établir une «  démocratie  » semble être validée par la présence de personnalités d’extrême gauche, comme le professeur Burhan Ghalioun qui en est propulsé président. Or, voici des années qu’il travaille avec la NED et les Frères musulmans. Bien qu’il soit laïc, il écrit notamment les discours d’Abassi Madani (le président du Front islamique du salut algérien) depuis qu’il s’est exilé au Qatar. C’est également le cas de George Sabra et Michel Kilo, qui travaillent quant à eux avec les Frères depuis plus de trente ans et qui ont suivi les trotskistes états-uniens à la NED, en 1982. Sous la direction du Libyen Mahmoud Jibril, Sabra a notamment travaillé aux versions étrangères du programme pour enfants Rue Sésame, produites par le français Lagardère Média et par la qatarie Al-Jazeera, avec Cheryl Benard, l’épouse de l’ambassadeur US à l’Onu puis en Irak, Zalmay Khalilzad. Ou encore Haytham Manna, le gestionnaire des placements des Frères soudanais.

Le Qatar achète à l’OLP la présidence tournante annuelle de la Ligue arabe pour 400 millions de dollars. En violation des statuts, il fait alors suspendre la République arabe syrienne, pourtant membre fondateur de l’organisation. Puis, il propose une mission d’observation sur place présidée par le Soudan (toujours gouverné par les Frères). Celui-ci désigne l’ancien chef des services secrets et ancien ambassadeur au Qatar, le général Mohammed Ahmed Mustafa Al-Dabi, pour diriger les travaux. Chaque État membre envoie des observateurs de manière à représenter toutes les tendances. La République arabe syrienne accepte de recevoir la Ligue et laisse la mission se déployer sur tout son territoire. C’est la première et unique fois qu’un organe pluraliste se rend sur le terrain, rencontre tous les acteurs, et visite la totalité du pays. C’est en réalité la seule source extérieure digne de foi durant tout le conflit.

La nomination du général Al-Dabi est saluée unanimement par toutes les parties. L’homme a négocié la séparation du Soudan et du Soudan du Sud et est proposé par de nombreux États arabes pour le Prix Nobel de la Paix. Cependant, il apparaît à la lecture des rapports préliminaires que le Soudanais n’entend pas écrire de rapport sur mesure, mais conduire une authentique observation pluraliste. Brusquement, les médias internationaux changent de ton et l’accusent d’avoir été un génocidaire au Darfour. Tous ceux qui avaient approuvé sa désignation exigent sa démission. Le général se cabre.
En définitive, un rapport d’étape est publié attestant qu’il n’y a pas de révolution en Syrie. La mission confirme que les violences ont été considérablement exagérées, que l’armée s’est retirée des villes, qu’il n’y a pas de répression, que les victimes sont principalement des soldats et des policiers, que plus de 5 000 détenus dont elle a transmis le nom aux autorités ont été libérés, et que les médias étrangers qui en ont fait la demande ont pu couvrir les événements.
Le Qatar voit rouge et verse 2 milliards de dollars au Soudan pour qu’il rappelle le général Al-Dabi. Il s’oppose à ce que la Ligue lui désigne un successeur. Privée de chef, la mission est dissoute début 2012.

Le jeune Abou Saleh devient correspondant permanent de France 24 et d’Al-Jazeera dans l’Émirat islamique de Baba Amr (Homs). Il met en scène le bombardement imaginaire du quartier durant deux mois par les « forces du régime », participe à la condamnation à mort de 150 habitants du quartier, s’adresse mourant à ses spectateurs (photo), puis soudain valide met le feu à un pipe-line, etc. Il fuit à Paris lorsque l’Émirat tombera et réapparaîtra ultérieurement à Idleb.

Furieux de voir la République arabe syrienne s’en tirer, les Frères décident de créer un Émirat islamique. Après plusieurs tentatives, ce sera dans un quartier neuf de Homs, Baba Amr, où des tunnels ont été préalablement creusés et aménagés pour assurer l’approvisionnement en cas de siège. 3 000 combattants s’y rassemblent, dont 2 000 takfiristes syriens. Ce sont les membres d’un sous-groupe de la Confrérie, «  Excommunication et immigration  », créé sous Sadate.

Ils constituent un «  Tribunal révolutionnaire  », jugent et condamnent à mort plus de 150 habitants du quartier qui sont égorgés en public. Les habitants fuient, à l’exception d’une quarantaine de famille. Les takfiristes dressent des barrages à tous les accès au quartier que les Forces spéciales françaises arment lourdement. La campagne terroriste de la première année fait place à une guerre de position, conformément au plan exposé en 2004 dans La Gestion de la barbarie. Désormais, les islamistes reçoivent de l’Otan un armement plus sophistiqué que celui dont dispose l’armée arabe syrienne, sous embargo depuis 2005.

Un matin, l’armée arabe syrienne entre dans Baba Amr dont les défenses ont été désactivées. Les Français, les journalistes et quelques leaders se sont enfuis et réapparaissent quelques jours plus tard au Liban. Les takfiristes se rendent. La guerre qui débutait semble toucher à sa fin, comme au Liban en 2007, lors de la victoire de l’armée libanaise sur le Fatah Al-Islam. Mais les islamistes n’en ont pas fini.

Une nouvelle opération se prépare depuis la Jordanie, sous commandement Otan. Elle prévoit l’attaque de Damas dans le contexte d’une gigantesque opération psychologique. Mais elle est annulée au dernier moment. Les islamistes qui ont été abandonnés par la France à Baba Amr, viennent d’être décommandés par les États-Unis. Ces derniers discutent d’un possible partage du Moyen-Orient avec la Russie. Une promesse de paix est signée à Genève, le 30 juin 2012.

12— LA FIN DU « PRINTEMPS ARABE » EN ÉGYPTE

En Égypte, la nouvelle assemblée est dominée par les Frères. Elle considère que la nouvelle Constitution — qui a été rédigée pour permettre son élection —, ne fait que reprendre un texte ancien en l’amendant légèrement, bien qu’elle ait été approuvée à 77 % par referendum. Elle désigne donc une Assemblée constituante de 100 membres, dont cette fois 60 sont des Frères.

Dès le président Moubarak contraint par Washington à démissionner, le cheik Youssef Al-Qaradâwî revient du Qatar dans son pays en avion privé. Administrateur du Centre d’Oxford pour les études islamiques, présidé par le prince Charles, et conseiller spirituel d’Al-Jazeera, il anime une émission hebdomadaire sur la charia. Sur la place Tahrir, il vient rejeter la démocratie et prôner l’exécution des homosexuels.

Les Frères soulignent que les jeunes démocrates pourraient remettre en cause le pouvoir de l’armée. Leur campagne pour l’élection présidentielle est l’occasion d’appeler à la régénération du pays par le Coran. Youssef Al-Qaradâwî prêche qu’il est plus important de lutter contre les homosexuels et de retrouver la Foi que de se battre contre Israël pour la reconnaissance des droits du Peuple palestinien [2]. Alors que l’abstention des sunnites est massive, la Confrérie empêche la tenue du scrutin dans les villes et villages chrétiens, de sorte que 600 000 électeurs ne peuvent voter.

La Commission électorale présidentielle « confirme Mohamed Morsi président de l’Égypte, de manière à prévenir une destin sanglant au pays si [elle proclamait] l’élection du général Ahmed Shafiq ».

Cependant, les résultats des urnes donnent le général Ahmed Chafik, ancien Premier ministre de Moubarak, vainqueur avec une légère avance de 30 000 voix. La Confrérie menace alors les membres de la Commission électorale et leurs familles, jusqu’à ce que celle-ci se décide, au bout de 13 jours, à proclamer la victoire du Frère Mohamed Morsi [3]. Fermant les yeux, la «  communauté internationale  » se félicite du caractère « démocratique » de la consultation.

Conférence de presse au siège des Frères musulmans avec le Guide mondial de la Confrérie et le président Mohamed Morsi.

Mohamed Morsi est un ingénieur de la NASA. Il a la nationalité états-unienne et dispose de l’habilitation secret-Défense du Pentagone. Dès son arrivée au pouvoir, il entreprend de réhabiliter et de favoriser son clan, et de renforcer les liens avec Israël. Il reçoit au palais présidentiel les assassins du président Sadate pour l’anniversaire de son exécution. Il nomme Adel Mohammed al-Khayat, l’un des chefs des Gamaa Al-Islamiya, (le groupe responsable du massacre de Louxor en 1997), gouverneur de ce district. Il persécute les démocrates qui avaient manifesté contre certains aspects de la politique d’Hosni Moubarak (mais pas pour sa démission). Il soutient une vaste campagne de pogroms des Frères musulmans contre les chrétiens, et couvre leurs exactions  : lynchages, saccage des archevêchés, incendie des églises. Simultanément, il privatise les grandes entreprises et annonce la possible vente du Canal de Suez au Qatar, qui parraine alors la Confrérie. Depuis le palais présidentiel, il joint au moins quatre fois par téléphone Ayman Al-Zawahiri, le chef mondial d’Al-Qaïda.
En définitive, il fait l’unanimité contre lui. Tous les partis politiques, y compris les salafistes (sauf bien sûr la Confrérie) manifestent contre lui. Ils sont 33 millions à descendre dans les rues et à appeler l’armée à rendre le pays au Peuple. Insensible à la rue, le président Morsi ordonne aux militaires de se préparer à attaquer la République arabe syrienne pour venir en aide aux Frères musulmans syriens. Ce sera la décision de trop.

Le 3 juillet 2013, à l’heure de fermeture des bureaux à Washington pour le long week-end de la fête nationale, l’armée réalise un coup d’État. Mohamed Morsi est emprisonné, tandis que les rues se transforment en champ de bataille entre les Frères et leurs familles d’un côté, les forces de l’ordre de l’autre.

13— LA GUERRE CONTRE LA SYRIE

«  En politique, les promesses n’engagent que ceux qui y croient  », dit-on. Un mois après la conférence de Genève  et la signature de la paix, et quelques jours après la Conférence des «  Amis de la Syrie  » à Paris, la guerre est à nouveau autorisée. Il ne s’agira pas d’une action de l’Otan assisté par ses supplétifs jihadistes, mais uniquement d’une attaque jihadiste, assistée par l’Otan. Son nom de code  : «  Volcan de Damas et séisme en Syrie  »

40 000 hommes sommairement formés en Jordanie franchissent la frontière et se ruent vers la capitale syrienne, tandis qu’un attentat tue les participants à une réunion du Conseil national de sécurité. L’armée et les services secrets sont décapités. Aujourd’hui encore, il est difficile de dire si un kamikaze a placé une bombe dans le lustre de la pièce ou si un drone a tiré un missile dans le bâtiment. L’armée et les services secrets sont décapités.

Les jihadistes sont des mercenaires recrutés parmi les pauvres du monde musulman. Beaucoup ne parlent pas arabe et n’ont qu’une formation militaire d’une semaine. Certains pensent combattre contre les Israéliens. Ils essuient des pertes considérables et se replient.

La longue guerre qui suit oppose une armée arabe syrienne tentant de défendre sa population et doit pour cela se replier dans les grandes villes, à des jihadistes qui cherchent à rendre la vie impossible dans de vastes territoires. Ces combattants sont renouvelables à l’infini. Chaque mois, il en arrive de nouveaux qui remplacent les morts ou les déserteurs. Dans un premier temps, tous les voyous du monde musulman viennent tenter leur chance pour quelques centaines de dollars par mois. Des bureaux de recrutement sont publiquement ouverts dans des pays comme la Tunisie ou l’Afghanistan, tandis qu’ils se font plus discrets dans d’autres pays comme au Maroc ou au Pakistan. Cependant, la mortalité des combattants est extrêmement élevée. En juillet 2013, selon Interpol, des opérations d’évasion très sophistiquées sont menées dans neuf États pour exfiltrer des leaders islamistes et les transférer en Syrie. Par exemple  :
  le 23 juillet, 500 à 1 000 détenus s’évadent des prisons de Taj et d’Abou Ghraïb (Irak).
  Le 27 juillet, 1 117 détenus s’évadent de la prison de Kouafia (district de Benghazi, Libye) à la suite d’une émeute interne couplée à une attaque externe.
  Dans la nuit du 29 au 30 juillet, 243 talibans s’évadent de la prison de Dera Ismaïl Khan (zones tribales pakistanaises).

L’armée arabe syrienne brûle la majorité des corps des combattants, mais conserve ceux qu’elle parvient à identifier. Ils sont rendus à leur famille. Plusieurs États mettent discrètement en place des filières de rapatriement, par exemple l’Algérie avec la Fondation Abdelkader. Toutefois, l’armée arabe syrienne garde encore plus de 30 000 cadavres identifiés, mais non réclamés.

Les États occidentaux qui avaient au départ envoyé des Forces spéciales sur place en les recrutant parmi leurs soldats à double nationalité, généralement des musulmans originaires du Maghreb, organisent leurs propres canaux de recrutement de jihadistes. Ainsi, en France, une filière est mise sur pied dans les prisons, avec des mosquées salafistes. Ces quelques milliers d’individus s’ajoutent aux dizaines de milliers venus du Moyen-Orient élargi. Bien que l’on ignore combien de personnes participeront à cette guerre, on estime que le total des jihadistes combattant à la fois en Syrie et en Irak, locaux et étrangers, depuis 2011, dépasse les 350 000. C’est plus que n’importe quelle armée régulière de l’Union européenne et deux fois plus que l’armée arabe syrienne à la fin de la guerre.

Sur les ondes de la télévision saoudienne al-Safa, le cheikh syrien Adnan Al-Arour appelle à massacrer les alaouites. Il deviendra la référence religieuse de l’Armée syrienne libre.

L’unité idéologique des jihadistes est assurée par le «  chef spirituel de l’armée syrienne libre  », cheikh Adnan Al-Arour. Ce personnage haut en couleurs touche un vaste public, chaque semaine, lors de son émission télévisée. Il enflamme les passions en appelant à renverser le tyran et soutient une vision patriarcale autoritaire de la société. Progressivement, il dérive vers des appels sectaires au massacre des chrétiens et des alaouites. Sous-officier dans l’armée arabe syrienne, il fut arrêté pour avoir violé de jeunes recrues. Il s’enfuit alors en Arabie saoudite, où il devint cheikh au service d’Allah.

Réunion au Conseil national de sécurité US, le 13 juin 2013 à la Maison-Blanche. On reconnait Gayle Smith (seconde à droite) et le Frère Rashad Hussain (quatrième à gauche). Le conseiller national de sécurité, Tom Donilon, participait également à la réunion, mais ne figure pas sur la photo. Surtout, on reconnait le représentant des Frères musulmans et adjoint de Youssef al-Qaradâwî, le cheik Abdallah Bin Bayyah (second à gauche avec le turban).

Les jihadistes reçoivent en général un armement basique et disposent d’une quantité illimitée de munitions. Ils sont organisés par katibas, des petites unités de quelques centaines d’hommes dont les chefs reçoivent des armements ultra-sophistiqués, notamment des mallettes de communication leur permettant de recevoir en direct des images satellites des déplacements de l’armée arabe syrienne. C’est donc un combat asymétrique avec cette dernière qui est certes beaucoup mieux formée, mais dont toutes les armes sont antérieures à 2005 et qui ne dispose pas de renseignement satellitaire.

Contrairement à l’armée arabe syrienne, dont toutes les unités sont coordonnées et placées sous l’autorité du président Bachar el-Assad, les katibas jihadistes ne cessent de se chamailler entre elles, comme sur tous les champs de bataille où rivalisent des «  chefs de guerre  ». Tous cependant reçoivent leurs renforts, armes, munitions et renseignements, d’un état-major unique auquel ils sont donc contraints d’obéir. Cependant, les États-Unis ont la plus grande difficulté à faire fonctionner ce système car de nombreux acteurs entendent réaliser des opérations en cachette d’autres alliés, par exemple les Français à l’insu des Britanniques, ou encore les Qataris au détriment des Saoudiens.

Dès qu’un territoire est évacué par l’armée arabe syrienne, les jihadistes qui l’occupent s’y enterrent. Ils y construisent des tunnels et des bunkers. Les Saoudiens avaient envoyé le milliardaire Oussama Ben Laden en Afghanistan parce que c’était un spécialiste en travaux publics. Il avait supervisé la construction de tunnels dans les montagnes — ou plus exactement l’élargissement de rivières souterraines. Cette fois, des ingénieurs en génie civil de l’Otan viennent superviser la construction de lignes de défense gigantesques.

(À suivre …)