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mardi 31 décembre 2013

Tunisie : Le vote du "fonds de la dignité" a manqué de dignité

Tunisie : Le vote du "fonds de la dignité" a manqué de dignité


Publié le Lundi 30 Décembre 2013 à 17:32
Encore une fois l’indemnisation des victimes du despotisme suscite la controverse. Et pour cause, une proposition d’article qui a atterri par surprise, tard dans la nuit du dimanche dans l’hémicycle, portant création du fonds de la dignité pour l’indemnisation des victimes de la dictature. Décrié sur le fond et la forme, même parmi les alliés d’Ennahdha, l’article a fini par être voté dans le cadre de la loi de finances 2014. Son adoption ne nécessitait qu'une majorité d'un tiers, suffisant pour que le parti islamiste réussisse son passage en force. Ce n’est pas tant le principe d’indemnisation qui est contesté, a fortiori que l’institution de ce fonds est prévu dans la loi sur la justice transitionnelle, mais c’est la manière dont il a été posé dans la précipitation et l’improvisation, à l’insu du ministre des Finances même et des députés des autres blocs parlementaires, qui est réprouvée. 

Les circonstances dans lesquelles cet article a été posé et voté prouve qu’Ennahdha a cédé aux pressions de sa base, qui le pressait d’activer la loi sur l’amnistie générale, en termes de réparation des victimes des exactions passées. Ennahdha qui s’apprête à renoncer au gouvernement, pour céder la place à un cabinet de compétences apolitiques, ne pouvait pas se mettre à dos les siens, en quittant le pouvoir les mains vides. Il voulait que les ex-prisonniers politiques commencent à être indemnisés à partir de l’année 2014, et n’attendent pas le long processus de justice transitionnelle, appelé à s’étaler sur quatre à cinq ans, durée du mandat de l’instance de la vérité et de la dignité. Déjà qu’une large partie de sa base lui reproche d’abandonner sa légitimité issue des urnes, voyant en cela une abdication du mouvement aux desiderata de ses adversaires.

Légiférer sur ce point précis permettait donc au leadership du parti d’envoyer un signal fort à sa base, et de rassurer ses anciens prisonniers politiques, sur leur droit imminent au dédommagement pour les années de braise qu’ils sont vécus. Le vote d’hier a aussi pour le parti majoritaire une signification électoraliste. Sitôt sorti du gouvernement, le mouvement islamiste aura à défendre son bilan, devant les Tunisiens, mais aussi devant sa base, qui n’est pas toujours en accord avec les décisions et les orientations de la direction. La future et troisième étape transitoire, si tout se passe normalement, sera celle des campagnes électorales par excellence.

Ce qui est néanmoins surprenant, est la démarche suivie en matière d’introduction de cet article, la nuit, d’une manière impromptue, sans même l’avoir discuté au préalable au sein de la commission des Finances, qui a pourtant examiné la loi de finances 2014, et procédé à des amendements. Cela est d’autant plus étonnant qu’un article quasi-analogue est mentionné dans la loi organique régissant la justice transitionnelle, fraîchement adopté. L’article 41 de ladite loi prévoit "la création d’un fonds baptisé fonds de la dignité et de la réhabilitation des victimes du despotisme dont les moyens d'organisation, de gestion et de financement sont régis par décret". Cet article est passé normalement, car il était dans son cadre naturel. Quant à l’article de la nuit, il était parachuté et son passage a manqué hélas de dignité.

Le mouvement islamiste considère-t-il le sujet de l’indemnisation des victimes de la dictature comme une chasse gardée, relevant de son seul pouvoir discrétionnaire, pour dénier aux autres députés des différents blocs parlementaires, au ministre des Finances même et autres experts d’avoir voix au chapitre là-dessus ?

La loi de finances 2014 votée hier à l’assemblée nationale constituante a suscité une large polémique dans la société tunisienne, du fait des nouvelles taxes qu’elle introduit notamment celle appliquée aux véhicules, qui a fini par être entérinée, même si elle a été revue à la baisse. Le gouvernement a expliqué ces nouvelles taxes par les charges qui pèsent sur le budget et par la nécessité de préserver les équilibres généraux de l’Etat, éreintés par tant de sollicitations dues à une conjoncture économique difficile. Introduire un article controversé dans une loi qui l’est déjà, passera forcément mal dans l’opinion publique, déjà dépitée par la cherté de la vie et la dégradation du pouvoir d’achat.

La création d’un tel fonds en ce moment précis risque de consacrer le sectarisme dans la société et de susciter un sentiment d’injustice chez les Tunisiens, notamment ceux des classes défavorisées, qui verront d’un mauvais œil, que certains seront prioritaires du fait de leur passé militant.

Il va sans dire que l’Etat tunisien a une dette envers les victimes du despotisme. Il a l’obligation de réhabiliter ceux qui ont souffert, des années durant des affres de la marginalisation, de la répression, et de la torture. En Tunisie, on ne compte pas les violations abjectes des droits de l'Homme commises sous l’ancien régime et à l’ère de Bourguiba, contre les différentes familles politiques et idéologiques. Les islamistes ont payé le plus lourd tribut à ces exactions. Des milliers de Tunisiens, sympathisants, membres ou dirigeants d’Ennahdha, se sont vu ôter les plus belles années de leur vie, qu’ils ont passées dans les dédales des prisons, loin de leurs familles, elles-mêmes sujettes aux plus lourdes persécutions morales et matérielles. Les crimes de l’ancien régime ont laissé des traces indélébiles et des cicatrices profondes chez des milliers de Tunisiens, lesquelles doivent être cicatrisées. La réhabilitation et l’indemnisation doivent être en revanche mises en œuvre dans le cadre de la justice transitionnelle, dotée d’ores et déjà d’une loi à part entière.

Le vote de cette loi a porté satisfaction à la majorité des Tunisiens, outre aux victimes directes des sévices d'un régime inique, car l’ensemble de Tunisiens sont assoiffés de connaître la vérité, et appellent de leurs vœux que les années de plomb soient révolues à jamais. Pourvu que ce processus crucial en période de transition démocratique soit mené dans la dignité et la transparence.
H.J.

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