Comment les rapaces se sont partagés le pétrole tunisien ?
Enquête : Comment les rapaces se sont partagés le pétrole tunisien ?
12 Septembre 2014
C’est une affaire explosive dans tous les sens du terme : Zafrana, le plus important gisement de pétrole en Tunisie a été bradé à un groupe néerlandais. Secret défense sous la présidence de Bourguiba, réserve stratégique sous l’Etat de Ben Ali, l’exploitation de Zafrana a été offerte à « Mazarine Energy ». Nous avons cru au début que Mehdi Jomaa était le « sauveur providentiel », mais des mois après, l’on se rend compte que la Tunisie va encore plus mal, que sa jeunesse est désespérée, que ses biens sont bradés, que ses finances sont asséchées et, plus grave encore, que son pétrole est dénationalisé. Plus question de se taire. Cet article est le premier d’une série basée sur un dossier épais que TS vient de recevoir.
Et si le pétrole tunisien était l'enjeu de la "révolution" dite du jasmin ?
Ce que mon ami Lilia Ben Rejeb vient d’écrire sur Mehdi Jomaa (voir son papier « Mehdi Jomaa transforme une caserne militaire en Club Med »), n’est pas le plus grave. Un gouvernement qui s’épuise à sauver l’agonisante Tunisie a tout de même le droit à quelques journées de détente ! Le plus grave, c’est la mise en coupe réglée de tout un pays. Plusieurs hôtels sont passés sous le contrôle de certains nouveaux hommes politiques et d’affairistes étrangers, principalement des Libyens, des Qataris et des Turcs. Idem pour les fleurons de l’industrie tunisienne et de certaines banques.
Les hydrocarbures doivent rester à l’abri des curieux et des « gueux » !
Mais c’est le secteur énergétique qui est le plus sinistré. Il y a à peine quelques jours, Mehdi Jomaa déclarait qu’il faudrait «accélérer l'adoption des lois relatives au secteur énergétique, notamment, celles ayant trait aux permis de recherche des hydrocarbures et à leur prolongation». Pourquoi cette accélération ?
Lors de sa conférence de presse, il a indiqué qu’il faut «tenir ce dossier à l'écart des surenchères politiques et des tiraillements partisans, et tenir compte du seul intérêt national». Pourquoi une telle consigne et de telles précautions?
Mehdi Jomaa a ajouté que «Personne n'a le droit de bloquer sous aucun prétexte, les permis pétroliers», affirmant que «la Tunisie ne peut tolérer la poursuite d'un tel blocage, alors qu'elle est en train de lutter contre la menace terroriste, ce qui nécessite la sécurisation des sources d'approvisionnement». Selon lui, «La non adoption des lois concernant le secteur énergétique, ne sert pas l'intérêt du pays, mais envoie plutôt des signaux négatifs aux investisseurs étrangers et notamment à ceux qui opèrent en Tunisie, surtout si on les accuse de corruption et les qualifie de vampires». Propos censés et politiquement corrects, mais certains investisseurs étrangers ne sont-ils pas réellement des « vampires » ?
Le cas de l’exploitation du gisement de Zafrana, accordé au groupe néerlandais « Mazarine Energy », un groupe d’exploration et de production de pétrole et de gaz qui serait une ramification de Total, est à cet égard très symptomatique ! Pourquoi ce groupe en particulier et pourquoi Mehdi Jomaa et certains membres influents de l’UTICA ont tout fait pour favoriser ce groupe néerlandais ? Nous y reviendrons très prochainement lorsqu’on aura terminé d’étudier l’énorme dossier que nous avons reçu sur cette affaire. Pour le moment, restons sur ces informations déjà avérées et recoupées.
Mazarine Energy empoche la très précieuse licence Zaafrana
C’est en présence de Kamel Ben Naceur, Ministre de l’Industrie et de l’Energie, que le groupe d’investissement, dirigé par la société pétrolière et gazière Mazarine Energy S.A.R.L. a eu « le plaisir » d’annoncer le 11 février 2014 qu’un « accord a été conclu avec la société de pétrole Medex Petroleum Limited (« Medex ») afin d’obtenir 90 % (100% payant) des droits d’exploitation de la Licence terrestre Tunisienne Zaafrane ». Cette annonce a été faite lors d’une cérémonie organisée par l’Ambassadeur néerlandais, Hans van Vloten Dissevelt à l’occasion de l’arrivée de la société Mazarine Energy en Tunisie.
Selon nos confrères de Directinfo, « L’accord inclut un investissement en plusieurs phases de 50 millions de dollars US pour l’évaluation et le développement de la Licence Zaafrane, grâce à cet investissement Mazarine Energy apportera son aide pour la création d’emplois et contribuera à la croissance économique de la Tunisie. La licence Zaafrane couvre une superficie de 5.000 kilomètres carrés dans le centre de la Tunisie y compris plus que 100 millions de bep potentiel net (million de barils d’équivalent de pétrole) provenant de ressources contingentes grâce à l’expansion de l’exploitation du champ de production Sabria dans la licence Zaafrane et aussi à travers un certain nombre de perspectives qu’offre cette licence » (Directinfo du 12 février 2014).
Et si la Tunisie contenait les plus importants gisements de pétrole dans la région ?
La Tunisie flotte effectivement sur un immense bassin pétrolier. C'est le constat de l'USGS «United States Geological Survey», un organisme américain qui se consacre aux sciences de la Terre. Cette compagnie avait décelé par le biais d'une étude approfondie que la zone concernée concentre plus de 1,03 milliard de barils de stocks de pétrole. Voici le lien pour consulter le rapport que l’USGS a publié sur son site officiel : http://pubs.usgs.gov/fs/2012/3147/FS12-3147.pdf
Si le projet de prospection a été lancé en 2009, certains médias ont écrit, par mégarde ou par dissimulation, que la découverte de cet important stock pétrolier au large de la Tunisie date de 2011. C’est complètement faux. Cet important gisement pétrolier a été découvert dès 2009, ce qui expliquerait la précipitation des événements qui ont conduit à la chute du régime le 14 janvier 2011 !
Par ailleurs, l’agence Reuters a déjà signalé que la société pétrolière et gazière canadienne productrice de l’énergie « Dualex International » a annoncé que l’évaluation préliminaire du projet de forage de pétrole à la délégation Bouhajla a montré que la zone contient plus d’un milliard de barils de pétrole. Cette compagnie a déclaré que l’évaluation a montré 1,03 milliards de barils de stocks de pétrole. En outre, le président exécutif de la société « Gary Hidas » a noté que ce projet a été lancé depuis l’année 2009, mais la découverte du pétrole n’a été faite qu’hier !
Ce qu’en revanche aucun média tunisien n’a osé révéler, soit par manque d’information, soit par prudence, c’est le fait que Zafrana que nous avons déjà mentionné, constitue le plus important gisement en Tunisie. Mieux encore, c’est un gisement exploitable dans l’immédiat et sans investissement dans la prospection. Et pour cause, ce gisement a été découvert par les Français à la fin de l’époque coloniale. Les Français n’ont pas eu le temps de l’exploiter compte tenu de l’indépendance de la Tunisie en 1956. Et puis, ils avaient encore sous la main les gisements de la colonie algérienne.
Réserve stratégique de la Tunisie, Zafrana n’a pas été touché de 1956 à 1987. Sous le régime d’Habib Bourguiba, Zafrana a même été classé Secret Défense. De 1987 à 2011, malgré les multiples tentatives et pressions diplomatiques des Etats-Unis, de la France, des Pays Bas et de la Russie, Ben Ali l’a préservé considérant que c’est un trésor qu’il faut conserver pour les futures générations. Comme nous l’avons écrit plus haut, Zafrana est depuis février 2014 entre les mains du groupe néerlandais.
On précisera au passage que lorsqu’un Etat accorde une licence d’exploitation, c’est aux risques et périls de l’entreprise à laquelle elle a été accordée. Celle-ci doit investir, prospecter, donc créer des emplois. Si elle découvre du pétrole en quantité suffisamment exploitable et rentable, elle poursuit. Si elle n’en trouve pas ou en découvre en quantité inférieure à la rentabilité souhaitée, elle arrête. Or, les quelques rares Tunisiens et étrangers spécialisés dans les hydrocarbures savent depuis très longtemps que Zafrana est non seulement le plus important gisement de pétrole en Tunisie, mais qu’il est exploitable dans l’immédiat, sans investissement préalable. C’est là où Mehdi Jomaa serait coupable au mieux de négligence, au pire de haute trahison.
Mehdi Jomaa, un objet volant en attendant un parachutage sur Carthage
Ce n’est plus un secret pour personne que Mehdi Jomaa lorgne le palais de Carthage. Il serait en effet le candidat surprise d’Ennahda aux prochaines élections présidentielles. Il n’est pas le seul – fourbe et dissimulateur, Rached Ghannouchi sait comment appâter tous les concurrents au poste tant convoité-, mais c’est le seul qui a le soutien des trois principaux décideurs : le calife « démocrate », certaines compagnies pétrolières et, bien évidemment, notre chère « amie », libératrice et protectrice, les Etats-Unis d’Amérique.
Mehdi Jomaa, qui serait toujours salarié du groupe Total, ne peut plus dissimuler son ambition dévorante. Un autre marathonien à la course présidentielle, Slim Riahi, n’a pas pu se retenir pour dévoiler le pot aux roses. Le 4 septembre dernier, sur sa page facebook, il a écrit que « Nous connaissions depuis des mois la vérité sur le gouvernement des indépendants, et nous voilà découvrir un nouveau concept, celui d’indépendants de l’ombre ! Après certains ministres qu’on nous a présenté comme étant des indépendants et que nous voyons aujourd’hui présider les listes électorales d’Ennahda, voilà que monsieur Abdellatif Mekki nous annonce les fiançailles de son parti avec Mehdi Jomaa, désormais candidat consensuel d’Ennahda aux élections présidentielles… »
Slim Riahi, fondateur et président du microscopique parti de l’Union Patriotique Libre, aurait certainement voulu être à la place de Mehdi Jomaa, mais les dés sont jetés et Rached Ghannouchi ne mise que sur les chevaux gagnants…et bien dociles !
Karim Zmerli
NB- Je suis ravi de retrouver mes lecteurs et mes fans après une absence de plusieurs mois. Il est vrai que j’ai beaucoup voyagé ces derniers mois, de la France au Canada, puis la Tunisie, ensuite l’Italie pour la Belgique, et me revoilà au Canada, pour longtemps j’espère, maintenant que j’ai obtenu mes papiers. Mais ce n’est pas à cause de mon nomadisme que je n’ai plus écrit. J’ai été sanctionné par la rédaction apparemment pour « faute professionnelle » ! Je suis heureux en tout cas de retrouver une nouvelle équipe au sein d’un journal auquel j’ai beaucoup donné. K.Z
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