Tunisiens Libres: L'argent et le libéralisme

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lundi 10 février 2014

L'argent et le libéralisme

            
                 L'argent et le libéralisme
  L’argent est fin et moyen des échanges, il est l’objet de nos désirs personnels et le fruit de notre croyances collective dans sa valeur d’équivalent général de toute valeur marchande. Toute valeur tend, par la puissance de cette équivalence même et par la généralisation des échanges marchands comme unique forme quantifiable de la réciprocité, à devenir telle. Cette croyance institutionnalisée est soumise, en économie libérale à la loi de l’offre et de la demande ; la quantité et la valeur relative de la monnaie dépend donc de l’opinion collectivement produite par le jeu des échange et est certifiée par les institutions monétaires (banques centrales) plus ou moins dépendantes et/ou autonomes des institutions politiques.

Ainsi par la forme collective, anonyme et abstraite de sa valeur, la monnaie transcende les désirs individuels et, comme Dieu unifiant son peuple de fidèles, l’argent impose ses règles et ses enjeux à tous les partenaires des échanges afin que chacun puisse espérer voir ses désirs reconnus et ses efforts dans l’échange de biens et de services justement récompensés. Mais, de ce fait, cette croyance, au contraire de la croyance religieuse traditionnelle, brise la communauté fusionnelle car sa transcendance est indéfiniment manipulable par les désirs multiples voire contradictoires de chacun sans que cela n’entraîne, nécessairement, de violence autodestructrice : la communauté solidaire laisse la place à la société individualiste plus ou moins pacifiquement auto-régulée. Dieu n’est plus indispensable (sauf à titre de référent purement symbolique : voir le dollar), pour préserver ici-bas le jeu des échanges, la religion tend à devenir une assurance voire une thérapie symbolique parmi d’autres ; bref, une affaire privée ou familiale en vue de la préservation de son identité particulière individuelle et collective ; mais de plus en plus difficilement sociale et/ou politique : les individus savent qu’ils ont à vivre, à travailler et à échanger avec d’autres qui peuvent être opposés à leurs croyances autres que monétaires et que celles-ci ne reposent que sur des expériences subjectives et imaginaires sans contenu rationnel objectivement universalisable ; la preuve de la véracité de leur croyance est soit impossible soit immédiatement contestable par tel ou tel de leur proche.
L’argent comme valeur universelle dominante car seule objectivable produit donc 
- La possibilité de s’entendre sur des intérêts rationnellement mutualisés sur fond de réciprocité mesurable,
 
-Le reflux du religieux dans le sphère privée
 
- Le développement de l’égoïsme rationnel généralisé aux dépens des solidarité automatiques des sociétés communautaires traditionnelles plus ou moins fermés.
Cette opposition entre Dieu et l’argent ne va pas sans résistances et recherche de compromis problématiques à travers les contradictions récurrentes entre existence privée et vie publique, entre communautés particulières et sociétés globales en voie de mondialisation des échanges économiques culturels et humains. Comprendre ces contradictions et les stratégies des acteurs sociaux pour les traiter (bien ou mal) est aujourd’hui une tache prioritaire pour qui veut participer positivement aux évolutions brutales en cours et échapper `la tentation illusoire et mortelle d’un statut quo miné par le risque de la violence identitaire et a fortiori du retour fantasmatique et illusoire à la communauté liberticide perdue.
1) Argent et religion
Dans la société laïque, lorsque se développent les rapports d’argent, tout peut devenir marchandise :  les biens extérieurs, les services, la force de travail donc le corps et l’esprit indissociables : on peut comme on dit en Afrique " faire boutique avec son cul ". Il est alors difficile, selon St Mathieu de servir à la foi Dieu (don de soi) et l’argent (vente de soi ou de ses biens pour acheter ou louer les biens et les services, et la personne des autres) ; cette contradiction égoïsme/solidarité est poussée à son comble par les religions communautaristes : La solidarité inconditionnelle exigée y considérée comme incompatible avec l’appât individuel du gain. Inversement, l’argent et la loi du profit pour soi ne s’affirment que par la destruction des relations symbolico-religieuses traditionnelles et ont tôt fait de substituer à la religion la vague religiosité sentimentale dans laquelle chacun peut y mettre ses propres rêveries et son désir, personnel dans ses bricolages fantasmatiques, de consolation face à la mort et à la souffrance. Le syncrétisme in/différencié met alors en cause l’unité et l’autorité de la religion en tant que ciment social et fondement de l’autorité morale et politique, A chacun ses intérêts économiques et spirituels ! Le Dieu pour tous n’est plus qu’une abstraction qui n’engage pas vis-à-vis des autres et n’exige rien de soi sinon ce que l’on se commande à soi-même pour soi-même (ne serait-ce que pour se donner bonne conscience !). " L’ athéisme " comme refus de soumettre la société et de se soumettre soi-même à la prétendue Vérité divine est permis, voire, à travers le principe de la laïcité, revendiqué comme un fondement de la vie politique et de l’éducation civique des individus/citoyens. Ainsi la stratégie efficace de l’argent est, dans le meilleurs des cas, celle du donnant/donnant qui se réclame de l’autonomie individuelle alors que la logique plus ou moins (ir)rationnelle de la religion s’affirme (apparemment) dans la valeur du don gratuit, l’allégeance personnelle au groupe et au supérieur religieux et/ou politique et l’identification fusionnelle à la communauté et à ses chefs. L’opposition entre les logiques et les stratégies devient proprement déroutante et, dès lors que la tentation de l’absolu reste vivace (par l’effet de la confusion psychologique illusoire sans cesse renaissante entre nos désir et la réalité), cette opposition engendre angoisse personnelle et conflit idéologiques collectifs. Mais l’affirmation du primat de l’individu qu’a rendu possible la victoire de l’argent comme régulateur de la vie sociale (sinon politique) a aussi permis le développement de la liberté individuelles et de la démocratie modernes contre les sociétés religieuses traditionnelles, comme tous les théoriciens moralistes du libéralisme nous le rappellent avec raison.
Or si cette ambivalence et cette opposition sont mal vécues (croyances naïves dues à une éducation traditionnelle peu philosophique, peur de l’autonomie et de la relative solitude qui en est le prix...) la tentation est grande d’y échapper par d’illusoires (irrationnels) compromis symboliques et pratiques.
La première stratégie est de constituer une secte qui refuse la modernité jugée pervertie et pervertissante, en interne sinon en externe, pour reconstituer la communauté sans rapport d’argent ; elle exige de ses membres un dévouement ritualisé indéfectible, elle se protège contre les influences extérieures par des pratiques ségrégatives violentes contre les traîtres et ceux qui prétendraient changer les rapports en les individualisant ; sous couvert de liberté religieuse, elle impose une idéologie totalitaire et un contrôle incessant sur les comportements en utilisant la menace de l’exclusion desidentifiante ; elle provoque l’angoisse de la déréliction afin de s’assurer l’obéissance consentie des sectateurs qu’elle prétend protéger contre les autres et surtout contre leur propre angoisse de vivre et de mourir. (Amish) 
Cette tentative n’a de chance de survivre que lorsqu’est maintenue une distance, un isolement politique et géographique dans un contexte relativement favorable à ces pratiques sectaires tel que celui créé par la conception multicommunautatrice Nord-américaine. Mais si le contexte extérieur reste dominé par les rapports d’argent et l’individualisme qu’ils engendrent nécessairement, la violence extrême, au moins symbolique, est la seule manière de faire fonctionner la secte sous le pouvoir quasi absolu d’un chef ou d’un groupe de prêtres charismatiques investis d’une puissance surhumaine.
 
Mais l’expérience de cette violence est et devient incompatible avec les fondements du droit de la société moderne et ses modes d’existence ; ces sectes, sans cesse menacées, sont alors tentées, soit par le terrorisme pour éradiquer le mal de ce monde absolument corrompu, soit par la mort collective présentée comme la coupure salvatrice radicale avec celui-ci, ou les deux.
Une deuxième tentative de pratique sectaire est d’invertir l’argent d’un pouvoir religieux unifiant la communauté pour un projet de conquête des positions de pouvoir dans la société civile en vue de la réussite sociale de ses membres par le développement de leur puissance individuelles d’être et d’agir, collectivement organisée sur un mode idéologique totalitaire (scientologie). L’argent pompé par et sur les membres inférieurs est l’expression même de la supériorité du groupe et de ses membres ; la religion n’est, en interne, qu’un adjuvant symbolique bricolé d’une manière infantile pour abuser les naïfs, en externe une couverture de la volonté dominatrice élitaire de ses chefs. Les membres doivent couper tous les autre liens privées hors ceux autorisés et contrôlés par la secte en vue de son intérêt de puissance et de la conversion de futurs adeptes qui s’opère par la manipulation psychothérapeutique présentée comme la condition indispensable à leur réussite individuelle dans un monde où les mieux psychologiquement armés doivent l’emporté sur les autres. Elles exploitent pour cela les difficultés psychoaffectives que l’individualisme compétitif provoque en se présentant comme seule capable de produire le lien communautaire qui manque à la réussite personnelle de ses futurs adeptes. Ce genre de sectes tentent de pénétrer prioritairement les couches sociales disposant du pouvoir économique politique et symbolique, mais n’hésitent pas à convertir la piétaille des défavorisés pour l’utiliser comme main d’œuvre gratuite. 
Mais cette tentative plus subtile car mieux adaptée au monde de l’argent que la précédente est elle-même victime de la puissance individualisante que celui-ci recèle : les chefs ne tardent pas à s’opposer entre eux pour bénéficier de la puissance économique et politique du groupe ; la secte explose en une variété de fractions, de sous sectes entredestructrices. (Processus accéléré par la mort naturelle ou non du gourou fondateur).
Une troisième tentative de compromis entre l’argent et la religion moins extrême, plus courante et partant plus efficace est d’autonomiser, quant à leurs règles de fonctionnement la vie familiale et la vie économique extérieure. Celle-ci sera dominée par la recherche du profit privé sans souci de solidarité publique alors que celle-là affirmera les valeurs traditionnelles comme indispensable à la pérennité des liens familiaux. La solidarité familiale définit comme une valeur fondamentale exige le maintien prioritaire, le développement et la transmission du patrimoine économique et culturel. Cela impose le strict respect des engagements matrimoniaux et donc la fidélité sexuelle absolue soumise à une éthique autoritaire transcendante. Une telle fidélité n’est, en effet, possible que si sont maintenus, à l’intérieur de la vie familiale, les contraintes et les interdits religieux autoritaires qui n’ont plus cour dans la société extérieure (contrôle du libre choix du conjoint, criminalisation de l’adultère, de la contraception de l’avortement, homophobie, etc..). 
Le problème de cette stratégie est le suivant : comment utiliser l’égoïsme engendré par la loi du profit au service de la famille fusionnelle traditionnelle laquelle apparaît comme une condition de la réussite sociale et économique ? La réponse est liée nécessairement à la question de la sexualité car le plus grand danger à l’intérieur de la famille autoritaire traditionnelle n’est pas le liberté économique ( les échanges marchands y sont l’exception) ,mais l’autonomie sexuelle qui autoriserait chacun à revendiquer son droit à s’accoupler et à engendrer comme il l’entend sans soucis de la préservation du lien familial prioritaire. Le libéralisme économique ambiant ajouté au laxisme sexuel interne auraient alors tôt fait de détruire la famille traditionnelle. C’est pourquoi le puritanisme dans certains milieux est si porté et si porteur car la contradiction entre l’argent et la religion est déplacée au profit de celle entre la religion et le sexe ; celui-ci devient d’autant plus dangereux qu’il permet à l’égoïsme extérieur de pénétrer à l’intérieur de la famille : il est l’ennemi intime de toute solidarité familiale religieuse fusionnelle traditionnelle dans une société dominée par l’argent et qui a, de ce fait, perdu le sens de la communauté primitive. Cela est vrai dans les milieux populaires menacés par les contradictions économiques et dans certains milieux nantis qui entendent préserver, voire autojustifier leurs privilèges,
Or la loi de la société marchande développée est de manipuler le désir sexuel des individus pour accroître la demande à l’infini et pour cela elle doit, par la publicité, pénétrer au plus intime des désirs sexuels en les individualisant c’est-à-dire en les soumettant directement au désir narcissique individuel exacerbé par des représentations érotiques individuelles efficaces de soi. La pub s’attaque en permanence et dévalorise la famille traditionnelle (voire les institutions chargées de l’éducation) jusqu’à prendre les enfant et les jeunes comme sa cible privilégiée afin qu’ils exercent sur leurs parents et les adultes un chantage affectif permanent à la modernité consommatrice de plaisirs narcissiques marchants indéfiniment consommables. Dans ces conditions le modèle familial traditionnel ne peut résister à la télévision commerciale, la musique sensuelle, voire pulsionnelle, les copains, la mode et l’idéologie hédoniste dominante de la consommation. Les parents qui voudraient maintenir les valeurs religieuses traditionnelles sont vite " largués " à mois de transformer la famille en secte et le père en gourou: : Noël est le fête des cadeaux exigés dans le réciprocité de la reconnaissance et du plaisir partagé ; le sens et les signes religieux ne sont qu’un décor dont l’archaïsme kitsch favorise le commerce en offrant une légitimité de façade à la consommation des biens. La religion n’est plus qu’une affaire privée à la disposition plus ou moins conformiste des individus consommateurs de plaisirs et de reconnaissance narcissiques. La famille alors change de fonction principale : de lieu de la transmission de valeurs pérennes instituant une autorité transcendante indiscutable et modelant les comportements et les choix individuels elle devient le regroupement plus ou moins contraints de partenaires liés par contrat tacite et révisable dont l’objectif est d’optimiser les échanges affectifs et sensuels de moins en moins structurés et intellectualisés en vue d’une meilleure intégration sociale. Tout se négocie : les conventions, les finalités, les rituels, les moyens. L’amour des siens ne s’impose pas ; il est vécu comme le prolongement de l’amour de soi. La famille est souvent perçue comme le dernier refuge plus ou moins provisoire face aux difficultés et aux contrariétés de l’existence personnelle.
C’est ainsi que la religion traditionnelle a, dans nos sociétés, laissée la place à de vagues et syncrétiques croyances, laissées à la libre disposition des individus, dont la finalité est d’offrir un exutoire au besoin de rêver sa vie ; la réalité de celle-ci se joue ailleurs : dans la poursuite de l’intérêt et du bonheur personnels plus ou moins régulée par le droit fondé sur la seule exigence de réciprocité à l’exclusion de tout salut transcendant et par des conventions en évolution permanente. 
L’argent, et l’économie de marché, responsables du développement de l’idée d’intérêt et de bonheur personnels individualisés, ont disqualifié la question du sens transcendant et par là unifié et unifiant de la vie ; et avec elle, le besoin religieux traditionnel. A vouloir le restaurer on serait nécessairement conduit à poursuivre un projet sectaire, totalitaire, liberticide et violent. L’éthique du bonheur doit alors remplacer la morale du devoir. Il convient d’essayer d’en formuler les orientations principales à partir d’une critique de(s) morale(s) autoritaires et sacrificielles.
2)  Argent et éthique.
L’argent et les rapports qu’il rend possible, voire nécessaire, sont sensés tout corrompre dès lors qu’ils substituent l’intérêt égoïste au don de soi, le calcul au dévouement, la quantité à la qualité, la relativité plurielle et mouvante des désirs individuels à la permanence immuable des convictions collectives. Mais il suffit de considérer la plupart des rapports non-marchands traditionnels pour voir que ceux-ci, bien que plus chaleureux, sont aussi plus contraignants par l’exigence de répondre aux devoirs vis-à-vis des autres qu’ils impliquent. Ainsi, au nom de la liberté individuelle qu’ils recèlent, les rapports commandés par le profit détruiraient toutes les autres valeurs solidaires. Cette critique est juste du point de vue traditionnel et de la morale du devoir et de l’allégeance mais elle perd en partie de sa pertinence dans une société qui fait de l’autonomie de la personne son principe fondamental : on ne peut pas vouloir à la fois la liberté individuelle et la soumission à des devoirs transcendants à valeur collective et indiscutable. Remarquons d’ailleurs qu’une morale du devoir contraignante, soit s’applique à  un groupe particulier fusionnel contre d’autres (esprit tribal), soit se veut universelle (humanisme idéaliste rationalisé) mais sont alors inapplicables car la solidarité ne peut être sans priorité ni sélection : nul n’a le pouvoir divin de sauver tous les hommes ! La liberté des modernes est relativement universalisable sans contradiction parce qu’elle fait droit à l’aspiration individuelle au bonheur par et pour soi et donc à l’intérêt et au plaisir narcissique. par delà les frontières et les clivages ; ce qui ne va pas sans conflits mais ce qui exige des régulations conventionnelles ou légales pragmatiques, évolutives selon des procédures démocratique mettant en jeu les opinions du moment (cf. l’avortement, le PACS et le clonage humain). Nul n’a plus le droit au nom de ses convictions absolues religieuse ou morales d’exiger que les autres s’y soumettent, sauf à les convaincre pour un temps toujours limité que cela va, pour la majorité d’entre eux, dans leur intérêt ou leur personnelle recherche du bonheur. C’est cette loi de la démocratie : chacun pour soi et la majorité pour tous que toute les idéologies transcendantalistes qu’elles soient religieuses ou rationalistes républicaines ont du mal à accepter ; or elle est la seule source aujourd’hui partageable de légitimité de l’autorité politique sauf à revenir à l’Etat-église ou l’Etat-parti et à la société ethnique monolithique et fusionnelle ou à la société bureaucratique totalitaire. Le libéralisme politique et économique dans nos sociétés est irréversible, sauf par un retour mythique en arrière dont les conséquences pour les droits individuels seraient catastrophiques. Cela ne veut pas dire qu’il ne faille réduire et réguler ses excès au profit de la mise en œuvre réelle et non seulement formelle du droit universel à la recherche du bonheur qui est au fondement du libéralisme, nous y reviendrons. Il y a bien ici un droit universel mais il est immanent à l’expression des désirs humains dans l’espace public qu’il soit économique (marché et état distributeur) ou politique (démocratie représentative) et donc toujours problématique puisque son contenu de règles et de finalité prioritaires n’est pas fixé par une quelconque autorité supérieure mais fait toujours l’objet d’un dissensus organisé et favorisé en tant que condition même de la démocratie. 
Les
 convictions morales sont rationnellement indécidables pour la simple et bonne raison qu’on peut toujours préférer telle valeur prioritaires à telle autres par exemple la solidarité précontrainte à l’affirmation de son moi qu’implique l’idée de l’autonomie individuelle ou la sécurité du conformisme au besoin critique et au changement créateur de nouvelles valeurs. Les valeurs concrètes ne sont pas des connaissances mais des stratégies en vue du bonheur et de la conception ou vision que l’ont en a. A ce sujet, en l’absence de religion ou de philosophie obligatoire, toute tentative aujourd’hui de mettre d’accord les hommes et les femmes entre eux est une illusion dangereuse et vouée à l’échec. La seule chose qui puisse faire l’accord, en droit sinon en fait, c’est de reconnaître cette diversité et de l’organiser par la démocratie et le négociation.
Revenons après ce détour théorique dont elle découle à la question du rapport de l’argent et de l’éthique pour en tirer les conséquences, les limites ainsi que les régulations nécessaires dans une société libérale qui n’est pas à l’abri de dérives autodestructrices 
Les rapports d’argent exigent, pour que le jeu des échanges soit crédible et donc possible car jouable en vue de l’intérêt de chacun, que personne ne se sente escroqué ou violenté par son ou ses partenaires ce qui implique plusieurs règles du jeu qui sont :
 
1)  Le renoncement au recours à la violence pour traiter des désaccord et des conflits d’intérêt au profit de la négociation et du marchandage.
 
2)  le respect du droit à la propriété de chacun comme condition fondamentale de la liberté individuelle
 
3) La libre concurrence
 
4) Le respect des promesses et des contrats
 
5) La réciprocité des échanges de biens et de services par la juste rémunération monétaire de leur valeur d’échange.
 
6)  Le crédit de confiance accordé a priori au partenaire du jeu marchant car très peu de transactions peuvent se traiter par un échange simultané ; l’un doit souvent anticipé le comportement correct de l’autre ; en particulier cela est par définition indispensable dans les prêts d’argent qui seuls permettent une circulation rapide et profitable du capital ; mais cette confiance à pour contrepartie l’exercice du droit pénal par l’état arbitre et juge et la contrainte par corps a posteriori que celui-ci peut faire appliquer sur sa personne en cas de manquement par le partenaire aux termes du contrat. Seuls certains commerces perçus, à tort ou raison, comme mal ou non protégés ou " protégeable " par l’état, font l’objet d’un comportement de défiance a priori : La location d’un logement par exemple, le transport public, les spectacles et les loisirs ou la prostitution où le client paie souvent d’avance. Mais pourquoi le spectacle et pas le restaurant ? L’analyse pourrait être intéressante en suivant mon hypothèse...
 
7)   Enfin la règle de l’universalité du service rendu dès lors qu’il est interdit, pour que le commerce soit profitable  et que la libre concurrence soit respectée, de faire des discrimination entre les clients et de refuser la vente à quiconque est solvable et tout client doit, sauf indices manifestes, donc, dans la plupart des cas, être supposé tel.
L’argent et son usage marchand capitalistique impliquent donc nécessairement la définition des règles de confiance réciproques entre les partenaires et acteurs du jeu économique ; ces règles ne relève pas d’une morale du devoir qui mettrait en œuvre des valeurs transcendant l’intérêt égoïste mais des normes de l’intérêt mutuel qu’il ne faut pas confondre avec un quelconque intérêt commun : celui-ci ne pouvant être que l’objet des décisions privées des individus. La liberté individuelle elle-même, indissociable du droit de la propriété, n’est que la condition de l’autonomisation et de l’universalisation rationnelle des relations économique entre acteurs qui ne se connaissent pas nécessairement avant l’échange, ne se reconnaissent pas forcément une identité collective ou des intérêts communs, voire ne s’aiment pas ; cette éthique de l’intérêt mutuel est en droit universelle, rationnelle et pragmatique ; elle tente de mettre sinon hors jeu, du moins de dominer, les affections pathologiques communautaristes et subjectives et en cela réalise paradoxalement la position kantienne du droit. Mais ce n’est plus ici la Raison universelle qui fonde le droit, c’est l’intérêt mutuel bien compris qui exige des règles de raison universelle. 
Les relations monétaires sont donc éthiques en elles-mêmes car elles impliquent la mesure c'est-à-dire la raison comme régulateur des échanges de biens et de services; en cela:
 
- elles libèrent les acteurs de tout assujettissement statutaire illimité;
 
- elles pacifient le jeu des intérêts en substituant l'équivalence objectivement mesurable des valeurs échangées à l'arbitraire du désir subjectif et aux rapports de force; payer est le contraire de voler ou de contraindre (payer = pacifier);
 
- elles obligent chaque partenaire à respecter l'autre , dans son désir comme dans sa personne, en tant que partenaire volontaire de l'échange, sauf à rendre celui-ci impossible;
 
- elles égalisent les conditions en relativisant les positions car chacun peut être tour à tour vendeur et acheteur et est également libre de vendre et d'acheter, s'il en a les moyens, lesquels ne peuvent, par principe, pas lui être refusés;
 
- elles universalisent les échanges en refusant de distinguer entre les individus parrticipant aux échanges dès lors qu'ils sont solvables (interdiction du refus de vente).
 
Le bilan de la "domination libérale" des relations marchandes et de l'argent dans les échanges sociaux (à distinguer des échanges privés) est donc globalement positif quant aux progrès éthiques (autonomie individuelle et justice égalitaire) qu'elle a rendu tout à la fois possibles et nécessaires.
Mais d'où vient alors la condamnation morale de l’argent ? 
De la remise en cause perçue comme perverse que les relations marchandes risquent de provoquer dans les domaines des relations non marchandes.
 
Si, en effet, la rationalité prescriptive et éthique des relations marchandes et monétaires est ajustée aux échanges entre partenaires individualisée et abstraits qui ne sont a priori rien les uns pour les autres et ne sont pas destinés à rester solidaires, elle n’épuise pas l’ensemble des désirs humains et des relations entre les hommes qu’ils génèrent : tout rapport humain d’échange n’est pas marchand et tout désir n’est pas désir de posséder un bien ou de jouir d’un service dont la valeur serait mesurée et quantifiable. Mon hypothèse est que le désir humain fondamental est celui de se reconnaître soi-même comme valeur dans les relations que chacun entretient avec les autres en tant qu’être conscient et jugeant; or la conscience et l’amour de soi ne peuvent s’affirmer seulement dans la compétition des intérêts et la juste rétribution du service rendu, mais aussi dans le sacrifice moral, l’amour de dieu et des hommes, la recherche du pouvoir, l’amour érotique etc.. ; ces différentes stratégies n’obéissent pas aux mêmes normes et conventions régulatrices que celles des relations marchandes et, lorsque que l'on confond les différent jeux du désir, elles peuvent même leurs être plus ou moins contradictoires . Un même individu peut parfaitement jouer au commerce d’argent entre 9 et 12 heures, au commerce amical et convivial entre 12 et 14, à la lutte pour le pouvoir l’après-midi et au commerce érotique le soir tout en restant cohérent avec les différents contextes de jeu et peut, en satisfaisant la souplesse multiforme de son désir, se reconnaître dans sa valeur, c’est à dire sa puissance d’agir sans se contredire. Mais s'il applique à un contexte de jeu les règles d'un autre contexte, ou s'il prétend que les mêmes règles morales doivent valoir pour toutes les relations humaines (impératifs absolus ou catégoriques), alors il se trouve dans l'impossibilité de jouer efficacement des jeux différents et se condamne à de l'échec (héroïque?) ou au cynisme qui prétend réduire toutes les relations humaines aux relations marchandes en s'interdisant d'autres relations (ou jeux) possibles ou en les détournant de leur sens.
La grande différence, en effet, entre les jeux marchands monétaires et les jeux de pouvoir et d’amour c’est que les seconds mettent les individus en position de se désirer les uns les autres directement. Précisons les choses : lorsque les acteurs se rencontrent sur le marché, chacun ne s’intéresse qu’à l’objet et au service rendu dont il cherche à s’approprier la valeur d’usage et symbolique au moindre coût sans considérer le désir de l’autre autrement que comme le moyen contraignant de parvenir à sa fin ; dans les jeux de pouvoir, d’amitié et d’amour le désir de l’autre est à la fois le moyen et la fin ; si un échange d’objet et de service s’opère cet échange vise à satisfaire le désir que chacun à d’obtenir le désir de l’autre ; le désir de l’autre est donc l’objet du désir en tant que l’autre est le sujet plus ou moins conscient de son propre désir. Dans le pouvoir et l’amour, le désir du sujet se fait désir du désir de l’autre dont il cherche à être l’objet en tant que moyen et fin du désir de soi (amour de soi), fondement du désir d’être heureux dans et par la relation-reconnaissance réciproque qu’ils produisent. Le pouvoir réside bien en effet dans la rencontre entre le désir de dominer de l’un et le désir d’être dominé de l’autre ; une domination qui s’imposerait par le terreur ou la corruption monétaire seules serait illégitime et forcément contestable donc instable; dès lors qu’elle nierait le désir du dominé elle provoquerait une résistance qui dévaloriserait à terme la reconnaissance que recherche celui qui prétend dominer. Par son désir de pouvoir, en effet, le dominant cherche à obtenir la soumission consentie de l’autre en tant que celle-ci exprime la supériorité universellement reconnaissable du dominant, laquelle passe par l’acceptation désirée par le dominé de son indiscutable infériorité. Le motif pour lequel le dominé se reconnaît comme tel est qu’il voit dans sa domination non seulement le résultat instable d’un rapport de force contraignant mais la réalisation de son désir d’être protégé de la déréliction et valorisé par identification avec les buts du dominant et le jugement positif d’un supérieur à son égard. Cette supériorité est mise en scène dans l’imaginaire des individus par les rituels sociaux collectifs associant les corps et les paroles; cette mise en scène la représente en tant que supériorité objective voire quasi naturelle car prouvée par la pratique sociale et politique auto-réalisatrice : si tout le monde y croit, par l’effet d’une mise en scène collective frappante mettant en jeu des symboles quasi religieux de valeurs présentées comme transcendantes, cela marche objectivement (collectivement) et si cela marche objectivement tout le monde croit que c’est vrai et indépassable ; chacun est alors distribué et établit sa propre stratégie dans le cadre des rapports symboliques de pouvoir et de la reconnaissance de soi; et cela, en fonction de sa position originaire sociale objectivée symboliquement médiée par le conscience et l’expérience subjective (fruit de son histoire personnelle depuis l’enfance) qu’il en a; ce double jeu du social et de l'expérience consciente personnelle va produire le degrés de soumission ou de révolte vis-à-vis des valeurs sociales et des régulations symboliques et conventionnelles dominantes visant à assurer la domination des dominants sur les dominés dans la conscience d’eux-mêmes qu’ils en ont, les uns et les autres (jeux de rôles). 
Or le rôle de l’argent quant à la question des relations du pouvoir est ambivalent : D’une part il est un instrument extrêmement puissant pour obtenir l’obéissance de qui en désire grâce au service ou au bien qu’il peut fournir en contrepartie ; et d’autre part l’argent n’agit qu’à très court terme puisque si l’on peut acheter la force de travail ou le bien d’un individu dans un temps limité et mesuré, on ne peut acheter sa fidélité durable : libre en effet à celui qui vend sa force de travail de trouver mieux offrant ailleurs et de faire jouer la concurrence à son profit. L’argent ne crée aucun attachement durable, elle ne met en jeu qu’un pouvoir anonyme par nature éphémère et laisse chaque partenaire libre de faire défection à sa convenance. C’est en cela, nous l’avons vu, que la relation d’argent est par nature libérale et c’est pour cela que, tous les salariés le savent, la lutte pour le pouvoir d’achat se confond avec la revendication de la dignité et de l’autonomie.
 
 Ainsi, l’argent est bien corrupteur, mais il corrompt les relations de pouvoir stables, figées et statutaires au profit de relations instables qui laisse à chacun son autonomie stratégique formelle exprimée par le contrat commercial ou de travail toujours révisable ou contestable. Dans ces conditions celui qui domine par l’argent ne peut reconnaître son pouvoir ou sa puissance personnelle à travers le domination qu’il exerce : il sait qu’on lui obéit non pour ses éminentes qualité mais pour l’argent dont, ici et maintenant, il dispose et dont le hasard pourrait le déposséder. La relation d’argent dépossède le dominant de sa domination : c’est l’argent impersonnel et l’autonomie relative et réciproque qu’il rend possible qui domine à la fois le dominant et le dominé en un jeu dans lequel ni l’un ni l’autre ne peuvent s’approprier un statut et un rôle durables et indiscutables. Le pauvre peut toujours prétendre s’enrichir : c’est pour lui un droit et le riche sait que sa richesse ne suffit pas à le garantir contre la concurrence de tous les autres ; la compétition est toujours ouverte, c’est pourquoi le riche tentera toujours de persuader le pauvre qu’il le domine pour d’autres raisons : compétence, qualités morales etc.. et que son argent il le doit à son mérite intrinsèque et non à la chance ou à
 la ruse. Mais il est clair que cette justification ne vaut que pour ceux qui sont dominés pour et par autre chose que l’argent : religion, séduction, , besoin de sécurité, identification imaginaire et admirative...Le pouvoir est d'essence aristocratique; il a besoin pour s'affirmerr durablement de faire croire au "mérite naturel" propre de ceux qui en disposent; pour cela, ceux-ci se doivent de cultiver ce par quoi il se prétendent au-dessus des autres, à savoir l'honneur. 
Qu'est-ce que l'honneur? C'est le fait de faire croire que l'on incarne dans son être et ses actes des valeurs supérieures absolues pour lesquelles on est prêt à sacrifier ses intérêts et sa vie; l'homme de pouvoir ne craint  ni la ruine ni la mort et c'est par quoi il est supérieur et peut prétendre exercer sur les autres une autorité lègitime au nom de valeurs transcendantes que tous reconnaissent. Vivre pour s'enrichir, exercer un pouvoir sur les autres pour gagner de l'argent en s'enrichissant sur leur dos est contradictoire avec l'honneur qu'exige tout pouvoir légitime et durable.Qui veut exercer un réel pouvoir et canaliser à son profit le désir de soumission doit utiliser d’autres armes que l’argent : la terreur humaine et/ou religieuse ou la séduction honorifique (charisme).
 
Au contraire, l’argent met en jeu des relations de pouvoir instables, contestables mais du même coup ouvertes et donc plus démocratiques. C’est pourquoi démocratie et économie marchande sont liées et que leur opposition conjoncturelle est, à terme, nécessairement une menace pour l’une comme pour l’autre.
 Quant au jeu de l’amitié et de l’amour ; le conflit et l’ambivalence avec le rôle, la valeur de l’argent et les règles de son usage sont pires encore. 
L’amour et l’amitié exprime le désir d’être aimé par l’autre pour soi-même pour mieux s’aimer soi-même ; cette exigence est pour le moins problématique. L’amant désire le désir de l’autre comme preuve de sa valeur mais il n’est jamais assuré que l’autre l’aime vraiment, c’est à dire durablement ; il est donc tenté, pour obtenir le signe de ce désir de l’autre qu’est le plaisir qu’il suscite chez l’autre, d’utiliser l’argent, s’il en a, comme moyen de séduction C’est à dire de faire plaisir par des dons à forte valeur monétaire, moyen qui parait efficace sur l’instant et qui l’est en effet dès lors que ce cadeaux est accepté. Mais cette efficacité s’accompagne nécessairement du doute quant à la qualité de cet amour : s’agit-il de l’amour de l’argent ou de l’amour de la personne qui séduit par l’argent ? Le séducteur, sans son argent, serait-il aimable ?
 
Si oui, alors l’argent n’est pas un bon moyen d’obtenir la " preuve " d’amour que l’amant recherche et sinon le sujet ne peut sans illusion, un jour ou l’autre nécessairement déçue, croire qu’il est aimé pour lui-même. Dira-t-on qu’il suffit d’obtenir le plaisir de l’autre par tous les moyens ? non car le client ne peut être trompé sur la valeur du plaisir sensuel de la prostituée : dès lors que l’argent est la seule motivation du service sexuel rendu celui-ci ne peut être qu’une comédie plus ou moins bien jouée en aucun cas la rencontre sensuelle du désir de l’un avec le désir de l’autre qui seule valorise les signes de l’amour réciproque car seule elle met en jeu l’imaginaire intime et corporel de chacun. Ce qui vaut pour l’amour explicitement érotique vaut aussi pour l’amitié, sauf que dans ce cas la preuve érotique de cette rencontre manque ! La durée de l’amitié, par delà toute relation marchande, peut seule valoir de preuve.
 
Mais l’argent peut-il servir aux jeux de l’amour et de l’amitié ? oui mais à condition de subordonner sa finalité propre, le profit pour soi-même, au profit de celui qu’on aime et du plaisir partagé qu’il contribue à produire. C’est dire que l’argent ne peut ici être maître du jeu : la dépersonnalisation que provoque les rapports marchands risque toujours de tuer toutes relation intime d’affection ; c’est au contraire en personnalisant la relation d’argent que celle-ci peut servir aux jeux de l’amour et de l’amitié mais alors il ne s’agit plus de rapports marchands ! On n’est plus alors dans le un cadre public mais dans un cadre strictement privé : l’amour dans les société à économie marchande n’est plus, en droit, socialement contrôlable, sauf exception réactionnaire et contraire au droit moderne, s’il n’est pas un jeu antisocial, il s’affirme asocial ; l’amour, dans les sociétés modernes, ne relève, en droit sinon en fait, que de la libre décision individuelle. ; alors que le jeu marchand impose l’universalité impérative abstraite de la relation client-fournisseur, L’amour et l’amitié prétendent mettre en oeuvre un don réciproque dont le contenu réel, qui fait l’objet d’échanges extrêmement personnalisés (je n’aime pas n’importe qui et ne veut pas être aimé par n’importe qui), même incarné dans des biens et des services, est incommensurable car purement qualitatif.
Est-ce à dire que le jeu marchand n’exerce aucune influence sur les relations amoureuses et amicales ? L’expérience quotidienne montre, que les couples d’amis et d’amants voire les familles manifestent aujourd’hui ouvertement, comme dans les rapports d’argent, l’exigence du retour de l’investissement affectif que chacun a consenti vis-à-vis de ou des autres et que, lorsque cette exigence n’est pas satisfaite, la relation peut être dénoncée et défaite sur simple décision individuelle : chacun sait que le mariage peut se terminer par un divorce sans faute ni sanction ; si l’amour donne, il attend un contre-don et la satisfaction de cette attente est, à terme, la condition de la perpétuation de l’amour ; en un sens cela n’est pas nouveau : les anthropologues ont montré que la logique du don s’inscrit toujours dans le jeu de la dette ; qui reçoit est l’obligé, le débiteur, de celui qui donne ; mais cela, dans les sociétés traditionnelles, n’était pas explicité dans le cadre d’une revendication individuelle négociable, mais l’obligation était l’effet mécanique d’une convention sociale régulatrice prédéfinie donnant lieu à des sanction lourdes pouvant aller jusqu’à la mort ou l’exclusion du débiteur coupable d’ingratitude ou de trahison. 
Ainsi, dans la jeu moderne de l’amour, chacun a le droit social, sinon moral, de trahir à sa guise ses engagements privés sans être puni, et cela, pour la bonne et simple raison que l’amour appartient à la sphère privée ; Ainsi, sous L’influence du jeu et des rapports d’argent, l’amour et l’amitié sont à la fois vécus comme des échanges négociables dont les contenus doivent être évalués sinon comptabilisés par chacune des parties et, en même temps,  comme des échanges dont les contenus ne sont pas réductibles à des valeurs marchandes. : L’amour est bien devenu un échange de services affectifs et sexuels négociés, mais n’est pas vécu comme compatible avec la prostitution par la simple raison que chacun recherche en priorité les signes du désir et/ou de l’attention plus ou moins exclusifs et non quantifiables de l’autre à son égard. Le jeu socialement dominant de l’argent fait donc de l’amour un jeu libéral, mais par opposition, plus compliqué, car tout à la fois plus individuellement exigeant et moins socialement réglé ; bref un jeu dont les règles sont à inventer par consentement mutuel pendant la partie et par les partenaires. Le " je t’aime - moi non plus " de la chanson de Guinsbourg exprime à la perfection la difficulté de ce jeu.
 
De plus un grand nombre de jeux semblent mettre à contribution des logiques de régulation différentes voire opposées ; ainsi les relations amoureuses ou amicales sont souvent associées à des rapports d’intérêts financiers ou de prestige sous-jacents ; mais il s’agit toujours d’un double jeu ; l’amour et l’amitié étant le plus souvent les masques de l’intérêt, d’une part celui-ci ne peut s’exhiber comme tel sans être voué à l’échec, d’autre part la preuve est requise pour ceux-là de n’être en aucun cas compromis avec une simple affaire d’argent ; ce qui oblige à une gymnastique du mensonge perpétuelle qui finit mal car une telle preuve se dénonce une jour ou l’autre pour ce qu’elle est. : une tartuferie.
 
Un double jeu positif consiste au contraire à s'efforcer de stabiliser une relation amoureuse ou amicale par nature problématique en lui adjoignant un enjeu économique mutuel à long terme; mais un tel jeu de la solidarité intéressée et intéressante doit être fondée sur un rapport des forces égalitaire entre les partenaires du jeu et une entente négociée sur les objectifs poursuivis; celle-ci n'exige aucune valeur transcendante préétablie mais elle implique des procédures rationnelles de traitement des contradictions , non pour les supprimer, mais pour rechercher un compromis ressenti comme mutuellement avantageux. Cette attitude, nécessairement pragmatique, exclut tout dogmatisme quant à la valeur des valeurs qui contraindrait de s'entendre a priori sur les objectifs communs prioritaires; si elle interdit de croire à des valeurs absolues, elle refuse la fusion identificatoire fantasmatique pour considérer l'amour comme une lutte entre les désirs de chacun du désir de l'autre, désirs toujours différents, qu'il convient de faire dialoguer pour les accorder sur des compromis mutuellement acceptables (à chacun d'en juger!) et faire de l'entreprise à deux une bonne affaire pour chacun. L'argent intervient alors dans la gestion de la compatibilité durable des désirs amoureux ; mais plus que simple moyen, il devient le signe social et symbolique c'est-à-dire tangible et objectif que l'accord amoureux du désir de chacun du désir de l'autre est productif; c'est-à-dire mutuellement avantageux.
Ainsi l’argent, comme valeur socialement dominante, d’une part met en crise libéralisatrice le ou les pouvoirs idéologiques, politiques et sociaux communautaires ainsi que les relations d’attachement particuliers en les excluant de la sphère publque pour les subordonner et les confiner à la sphère de la vie privée ; (en cela, démocratie et liberté individuelle d’association-PACS compris- sont bien les deux faces d’une même médaille) et d'autre part fait que l’individualisme de principe, auto-réalisateur de l’économie de marché, se diffuse dans toutes les relations humaines non-marchandes comme fondement de l’éthique régulatrice de la vie publique et privée. En cela l'argent corrompt toutes les autres relations humaines en les piratant ou en les obligeant à se redéfinir comme relations toujours problématiques entre des désirs individuels sans valeur transcendantes (religieuses et/ou politiques) fondatrices et identificatrices qui permettraient de les fusionner.
Cette ambivalence socioculturelle de la valeur de l’argent produit nécessairement des conséquences politiques contradictoires et d’abord celle entre la réalité inégalitaire des rapports d’intérêt et d’argent et la revendication égalitarisme que l'individualisme de principe que génère les relations d'argent pose comme condition juridique et universelle fondamentale du jeu marchand. Cette contradiction est celle qui anime centralement la vie démocratique dans les sociétés modernes.
 3)  Argent et politique. 
  Si le rapport d’argent libèrent de l’asservissement à la contrainte du devoir moral transcendant, s’ils libèrent les individus des allégeances traditionnelles non-choisies, ils n’interdisent pas les rapports d’exploitation et de domination car les richesses et les pouvoirs inégaux qu’ils mettent en œuvre autorisent ceux d’en haut (les riches, les propriétaires) à utiliser les talents et la force de travail-marchandise de ceux d’en bas (les prolétaires-salariés) pour accroître leur avantage et leurs privilèges. Les rapports entre le capital et le travail sont forcément déséquilibrés au profit de qui détient les moyens de production et d’échange pour s’approprier les richesses produites par la production et l’échange des biens et des services. La question de l’inégalité sociale est bien, dans le rapport entre les égoïsmes, la question éthique essentielle de l’économie libérale.
 
Cette inégalité, dans la société moderne, est tout à la fois présentée comme légitime dès lors qu’elle semble être le résultat de contrats marchands négociés et sanctionner les mérites économiques des uns et des autres dans le cadre de la libre concurrence. et d’autre part elle apparaît bien, à l’expérience, comme la conséquence de rapport sociaux, déséquilibrés au départ, entre les nantis de la fortune et de la culture et les autres. Les inégalités s’auto-entretiennent et l’égalité des chances condition d’une réelle compétition concurrentielle s’impose à ceux d’en bas comme une illusion mystificatrice. Dans les sociétés traditionnelles les inégalités étaient justifiées par le recours à la nature des choses et à la religion qui prétendaient fixer définitivement les statuts fixés par la volonté divine ou à la mise en œuvre d’un ordre naturel immuable ; leur contestation était étouffée dans l’œuf ou bien faisaient l’objet de sanctions humaines et divines, réelles et imaginaires, littéralement épouvantables ; dans la société formellement libérale cette contestation est permise et justifiable car fondée sur le principe de l’égalité des droits : l’inégalité sociale devient explosive parce qu’elle à la fois justifiés par la compétition et injustifiable par le fait que celle-ci est biaisé par le jeu des rapports de force et d’argent qui
 la reproduit. Cette contradiction interne oblige les états à mettre en œuvre des règles de redistribution et de justice sociale (éducation, droit du travail, droits sociaux..) qui tentent de faire croire à l’égalité des chances, en s'efforçant de faire que nul ne se sente, à tord ou à raison, exclu du jeu des échanges et de l'argent. 
C'est pourquoi la contradiction entre l'inégalité réelle des conditions réelles d’exercice des droits et l'égalité formelle de ces mêmes droits est au centre de la lutte, politique ou non, entre les nantis et les autres; mais cette lutte devient d'autant plus vive , voire violente et socialement dangereuse (terrorisme, violence urbaine, drogue etc..) que les pouvoirs politiques et les états sont affaiblis par la mondialisation des échanges économiques et financiers dont le contrôle leur échappe. Une grande partie de la population dans le monde se trouve exclue de fait de la compétition en vue d'assurer leur désir de promotion économique. Le pouvoir des décideurs économiques, en fait de la minorité de ceux qui gèrent le capital mondialisé, s'impose au pouvoir politique régional des états dont le rôle ne consiste plus à mettre en œuvre des procédures de régulation restaurant la croyance dans l'égalité des chances, mais à mater les révoltes infra politiques que génère la montée de la précarité et de l'exclusion pour le plus grand nombre. La démocratie, qui suppose que le plus grand nombre croit dans la capacité de la politique à instaurer une forme de solidarité favorable au plus grand nombre et à établir les conditions d'une réelle égalité des chances dans la compétition sociale, est alors menacée par un capitalisme particulièrement aveugle aux conséquences sociales et culturelles de l'aggravation des inégalités réelles qui compromet l'idée même de d'égalité des chances ainsi que la confiance des citoyens dans la démocratie; une telle perte de confiance entraîne alors nécessairement la violence infra politique, la tentation de la dictature de droite ou de gauche et la xénophobie, voire le racisme ouvert. La capitalisme est alors lui-même menacé dans sa capacité à instaurer des règles de droit et les conditions politiques économiques nécessaires à sa survie et à son développement: les droits de la propriété et de l'échange contractuel sont bafoués par une économie mafieuse criminalisée ou blanchie; la démocratie égalitaire et libérale fondement de la légitimité apparente du jeu de l'argent est décrédibilisée, et la consommation tend à ne plus concernée qu'une minorité de nantis se protégeant contre la jalousie haineuse des autres.
 
De plus une autre dérive de l’usage de l’argent comme moyen de spéculer à très court terme se développe aujourd’hui sans frein dès lors que les états ne peuvent plus ni réguler et ni contrôler la circulation monétaire ; chaque investisseur particulier ou institutionnel à intérêt à investir là où il peut croire par imitation grégaire en une montée rapide auto-réalisatrice des valeurs mobilières , quelque soit la réalité économique , qu’il ne peut prédire ni maîtriser, et le rendement à long terme de ses investissements. Lorsque des investisseurs exigent un rendement de 12 à 15% dans l’année pour maintenir leurs investissements dans des entreprises, celles-ci sont alors forcées à recourir à des moyens de rentabilité qui compromettent les conditions et les ressources humaines et financières d’un développement à long terme de leurs activités : elles licencient, limitent la formation de personnel, externalisent tout ce qui est moins rentable, réduisent le poids relatif du secteur " recherche et développement " quand elles ne se livrent pas à leur tour à la spéculation financière sur les produits dérivés (spéculation sur les prix à terme des matières premières et produits, des valeurs mobilières, voire des indices de prix) sans rapport avec leurs activités de production ou de services. Le long terme est alors sacrifié au court terme ce qui provoque alors des bulles spéculatives qui accroissent les richesses financières sans causes, c’est à dire sans accroissement réel de la valeur des biens et des services rendus aux consommateurs. Mais ces bulles un jour ou l’autre éclatent lorsque les créances douteuses ne sont plus remboursables par le fait de cet absence de création de richesses réelles ; en dernier ressort les banques centrales et les institutions financières mondiales sont alors obligées, pour éviter l’effondrement systémique du système financier et économique mondial, d’intervenir pour prendre en charge tout ou partie de la dette accumulée. Comment ? en utilisant l’impôt ; ce qui s’appelle socialiser les pertes pour optimiser la privatisation incontrôlable des profits privés. Cette " économie-casino " soumet alors l’économie réelle à sa loi, aux dépends des contribuables, c’est-à-dire pour l’essentiel de ceux qui travaillent ou qui investissent " petit " (les gros organisent l’évasion fiscale vers les paradis offshore, soutenus par les états !). Le fin du fin de la logique financière actuelle, c’est, dès lors que l’on est un gros investisseur, d’échapper au risque spéculatif par le recours aux institutions politiques, que l’on disqualifie par ailleurs si elles prétendent exercer un contrôle régulateur et limitateur des profits spéculatifs. Le thème démagogique " moins d’état, moins d’impôt ! " apparaît alors pour ce qu’il est : une tartuferie destiner à masquer la volonté de faire fonctionner les institutions politiques au service des plus riches et aux dépends des plus pauvres, de l’économie spéculative aux dépends de l’économie réelle profitable aux plus grand nombre.
 
Mais la mise en œuvre par les responsables et institutions politiques de cette volonté aggrave à terme les conditions générales économiques, sociales politiques voire idéologique de reproduction du capitalisme globalisé, y compris financier, en aiguisant les conflits sociaux et internationaux et en aggravant la spéculation financière pure et parfaite autodestructrice.
 
Les conséquences logiques de cette analyse sont, à mon sens, les suivantes:
      - Le capitalisme ne peut durablement se développer sans la démocratie, c'est-à-dire la croyance pour le plus grand nombre dans le progrès social et le contrôle politique de la mise en œuvre de ce dernier par le biais du suffrage universel ; mais sa puissance tend à transcender le pouvoir politique démocratique et à détruire ses propres conditions politiques de survie. 
- Le libéralisme individualiste (primat des droits individuels sur les conditions collectives de l’exercice de ces droits) est bien la seule philosophie compatible avec l'économie marchande et la démocratie politique; mais cette compatibilité ne va pas de soi: elle suppose la restauration du rôle de la politique afin de réguler la vie économique et sociale.
 
- Le libéralisme économique sans le développement du libéralisme politique qui exige la reconnaissance des droits sociaux et des conditions collectives de l’exercice de ses droits individuels par chacun (son droit au bonheur par et pour lui-même) n'est qu'une mystification contradictoire avec son essence.
 
- On ne peut combattre le faux libéralisme réellement inégalitaire qu'en lui opposant un libéralisme authentiquement universel, c'est à dire économique, social, culturel et politique dans un cadre mondialisé. Tout retour vers des valeurs communautaires ou communistes, politiques et /ou religieuses socialement dominantes, est, dans uns nécessairement une menace d'intégrisme liberticide.
 
        Entre la religion et l'argent il faut choisir la démocratie individualiste et sociale par l’argent, ce qui suppose la restauration de l’autorité politique et d’abord son autonomie par rapport aux puissances d’argent dominantes afin de faire du pouvoir de l’argent un pouvoir démocratisable en lui-même et dans ses conséquences ; cette autonomie et cette autorité imposent évidemment des règles destinées à lutter efficacement contre la corruption des institutions et des hommes politiques démocratiques (à commencer par la transparence sur le financement des partis et des hommes politiques, sa limitation et sa régulation), mais cela ne suffit pas : il convient de d’établir surtout l’autorité régulatrice et le pouvoir de sanction d’institutions politiques en voie de mondialisation. Les état-nations sont entrés dans une phase de déclin inéluctable ; les problèmes économiques et écologiques, les rapports sociaux, idéologiques, politiques et militaires se sont irréversiblement transnationnalisés. Tout retour en arrière sous le thème d’un " républicanisme national " est une absurdité soit stérile (nationalisme de gauche) soit catastrophique (nationalisme de droite).
          Conclusion :
         Que faire vis-à-vis du pouvoir de l’argent ?
         2 stratégies sont offertes : celle de la lutte frontale contre ce pouvoir comme force dominante de la vie sociale, ou celle de sa régulation au profit du plus grand nombre.
        La première ne peut que s’enfermer dans la logique suicidaire d’une morale politique communautaire plus ou moins religieuse. Elle a du reste déjà perdu la guerre : pour des raisons de survie et de pouvoir, la religion s’est définitivement acoquiné avec la logique de l’argent et en subi les implications individualistes. Quant à la politique, elle ne peut plus prétendre restaurer l’ordre nationaliste ancien sans prendre le risque de la guerre d’extermination totale de l’espèce humaine. 
Or la société en cours de mondialisation est devenue un gigantesque lieu pluraliste d’échanges économiques et symboliques entre groupes et individus qui revendiquent leur autonomie et le droit de construire leur stratégie propre dès lors qu’elle peut être rendue compatible avec celle des autres par l’intervention d’une régulation politique qui fait que chacun peut croire exprimer son droit au bonheur ou, ce qui revient au même, à
 la dignité. Dans ses conditions, seule la seconde apparaît souhaitable et réaliste. Réguler en l’universalisant réellement et non pas seulement formellement le pouvoir de l’argent est le seul moyen de construire une société décommunautarisée, froide mais viable ; en pratiquant la justice par le droit ( individuels et sociaux) plus que par la charité ou la solidarité émotionnelle une, telle société doit se donner les moyens économiques, juridiques et politiques de faire respecter le droit à la vie personnelle par rapport à la vie sociale pour laisser toutes leurs chances à d’autres logiques du désir possibles et peut être plus fondamentales que celle de l’argent, sous condition de leur compatibilité avec l’exigence socialisée de l’autonomie individuelle et de la non-violence physique ou psychologique : celle de l’art et de l’amour. Qui sont deux dimensions de la vie érotique plus riche et plus créatrice dans la perspective de l’accomplissement de l’amour altruiste de soi.
         L'éthique du capitalisme
          La morale puritaine, comme l’a fait remarquer M.Weber, est une des morales de transition vers le capitalisme : comme le puritain ne sait pas s’il fait partie des sauvés ou des réprouvés, il doit s’imposer une conduite qui lui donne au moins l’espoir d’être parmi les élus par des signes moraux et matériels : il doit se conduire d’une manière sexuellement et familialement pure et affirmer cet espoir par sa réussite économique ici-bas, dès lors qu’elle est la conséquence de sa capacité à produire et à vendre honnêtement. Cette métaphysique morale a permis de libérer l’économie des tabous catholiques ou autres qui faisaient du salut une récompense pour le refus des plaisirs et de l’intérêt matériels ici-bas au nom de l’amour universel (tous seront sauvés ou pourrons l’être à condition d’obéir à Dieu) et du désir de l’enrichissement personnel, un péché contre les autres et Dieu : « il est plus difficile pour un riche d’aller au Paradis que pour un chameau de passer par le trou d’une aiguille » 
Mais cette morale qui a accompagné le capitalisme de l’accumulation primitive est devenue contradictoire avec le capitalisme triomphant de la production et de la consommation de masse dont la logique est de marchander l’ensemble de la vie sociale (cf. K .Poliany : La grande transformation) ; cette marchandisation passe par la promotion publicitaire d’une éthique du bonheur ici-bas non métaphysique : celle du pouvoir et du droit des individus à accroître leur capital économique et symbolique qui seul peut valoriser chacun aux yeux des autres et au siens dans la poursuite compétitive de ses désirs propres conditionnés par l’offre économique : Cette éthique autonomise la vie économique et sociale de toute référence éthique extérieure : l’argent est à la fois fin et moyen de la réalisation de soi et de l’optimisation du bonheur individuel ; dès lors que la compétition est régulée pour faire croire à chacun qu’il peut y participer avec quelque chance de s’en tirer (voir le modèle sportif comme régulateur des comportements sociaux), la recherche par chacun de son intérêt propre est justifiée.
 
Or cette optimisation du bonheur personnel valorisé implique le primat de la vie privée sur la vie sociale et collective ; ce qui veut dire que chacun est sommé tout à la fois de passer du temps à participer à la compétition sociale et de se donner, voire de revendiquer du temps, afin de promouvoir, par sa consommation personnelle ou autrement , son bonheur privé. Injonction contradictoire et c’est cette contradiction qu’il faut exploiter si l’on veut élargir le libéralisme jusqu'à y inclure le droit de l’individu à construire sa propre stratégie selon d’autres jeux que le jeu économique et marchand (Amour, art, culture etc.)
          Sylvain Reboul, le 02/02/99.
         Peut-on faire confiance au capitaliste ? Droit social et universalité du droit.
         Je ne vois aucune opposition entre les droits universels et les devoirs qui en découlent nécessairement. 
Mes droits sont ceux des autres et m’imposent donc de les respecter (devoir) chez les autres.
 
Là où droits et devoirs s’opposent c’est lorsque les devoirs n’impliquent aucun droit universel. Ceux-ci deviennent alors les droits des autres, mes supérieurs, contre mes droits. Et la confiance dans les autres dès lors qu’ils prétendent avoir des droits qu’ils me refusent se dissipe alors instantanément. C’est donc l’inégalité des droits réels et des devoirs réels qui est au cœur de toute crise de confiance.
 
Et le pire de la défiance advient lorsque cette inégalité des droits est déniée par ceux-là mêmes qui détiennent un pouvoir réel d’oppression et d’exploitation et/ ou qui ne font de l’égalité qu’un mensonge instantanément dénoncé. par le pouvoir réellement à sens unique qu’ils exercent sur leurs subordonnés.
 

C’est pourquoi le capitalisme porte la défiance comme les nuées portent l’orage.
 
Et c’est aussi pourquoi l’état démocratique doit toujours restaurer les conditions de droit (droit social) d’une confiance dont la capitalisme a besoin pour survivre. Le prétendu libéralisme du capitalisme socialement "sauvage" n’est qu’un leurre et un réel despotisme s’il n’est pas politiquement soumis à des règles de droit social en vue de rétablir ou de réduire les inégalités qu’il génère.
Le
 07/08/08
                                                                                       Introduction :
         Je voudrais d’abord signaler une équivoque concernant le terme de libéralisme pour la lever : chez nous le mot, sous l’expression de néo-libéralisme, est synonyme de capitalisme sauvage et de la liberté d’entreprendre des seuls détenteurs des capitaux aux dépens des salariés, alors qu’aux USA le terme est connoté à gauche ; il désigne le courant culturel et politique qui fait de progrès social et des libertés concernant les mœurs et les opinions la conditions de la liberté individuelle. Or, si on se rapporte à l’origine philosophique du terme c’est à l’évidence le sens nord américain qui s’impose car le libéralisme est une invention des Lumières contre les formes conservatrices traditionnelles-religieuses et inégalitaires  du pouvoir sociétal pour promouvoir le progrès politique, social et culturel pour tous. Ma thèse sera ici de montrer en quoi cette équivoque procède d’un véritable détournement de sens visant à présenter les progressistes comme des ennemis de la liberté, comme des antilibéraux, sinon des totalitaires voulant asservir les individus à la toute puissance de l’état ; ce détournement vise à faire consentir le plus grand nombre aux mesures les plus anti-sociales d’un capitalisme dérégulé
         Mais ce détournement est pire encore dans ses effets politiques lorsque les progressistes le reprennent à leur compte pour dénoncer le libéralisme en général en oubliant son sens authentique. Le but de mes interventions sera donc de rétablir ce sens originaire afin de redonner au libéralisme ses lettres de noblesse progressistes et d’opposer au pseudo-libéralisme, non un antilibéralisme politiquement dommageable (tous les totalitarismes se sont réclamés de l’antilibéralisme), mais un authentique libéralisme au sens progressiste et social du terme, en montrant en quoi ce détournement est philosophiquement fallacieux et politiquement dangereux.
        Le libéralisme philosophique apparaît au XVII et XVIII ème  comme une rupture radicale avec la vision chrétienne traditionnelle idéale de l’homme social: là ou celle-ci pense la sociabilité idéale (bonne et juste pour tous), comme fondée sur un altruisme plus ou moins sacrificiel de soi aux autres, à l’ordre hiérarchique divin,  au seigneur, au roi et à Dieu, celui-là pense la société comme un agrégat d’individus-propriétaires de leur corps, de leur esprit et de leur biens, égaux entre eux en droit sinon en fait, dont il faut défendre l’autonomie vis-à-vis des puissances politiques et religieuses et poursuivant leur intérêt propre, qu’ils savent mieux définir que quiconque, dans le cadre de relations d’échange  soumise au seul principe régulateur de réciprocité  donnant/donnant. Tout pouvoir collectif ne peux valoir comme légitime (juste et consenti) qu’en vue de définir, de préserver et de garantir leur droit à faire valoir leurs intérêts personnels, dès lors que ceux-ci sont rendus également compatibles par la loi avec ceux des autres, contre qui et en particulier les puissants, fussent les gouvernants, pourraient utiliser leur pouvoir pour les soumettre à leur domination, les voler ou les détruire. Ni Dieu ni maître absolus (sauf pour Hobbes, cas charnière paradoxal, nous y reviendrons) ne peuvent et ne doivent faire que les individus se plient sans conditions à leur volonté ou désir. Chacun ne doit travailler au service d’un autre que si celui-ci en fait autant dans le cadre d’un contrat négociable garanti par la puissance publique. Pas d’allégeance personnelle, chacun ne s’appartient qu’à lui-même. Toute puissance extérieure, qui ne serait pas approuvée et donc déléguée, est illégitime dès lors qu’elle n’est pas une puissance bénéfique aux intérêts mutuels, et non pas communs, de chacun. L’intérêt est, en effet, tout ce qui contribue à la mise en œuvre du droit bonheur ici-bas de chacun et non pas au prétendu bonheur collectif de tous qui ne peut être qu’une fiction absurde.
         Ainsi cette liberté individuelle, spontanée, voire naturelle, nous y reviendrons, est de fait ego-centrée, voire égoïste ; chacun est à lui-même sa propre fin et fait des autres, dans le meilleur des cas un moyen, et dans le pire un obstacle-concurrent à écarter, sinon à détruire. Elle implique la capacité reconnue  d’entreprendre sans se soucier des intérêts des autres, à l’exception éventuelle de ses proches, sinon à ne les considérer que pour se satisfaire soi-même. Plus de fidélité ou d’attachement durables, de soumission à un ordre social immuable, et encore moins transcendant. L’égoïsme est inscrit dans la nature passionnelle des hommes et ce que le christianisme voyait comme un péché originel est un état nécessairement indépassable pour l’immense majorité des individus. Loin de prétendre les transformer, ce qui est impossible sans les terroriser, il faut donc les mettre en condition de satisfaire leur égoïsme sans nuire aux autres. Les saints, s’ils existent, sont au delà de l’humaine condition et une société de saints serait proprement inhumaine. L’idéal de sainteté est, pour l’immense majorité, irréaliste et, de fait, ne peut qu’encourager l’hypocrisie et inciter à la haine violente de soi et des autres.
        Mais  chacun sait, les libéraux en premiers, que la liberté individuelle comme fondement du droit, plus encore lorsqu’elle s’exprime d’une manière privilégiée dans le droit de propriété privée des biens de production et d’échange, n’implique  qu’une égalité formelle et non pas une égalité sociale ou réelle et que cette inégalité réelle risque de compromettre à son tour l’égalité des droits et en particulier celle des chances, pourtant considérée  par les libéraux comme indispensable à la société  libérale qu’ils appellent de leur vœux , c’est à dire à une société qui accorde à chacun le même droit au bonheur et à la réussite.  Pensons à l’héritage économique et culturel : celui-ci ne tarde pas  à introduire des différences en terme de chances et de handicaps  dans la concurrence pour la réussite et l’accès au bonheur. La liberté définie comme la capacité d’agir par pour soi au mieux de ses intérêts est alors dépendante du pouvoir social, des moyens de les obtenir et des ressources au départ inégales que chacun a à sa disposition pour le conquérir. Un société vraiment libérale abolirait l’héritage, mais du même coup prendrait le risque de se mettre en contradiction avec la motivation principale qu’elle reconnaît aux individus, à savoir : agir pour le plus grand profit possible pour soi-même et ceux qui seront nos héritiers. Que ce passerait-il en effet si les individus ne visaient qu’à satisfaire leurs seuls intérêts, sans autre perspective que leur fin de vie ? En vieillissant ils se détourneraient de toute initiative d’enrichissement productif pour ne plus songer qu’à dilapider leurs biens, selon la formule :  « Après nous le déluge ».
         Cette réelle inégalité des chances risque alors de reproduire une société de castes de fait et cela sans aucune justification religieuse ou de mérite aux yeux de ses victimes et devient donc illégitime et contestable au point d’être nécessairement ressentie comme injuste par ceux qui ne bénéficient pas de conditions suffisantes pour faire valoir leur droit, en droit identique, de s’enrichir. Et cela d’autant plus que, sous la forme du salariat, est réintroduite dans les faits la dictature des possédants sur les dépossédés qui doivent vendre leur force de travail pour vivre et se reproduire. Le libéralisme, sous la forme du capitalisme,  apparaît engendrer l’injustice comme les nuées engendre l’orage et cette injustice à son tour compromet la liberté du plus grand nombre qu’il prétend défendre. La légitimité du pouvoir capital et de la propriété privée des biens sociaux que sont les biens de production et d’échange est radicalement compromise par son incapacité à se transformer en valeur valant pour chacun, car son universalité théorique  (tout le monde peut devenir capitaliste ou propriétaire) alors apparaît pratiquement comme une mystification au service des seuls intérêts des possédants dans l’exploitation « légalisée » qu’elle autorise et garantit de la force de travail. Le capitalisme se retourne contre le libéralisme dont il s’efforce sans succès d’exploiter le prestige sous la forme de l’apparente valeur de la liberté universelle (pour tous sans contradiction).
         Si, comme il a été démontré historiquement,  aucune société ne peut être à la fois libérale et réellement égalitaire et que néanmoins une société libérale ne peut se dispenser de se soucier de justice sans prendre le risque de la violence sociale, peut-on sinon résoudre, du moins traiter cette contradiction pour en réduire les effets potentiels de violence et de domination? Peut-on, sans sortir du libéralisme théorique,  penser une société plus juste dans les faits et sinon égalitaire du moins inégalitaire et qui serait libérale ? Si non pourquoi et si oui à quelles conditions et dans quelle limites ?
          Libéralisme politique et droit naturel
         Pour comprendre le libéralisme il faut d’abord comprendre qu’à la fois il vient de la conception chrétienne traditionnelle de la liberté  et qu’il la refuse.
        1-1 Le liberté au sens traditionnel chrétien.
         Les sociétés théocratiques ou fondées sur la référence à une puissante divine transcendante, ne reconnaissent, au mieux, la liberté que comme capacité à choisir entre le bien exigé par Dieu et le mal dont une des sources réside dans la corps et les passions humaines, particulièrement, dans le désir égoïste illimité de possession et de jouissance sensible et sensuelle et la vanité ou l’orgueil.. Ce désir est naturel mais il est aussi source de conflit et de guerre permanente et de violence indifférenciée de tous conte tous (Hobbes); Les hommes ne peuvent vivre sans s’entredétruire qu’en se soumettant volontairement et sous la menace de sanction post-mortem, à la volonté divine inscrite dans des textes sacrés et relayée par l’autorité, morale et politique , des prêtres et des princes investis de la puissance divine. Pour les chrétiens le péché originel  réside d’un part dans la nature corporelle et désirante de l’homme  (la chair) et d’autre part dans le choix du mal humain (la chair) contre le bien divin (l’esprit ou amour de Dieu). La liberté est donc ambivalente, elle est à la fois puissance du mal et du bien. Aussi doit-elle être encadrée par la puissance ecclésiale et politique-spirituelle pour être orientée au bien. Il convient toujours, et ce si possible dès l’enfance, de forcer les hommes à être libres en vue du bien, c’est à dire à faire le choix, à la fois contraint et consenti en vue du salut,  de Dieu, du surnaturel, de l’au-delà paradisiaque de la mort, contre la mal naturel. Alors les hommes seront sauvés grâce à Dieu et contre la partie désirante d’eux-mêmes. Si la liberté est naturelle, inscrite dans la nature de l’homme, elle ne peut spontanément s’exprimer que sous la contrainte salvatrice consentie, indissociable de la foi religieuse. Les droits de l’homme se confondent alors avec le droit divin à exercer sa grâce et sa puissance contre sa nature peccable condition du plein exercice du bon usage de son entière liberté de choix.
        Or cette vision chrétienne traditionnelle de la liberté suppose un monde hiérarchique stable ordonné par les puissances spirituelles (l’église et la pape) et temporelle (le monarque de droit divin) plus ou moins réconciliées par la soumission du second au premier. Lequel ordre exclut nécessairement la pluralisme des croyances et des valeurs, qui dans un contexte fortement théocratique, met en péril l’unité politique et sociale des royaumes, voire la paix civile sous la formes de guerre de religions ; guerres par nature  hyper violentes et interminables car s’auto-justifiant indéfiniment de l’autorité divine absolue contre les mécréants et les hérétiques et les autres confessions désignées comme le mal radical avec qui aucun compromis n’est permis et donc possible, tout au moins en interne. De plus cette vision est incompatible avec le développement des relations marchandes comme modèle général des relations humaines qui opèrent sur une base non hiérarchique égalitaire et contractuelle donc volontaire : celle du donnant/donnant entre valeurs équivalentes exprimables sous une forme monétaire abstraite en vue de la satisfaction des désirs matériels mais toujours aussi symboliques et culturels mutuels d’ individus libres de les manifester sans aucune restriction morale et/ou promesses sacrificielles en vue du salut : dans la relation marchande la libre concurrence permet à chacun de choisir à chaque instant la relation à qui lui propose le meilleur produit au meilleur coût du seul point de vue de ce qu’il estime sont intérêt personnel égoïste qui peut inclure, mais pas nécessairement, ses proches, mais exclu les autres en général. L’intérêt privé est affirmé sans souci d’un intérêt général quelconque, sauf sous la forme d’une agrégation strictement descriptive et arithmétique et non pas normative des intérêts individuels : les tendances du marché. La société tend à devenir une société de marché sans interdit moral transcendant vis-à-vis de l’affirmation du désir de jouir de ses biens et de s’enrichir ici-bas et, plus largement de sa libération des carcans traditionnels religieux opérant au nom d’un bien supérieur antagoniste . Entre dieu et l’argent, il faut choisir (Mathieu).  Et ceux qui ont de l’argent et qui se livre au commerce, y compris de la monnaie, dans le but d’en avoir toujours davantage, feront toujours passer leur intérêts terrestres avant la nécessité de la charité quant ils ne feront pas de celle-ci un paravent de leur avidité. Enfin cette vision chrétienne traditionnelle qui interdit ou fait obstacle à toute remise en question des savoirs et des techniques qui désenchanteraient la vision religieuse et finaliste, sinon fataliste, du monde, désenchantement dont pourtant la développement de la société marchande a nécessairement besoin. Seuls ceux, certains néo-calvinistes anglo-saxons,  qui verront dans  la réussite économique et la richesse capitalistique le signe d’une élection divine due à des capacités morales paradoxalement hautement puritaines (au moins en apparence) tenteront outre-atlantique de récuser hypocritement, consciemment ou non, un tel choix  et feront des inégalités entre riches et pauvres l’expression d’un inégal mérite moral fondé en religion. Sans grand succès dans les pays catholiques ou luthériens. Le dollar deviendra pour les USA, comme vous le savez, l’expression même de la vérité divine. Ce qui continuera à nous choquer comme nous choque aujourd’hui certains aspects de la politique états-unienne qui mêle sans vergogne la religion à l’argumentation politique et la guerre pour le pétrole au combat pour la démocratie et contre l’axe du mal.
         Pour se sortir de la guerre de religion permanente en Europe la tradition chrétienne a d’abord tenté le fameux principe de compromis « un prince, une religion » ; or ce principe aboutissait, sur fond de crise religieuse et de la foi du au développement des sciences et du commerce, à expulser hors de France au profit de la Prusse, par exemple, les protestants les plus dynamiques pour le développement économique et à continuer à pratiquer l’intolérance d’état à l’intérieur. L’échec était alors patent : on ne pouvait concilier liberté chrétienne d’un côté et liberté de conscience et économique de l’autre. Le modèle théocratique et hiérarchique/monarchique du pouvoir ne pouvait plus fonctionner, c’est à dire ne pouvait plus garantir la sécurité et la paix dans la justice vécue. Sa légalité s’imposera progressivement comme  illégitime et tyrannique au regard et au profit des droits dits naturels des hommes par opposition aux devoirs et droits divins et cela d’autant plus que les guerres politico-religieuses incessantes ruinaient leurs espoirs de s’enrichir, voire de survivre.
         Dans ces conditions l’idée de  liberté est libérée de la soumission, de moins en moins consentie, à Dieu et à une morale extérieure, voire contraire, au désir humain, c’est à dire au « devoir par devoir » selon la formule de Kant, et tend à se confondre avec le droit de chacun, défini comme naturel, de rechercher son propre bonheur ici-bas.
         1-2 La liberté comme droit naturel
         Parler de droit naturel au bonheur, c’est à dire à la réalisation de son désir spontané indissociablement d’être et d’avoir dans le monde, c’est inscrire la liberté dans l’immanence de notre nature désirante. Le droit naturel devient alors le fondement du droit civil en l’arrachant au droit divin reçu alors comme un devoir contraignant injustifié, car contraire à la nature sensible de l’homme. La déclaration d’un  droit naturel à la liberté du désir est donc l’affirmation que les individus n’appartiennent ni à une église, ni à une société, mais qu’ils s’appartiennent à eux-mêmes et qu’il sont seuls juges  de leurs relations  aux autres dans le cadre de contrats volontaires négociables. Ceci veut dire aussi que les droits de l’homme sont le fondements des droits du citoyen et non l’inverse . L’idée de droit naturel à la liberté ou autonomie est donc opposée à celle d’une nature soumise des hommes à un quelconque ordre transcendant , fusse celui de Dieu ou de l’état, pour qu’un ordre social soit possible . Mais encore faut-il , pour cela , définir plus précisément cette nature humaine qui est supposée devoir être considérée comme libre par et pour elle-même et l’usage social qu’il convient d’en faire pour éviter l’anomie sociale et la guerre de tous contre tous . En quoi et pourquoi la nature humaine peut-elle dite libre et devenir le principe fondamental d’un ordre social juste , au point de considérer comme in-humaines ou infra-humaines ou pré-humaines  toutes les sociétés théocratiques et holistes traditionnelles et jusqu’à  faire de la monarchie de droit divin absolue et des hiérarchies sacralisées des institutions sociales contre nature ? Plusieurs positions libérales sont ici possibles et se sont fait concurrence, jusqu’à marquer encore de nos jours la vie politique. Trois d’entre elles sont significatives: 
- Celle qui fait du droit civil et politique inégalitaire le prolongement apparemment paradoxal du droit naturel égalitaire, et qui légitiment les inégalités sociales et politiques , dès lors qu’elles sont le fruit des talents individuels tels qu’ils s’expriment « justement » dans le jeu de la concurrence ou d’un contrat politique indispensable à l’unité et à la cohésion du corps social.
- Celle qui fait du droit civil formellement mais non réellement égalitaire, le prolongement du droit naturel.
 - Et celle qui fait du droit civil  un droit construit pour refondre artificiellement un équivalent de l’égale liberté naturelle dans l’état de société en visant à réduire les inégalités qui la traversent.
        Nous reconnaissons là les oppositions entre les conceptions de Hobbes, de Locke et de Rousseau qui sont au cœur de la pensée libérale et continuent en profondeur à l’animer,  mais dont la première et la dernière en sont les bornes extrêmes ou limites, au point, pour certains, d’en devoir être exclues. Ces oppositions ne doivent pas nous étonner : elles sont l’expression du problème majeur de la pensée libérale, à savoir : comment concilier la liberté individuelle toujours tentée par l’égoïsme avec l’exigence d’un ordre collectif qui suppose peu ou prou que chacun se soumette à une loi extérieure contraignante ?
        1-3 Les oppositions internes du libéralisme
        La première position charnière et paradoxale, celle de Hobbes, est moralement pessimiste, mais socialement optimiste. Pour elle, en l’absence de la contrainte politique, la nature humaine réside d’abord dans la propension passionnelle des individus à désirer toujours davantage de biens, à s’affirmer aux yeux des autres, à s’en faire reconnaître, voire à chercher à leur être supérieur en les dominant pour pouvoir se juger positivement eux-mêmes. Se comparer pour exister en une compétition permanente, afin de jouir égoïstement de soi comme valeur, ce que l’on appelle l’amour propre ou la vanité et l’honneur, serait au fond de la nature désirante des hommes laquelle les distinguerait des animaux qui eux ne connaissent que le besoin vital en vue d’obtenir des ressources nécessaire à leur existence biologique et à leur reproduction. Mais cette égoïsme peut être socialement régulé par la soumission à l’état absolu de telle sorte qu’il ne débouche pas sur la violence ou guerre de tous contre tous et grâce au commerce marchand généralisé et à la pratique du contrat qui fait de la compétition un jeu pacifique et profitable à tous dès lors que tout perdant peut espérer devenir dans un domaine ou un autre gagnant un jour s’il travaille pour les autres avec compétence en vue de satisfaire au mieux ses intérêts propres dans un cadre concurrentiel et social adéquat qui l’obligera à faire que son vice privé serve à la vertu publique; nous y reviendrons.
La seconde, celle de Locke, est moralement et socialement optimiste ; elle considère que la liberté naturelle de chacun est d’emblée bienveillante aux autres moyennant une révélation religieuse fondatrice de l’amour universel, soit par l’effet d’un identification spontanée avec ses semblables, soit par la nécessité d’une coopération indispensable à la survie de chacun. L’état doit limiter son rôle à garantir  la liberté d’entreprendre naturelle de chacun  en se contentant de garantir le droit de propriété de son corps et de ses biens dans le cadre de la libre concurrence sans lequel aucune liberté n’est possible ainsi que la tolérance religieuse  indispensable à la cessation de la guerre civile (à l’exception de l’athéisme et du papisme qui menacent  l’unité bienveillante de tous avec tous  )
La troisième, celle de Rousseau est moralement optimiste et réellement socialement pessimiste, bien que socialement idéalement optimiste ; elle considère que, dans l’égalité  naturelle des conditions, l’homme est spontanément pacifique et enclin à la sympathie vis-à-vis de ses semblables , mais que c’est l’état social d’inégalité qui pervertit son amour de soi et de ses semblables en amour exclusif de soi aux dépens des autres, en amour égoïste de soi ou amour propre. Il suffirait alors de restaurer civilement un équivalent de l’égalité naturelle entre les individus pour que la liberté naturelle se transforme en liberté civile et que chacun puisse être entièrement libre sans nuire aux autres, tout en coopérant volontairement en vue de la satisfaction de leur intérêt général commun et de leurs désirs particuliers mutuels, rendus, par l’égalité des droits et des conditions, compatibles entre eux.
Dans tous les cas, les individus sont censés devenir raisonnables dans l’usage qu’ils font de leur liberté désirante, soit par nécessité intéressée, c’est à dire par calcul de l’intérêt bien compris, soit par conviction solidaire (sympathie) , mais non pas par l’effet d’un pouvoir transcendant de menace de type théocratique, mais celui, délégué par les individus-citoyens, de l’état, sur une très petite minorité qui seraient assez inconsciente ou perverse pour ne pas comprendre ce qui peut faire son bonheur et son intérêt véritable, qu’il faudrait alors forcer à être libre dans son propre intérêt ou qu’il faudrait exclure de la société pour non respect de la vie et de liberté des autres.
Mais il y a une grande différence politique, économiques et sociales entre ces trois positions libérales  : dans la première (Hobbes), on ne peut concilier l’immoralisme du désir humain et la morale sociale pacificatrice que si les désirs égoïstes s’expriment sous la domination consentie d’un intérêt personnel absolument dominant devenu par contrat l’intérêt de tous à la paix civile, celui du monarque absolu de droit humain ; dans la seconde (Locke) les désir égoïstes peuvent et doivent s’exprimer pour que les hommes soient heureux et ces désirs ne deviennent mauvais que lorsqu’ils s’expriment dans la guerre et non dans la relation commerciale (le doux commerce cher à Montesquieu) ou la politique sous le contrôle démocratique des autres dans le cadre d’un état de droit qui dispose d’une délégation de pouvoir de la part de la majorité des individus-citoyens et cela  dans une société égalitaire en droits mais non en richesse ou  en puissance sociale ; inégalité réelle nécessaire pour rendre possible un dynamisme compétitif favorable à tous; dans la troisième (Rousseau) il convient rendre les individus solidaires, c’est à dire bons, dans une société égalitaire en droit et en moyens. Dans la première, et la seconde l’état est réduit à sa fonction de régulation et de pacification plus ou moins contrainte,  des égoïsmes nécessaires, indissociables de l’exercice de la liberté naturelle et dans la troisième l’état est le régulateur et l’éducateur de la liberté qui, devenue civile, n’est plus naturelle et le régulateur, voire le gestionnaire de le vie économique en un sens moral en vue d’une réelle égalité et coopération solidaire, volontaire et désintéressée entre tous . Ainsi dans la première (Hobbes) le libéralisme économique privé a pour condition un anti-libéralisme politique radical conventionnel (artificiel), seul capable de mettre fin par la loi et la puissance du souverain absolu au risque de la guerre de tous contre tous. Dans la seconde (Locke) le libéralisme économique a pour condition le libéralisme politique et religieuse (mis à part l’athéisme et le papisme intolérant) et l’état est réduit à sa fonction de régulation et de pacification,  des égoïsmes nécessaires, indissociables de l’exercice de la liberté naturelle limitée et garantie. Dans la troisième (Rousseau) le libéralisme politique a pour condition  une limitation par l’état du libéralisme économique afin de promouvoir l’égalité sociale réelle de producteurs et artisans autonomes et sans employés;  pour ce faire, l’état doit être l’éducateur de la liberté qui, devenue civile, n’est plus naturelle pour en préserver l’égalité,  ainsi que le régulateur, mais non l’administrateur, de le vie économique en un sens moral en vue d’une réelle égalité et coopération solidaires, volontaires et désintéressées entre tous ?
Chaque position revendique la bonne définition du libéralisme contre l’autre :
Les deux premières au nom de la liberté naturelle tempérée par une religiosité plurielle traditionnelle dépourvue d’église disposant d’un pouvoir supra-étatique et/ou par un état (absolu ou démocratique) garant des libertés individuelles et du droit de propriété qui favorise la concurrence économique et l’égalité des droits économiques sinon des chances.
L’autre au nom d’une liberté naturelle remodelée ou transformée en liberté civile ou civilisée par l’état éducateur qui instaure l’égalité des droits et la soumission des intérêts particuliers à l’intérêt commun, expression d’une volonté générale dont l’état revendique le monopole de la  représentation rationnelle.
Les deux premières considèrent que la libre concurrence et l’égalité formelle du droit à la propriété privée suffit à établir la justice sous condition de faire cesser l’insécurité, dès lors que les différences sociales entre les individus ne sont que l’expression des différences des mérites et des talents individuels ; la dernière considère que les inégalités sociales sont à l’origine de l’inégalité des chances,  donc d’une réelle inégalité des droits et d’un égoïsme mettant en danger l’expression d’une authentique volonté générale solidaire. Pour elle, la justice, au contraire des deux premières positions, implique, comme condition nécessaire, la réduction des inégalités réelles afin d’instaurer une véritable égalité des droits et que la liberté naturelle, retravaillée par l’éducation des citoyens par l’état républicain, puisse s’exprimer dans les conditions de la société.
Si les hommes son également libres en nature pour l’une et l’autre position, il suffit pour les premières de mettre en jeu cette liberté naturelle dans des conditions qui mettent chacun en situation de faire valoir pacifiquement ses talents pour bénéficier justement de son mérite propre sans avoir à se soucier des autres sinon pour satisfaire, par son travail soumis à la concurrence, leurs désirs individuels de s’enrichir et de consommer. Pour la dernière au contraire, il convient d’ instaurer les conditions de l’égalité sociale, au moins des chances,  pour faire en sorte que la liberté naturelle des uns, les riches et les puissants, ne devienne pas « la liberté du renard libre dans le poulailler libre »
Entre ces trois positions le choix est problématique, si la première, celle de Hobbes, s’est trouvée rapidement disqualifiée au profit de la seconde par l’effet de cette contradiction interne qui consiste à faire garantir la liberté privée de chacun sur celle d’un monarque échappant à tout contrôle et donc susceptible d’abuser de son pouvoir aux dépens de la liberté des autres, ce que l’histoire démontre, le choix entre la seconde (Locke) et la troisième (Rousseau) repose sur la question de savoir si la concurrence et la compétition sociale réglée par le droit contractuel garanti par l’état est mieux à même que l’état pour obliger les individus à faire un bon usage de leur liberté naturelle afin de la rendre civile (pacifique et coopérante). On peut tout aussi bien penser, en effet, que la concurrence en vue du profit est plus libérale, c’est à dire conforme à l’initiative individuelle, au bout du compte profitable à tous, que penser que la concurrence n’est jamais égalitaire et qu’elle avantage nécessairement les plus favorisés ou les plus chanceux aux dépens de la majorité mettant en cause leur initiative ou marge de manœuvre sociale, récréant ainsi les conditions de la guerre des pauvres contre les riches, voire de tous contre tous . Il nous faut donc étudier la relation complexe entre le libéralisme, d’une part, et la concurrence économique et la compétition sociale, d’autre part pour nous interroger ensuite sur le rôle de l’état dans la mise en œuvre d’une authentique égalité ou justice libérale, si cette notion a un sens, entre les individus.
2) Libéralisme et Concurrence
De la liberté naturelle à la liberté civile par la médiation du marché
2-1 Du libéralisme paradoxal ou inconséquent
Les positions de Hobbes et de Rousseau sont du point de vue libéral paradoxales.
Dans la première (Hobbes), Le souverain absolu est et reste un homme passionné. De plus  il est spontanément moins raisonnable que les autres car l’absoluité de son pouvoir même limite sa capacité à avoir peur des autres, seule condition pour devenir raisonnable selon Hobbes lui-même; de fait, s’il ne rencontre aucune limite à l’expression de ses passions il est en permanence tenté d’abuser de son pouvoir sans limite contre la liberté privée d’entreprendre et la sécurité de ses sujets, ne serait-ce que parce qu’il est en état des guerre permanent contre les autres souverains, car nous dit Hobbes, en l’absence d’état mondial, les relations entre les chefs d’états restent un état de nature et donc de guerre. Nous savons que la question des impôts pour la guerre de défense et d’extension de sa puissance prélevés sur ses sujets par le souverain afin de l’emporter sur les autres a été au centre de toutes les révoltes bourgeoises et populaires en Europe contre les monarchies absolue. Les guerres et la nécessité de faire subir aux citoyens la poids financier et l’impôt du sang a entraîné la misère et la réduction des capacités d’initiative des sujets qui, loin d’avoir gagné en sécurité perdent, par l’aliénation totale de toute liberté politique au profit du souverain, la capacité de se défendre eux-même contre les exactions inhérentes de l’absolutisme. Sauf, bien sur,  s’ils  se révoltent contre leur souverain tyrannique, les citoyens aliènent alors à la fois la liberté et la sécurité ; mais cette révolte, en tant que conséquence nécessaire du pouvoir absolu,  fait revenir à l’état de guerre civile, c’est à dire, à l’état de nature que la monarchie absolue, bien que consentie par contrat mutuel, devait justement réduire ; c’est dire qu’un tel échange contractuel par lequel chaque citoyen abandonnerait la liberté politique au profit de la sécurité privée est un marché de dupe car en perdant la liberté politique le citoyen perd tout comme l’affirmera Rousseau. La position de Hobbes, en prétendant fonder et garantir la liberté privée sur et par la non-liberté politique  est donc contradictoire en elle-même. Qu’en est-il de celle de Rousseau qui semble s’y opposer radicalement.
La seconde  (Rousseau) tente de fonder la liberté politique sur la réduction, voire la suppression  des inégalités sociales et économiques. Ce faisant elle fait du peuple absolument souverain la  source d’une législation égalitaire, voire égalitariste, seule capable de rendre possible un authentique intérêt commun et une volonté générale qui s’impose aux intérêts particuliers. Mais l’expression de cette volonté générale suppose trois conditions extrêmement restrictives: D’abord que tous les citoyens unis par contrat au tout de la société soient, sinon d’accord sur tout, au moins sur la nécessité de réduire la liberté économique afin de rendre impossible le développement d’une économique dynamique et progressive mettant en jeu les désirs et passions illimités des individus. Cette économie frugale du besoin naturel par opposition à celle des désirs artificiels implique à son tour une société communautaire, voire communautariste peu nombreuse dans laquelle tous se connaissent personnellement, fermée et indépendante des autres, réellement, c’est à dire socialement et économiquement, égalitaire, dont le ciment idéologique est une religion civile obligatoire qui « sacralise » la communauté aux dépens des désirs individuels et des autres sociétés. Ensuite elle suppose le pouvoir exécutif fort d’une élite de magistrats non directement contrôlables par les individus-citoyens , indépendante du pouvoir législatif du peuple, afin de faire respecter par chacun, y compris par la contrainte et la menace de mort, cette égalité et l’expression de cette volonté générale transcendant les désirs et intérêts particuliers qui en est la conséquence. Enfin elle exige des citoyens vertueux dans leur plus grande majorité, dépourvus d’égoïsme et qui accepteraient, plus volontairement que par la contrainte, de sacrifier ou de mettre au service de la communauté leurs personnes, leurs biens et leur liberté ou pouvoirs naturels. Autant dire que la position de Rousseau reste inapplicable à la quasi-totalité des sociétés humaines existantes, sauf à prétendre les révolutionner par la violence et la terreur extrêmes ; ce qui de l’aveu même de Rousseau conduirait au pire désastre social qui soit : la fin du contrat social et à  la guerre civile qui elle même fait cesser toute moralité.
Ainsi les positions de Hobbes et de Rousseau se rejoignent malgré leurs oppositions apparentes de principe pour dénier ou réduire le droit à liberté individuelle politique dans un cas et/ou privée dans l’autre, au nom d’une conception idéaliste à la fois incohérente et inapplicable d’un pouvoir absolu souverain plus ou moins nécessairement terroriste et despotique dans les faits, que ce soit celui d’un homme, du peuple incarnant une volonté générale égalitariste, ou des magistrats chargés de la mettre œuvre, afin d’établir prétendument la paix et la concorde civile. C’est pourquoi, non sans que le problème de l’inégalité sociale ne reste posé au sein même de leur réflexion, les libéraux conséquents tels que Locke et A. Smith ou chez nous Benjamin Constant, n’ont jamais voulu séparer les libertés économiques et les  libertés politiques ; l’économie libérale et la démocratie, au moins représentative (que refusait du reste Rousseau comme attentatoire à l’expression directe de la volonté générale par les citoyens ). D’où la nécessité de nous interroger sur ce qui fait la nature de ce lien nécessaire entre la liberté privée et économique et les libertés  politiques chez ceux qui se considèrent, à mon sens à juste titre, comme les seuls vrais libéraux.

2-2 La théorie des sentiments moraux de Mandeville à A.Smith
Idéalisme et réalisme éthique.
Hobbes, nous venons de la voir,  fonde la sociabilité humaine sur la peur, au point disait-il qu’il faut toujours supposer l’homme naturellement méchant (possessif et vaniteux) et qu’ il convient qu’il se soumette et soit soumis  à  un souverain au pouvoir absolu afin de sortir de l’état de guerre spontané de tous contre tous, alors que Rousseau  fonde cette sociabilité sur la vertu cultivée par une société civile égalitaire répressive de la liberté égoïste d’entreprendre et de la perversion sociale de l’amour de soi transformée par l’inégalité sociale en amour propre ;  laquelle vertu sociale communautaire est censée retrouver l’innocence naturelle perdue, constituée par l’amour de soi indissociable de la pitié naturelle. Mais par delà leur opposition de principe les deux conceptions reviennent au même, à savoir  refuser l’humaine condition telle qu’elle est , à la fois spontanément et indissociablement sociale et égoïste. Ce refus repose sur l’idée que la sociabilité est toujours forcée. Or la condition humaine est au contraire dira plus tard Kant, en employant l’expression d’ « insociable sociabilité », irréductiblement marquée par l’alliance conflictuelle entre l’égoïsme et la sociabilité qui traverse et anime le désir spontané, à la fois individuel et universel, du bonheur et de la reconnaissance,. Refuser l’un au nom de la vertu égalitaire et communautaire ou l’autre au nom de la méchanceté violente naturelle de l’homme, c’est donc refuser l’humain dans l’homme au profit, soit d’un infra-humain politiquement liberticide, soit d’un surhumain moral inaccessible et qui l’est tout autant, bien qu’individuellement. Par contre ce qui permet de lier, chez les philosophes  libéraux cohérents de Mandeville à Hayek, la liberté politique et la liberté économique, c’est l’idée et le fait que la liberté individuelle n’est pas nécessairement associable, voire qu’elle peut être, dans son égoïsme même et à certaines conditions,  la condition d’une sociabilité pacifique et coopérante. Pour penser le fondement indissociablement rationnel et factuel de ce lien, les penseurs libéraux vont s’efforcer de développer non une morale idéale de ce que devraient être les comportements humains pour devenir sociaux mais une théorie des sentiments moraux tels qu’ils rendent spontanément possible cette sociabilité, sans répression excessive de l’initiative individuelle.
Ainsi pour Mandeville, une société humaine moralement vertueuse ou purement altruiste serait invivable, ce sont au contraire les vices : à savoir le désir égoïste de posséder, de consommer le maximum de plaisirs, le goût du luxe et du pouvoir,  autant d’expressions de la passion vaniteuse, qui motivent les hommes à jouer un rôle social et qui font marcher la société toute entière dans le sens d’un progrès dans lequel chacun peut croire y trouver son compte ; sans cette frénésie du désir, tous s’appauvriraient puisque les pauvres ne pourraient pas être employés par les plus riches et dans l’égalité vertueuse nul n’aurait l’espoir de s’enrichir et de voir sa condition s’améliorer. Une société vertueuse serait frugale, c’est à dire ne satisferait que les besoins vitaux (naturels et nécessaires), chacun pour soi et ses proches, et non les désirs artificiels et superflus  indéfiniment  croissants qui seuls obligent les hommes à travailler, à créer et à produire les uns pour les autres, connus ou inconnus, proches ou lointains, à échanger sans limites ni frontières (qu’on songe à la route de la soie autrefois et  à la mondialisation aujourd’hui), et se rendre des services mutuels en une compétition stimulante et bénéfique à tous. L’appât du gain et du prestige indissociables est ainsi le moteur de la vie collective. De plus  sans le vice de l’hypocrisie la société ne connaîtrait  ni la politesse, ni donc la civilité indispensable pour que les individus se supportent les uns les autres. L’égoïsme et la seule motivation socialisante pour qui n’est pas un saint et nous savons que les saints sont nécessairement des individus hors du commun, les moines, quant à eux , soit s’abîment dans la contemplation et la prière mais vivent de la charité intéressée du commun des mortels en vue de leur salut post-mortem, soit font travailler des sous-moines comme des esclaves. . Les vices privés font donc, pour reprendre la formule de Mandeville, le bien public.. Par contre, outre de conduire à la misère générale et à l’apathie  ou démotivation des individus,  une société morale serait répressive des passions qui font la nature humaine et serait donc nécessairement liberticide. Ainsi aucune société ne peut être morale et heureuse et c’est l’amoralisme, voire l’immoralisme qui font l’histoire, c’est à dire le développement économique, la prospérité générale et le bonheur ou l’espoir de bonheur de chacun.
Mais ce que Mandeville ne nous explique pas c’est comment à partir de cette vision  cynique, amorale, voire immorale de la cité prospère et heureuse, on peut combattre  le déferlement passionnel qui conduit à la violence et de la domination ; bref comment cette société, qu’on peut dire réaliste, se donne des règles du jeu collectives, des lois afin d’éviter de s’autodétruire et sombrer dans l’anomie suicidaire. Il faut, en effet, pour comprendre cette régulation sociale nécessaire des passions soit invoquer un bridage ou corsetage instinctif et faire de la société humaine une société biologiquement prédéterminé à la sociabilité pacifique (par sélection naturelle ou par constitution divine), soit en revenir à la position de Hobbes, à savoir celle d’une soumission à la fois  volontaire et contrainte par la force à la volonté d’un seul : le souverain absolu. Le libéralisme économique a alors pour condition le non libéralisme politique et religieux. Ce qui , nous l’avons vu, est contradictoire : nul ne peut être libre dans ses actions, et garanti quant à la sécurité de son corps et ses biens s’il est totalement soumis à le volonté particulière (et pour Hobbes il n’y a pas de volonté générale, sinon par agrégation arithmétique des volontés particulières) d’un autre et le fait que cette soumission soit volontaire ne peut faire que le souverain soit raisonnable et/ou moins passionné dans l’usage qu’il fait de sa puissance illimitée.
Or faire du seul jeu spontané d'autorégulation par sélection naturelle la source unique de la régulation pacifiante des relations entre les individus, comme semble le penser Mandeville, c'est refuser de voir l'importance décisive de la  vie politique et son implication permanente délibérée dans le jeu économique; mais cela est démenti par l'histoire des hommes qui montre à l'évidence que le  droit, par exemple commercial, est l'objet privilégié des décisions politiques; ainsi la déclaration des droits égaux des hommes et par exemple du droit de propriété qu'elle affirme comme sacré est une décision politique délibérée prise dans de cadre de luttes politiques explicites contre l'arbitraire du droit féodal inégalitaire. Le droit n'est pas instinctuel (inscrit dans nos gènes), mais toujours culturel et politiquement ouvert à la contestation et à la décision transformatrice délibérée des relations, y compris passionnelles, entre les hommes.
Nous savons d'expérience que l’instinct biologique chez l’homme et le seul instinct de survie, au contraire de chez les abeilles, ne sont  pas suffisants pour éviter la violence intra-sociale collective et interindividuelle autodestructrice ; il nous faut donc aller chercher dans l’égocentrisme passionnel  humain, c’est à dire dans le désir proprement humain d'être et de paraître (de valorisation de soi), dans son rapport  aux autres, aux institutions et aux échanges économiques, ce qui rend possible une autorégulation pacifique des relations mutuelles dans des conditions sociales favorables qu’il s’agit d’instituer (de construire) politiquement, sans avoir nécessairement recours à un menace liberticide extérieure permanente généralisée, qu’elle soit politique ou religieuse.
 

C’est A.Smith qui, dans son ouvrage « La théorie des sentiments moraux », va tenter de trouver ce fondement spontané de la sociabilité dans ce qu’il appelle les sentiments d'estime de soi et de sympathie , en tant qu'ils rendent possibles, voire nécessaires, une économie, une politique et un droit libéraux.
La sympathie, pour lui, est le sentiment d’identification spontané qui permet d’interpréter les actions des autres et ce qui les affecte et les meut (émotions) en fonction de son propre désir ou amour de soi. Or en cela la position de Smith n’est pas celle de Rousseau, car la sympathie n’implique pas forcément la bienveillance et la générosité vis-à-vis des autres, mais la conscience de cet universel humain donc réciproque qu’est l’amour de soi ; C’est pourquoi selon lui (contrairement à Rousseau) la sympathie est toujours plus grande au vue de la joie affichée des autres que de leur souffrance qu’au fond nous refusons pour nous même. Cette sympathie n’empêche nullement le conflit voire la haine, lorsque ce sentiment de l’amour de soi n’est pas reconnu, voire est contredit, par celui d’autrui. Mais cela veut dire qu’il faut s’aimer soi-même pour  comprendre les autres et entretenir avec eux des relations éventuellement positives (heureuses) de réciprocité. Du fait de cette sympathie, chaque individu en société cherche la reconnaissance ou l’estime des autres pour s’aimer lui-même et peut ainsi comprendre qu’il en est de même pour les autres. Il convient donc pour chacun de chercher cette estime des autres, dans le cadre de relations réglées par la coutume et l’habitude, de telle sorte que cette réciprocité positive devienne quasi-automatique.
Or cette bienveillance automatique en vue du bonheur mutuel se manifeste dans les relations commerciales ou, pour reprendre une célèbre formule de Montesquieu, dans le « doux commerce ». Pour acheter et vendre il faut renoncer à la violence ou au vol et s’engager à satisfaire les désirs d’autrui sans abandonner ou sacrifier sa propre satisfaction ou intérêt personnel. Le commerce implique l’idée d’un échange bénéfique aux deux partenaires (vendeur et acheteur) car exige, dans les conditions de la libre-concurrence supposée parfaite (nous y reviendrons), que chacun reste libre de consentir ou non à la transaction tout en étant contraint de tenir compte de la satisfaction d’autrui., par son propre désir, et non par une quelconque morale ou puissance politico-religeuse extérieure ou encore par une générosité inconditionnelle (et donc sacrificielle de soi) bénéfique à autrui, De plus le relations commerciales exigent un contrat de confiance des partenaires les uns vis-à-vis des autres, or celle-ci suppose ce désir d’être estimé qui est au cœur de toutes les relations, voire passions, humaines. Donc pour A.Smith les échanges économiques et commerciaux de biens et de services sont toujours aussi des échanges moraux au sens où est mis en jeu le désir de reconnaissance de soi dans le désir de reconnaissance de l’autre. C’est en cela qu’une réciprocité positive des relations est toujours associée et non contraire à l’égoïsme de l’amour de soi que Smith ne différencie pas nettement, contrairement à Rousseau,  de l’amour propre. Par contre Smith distingue, contrairement à Mandeville, pour les opposer, la vanité qui prétend affirmer l’amour de soi sans réciprocité  dans le mépris des autres, mais qui échoue car il ne trouve que le mépris, voire la haine des autres, et l’amour de soi authentique de soi car réciproque  toujours récompensé dans l’estime des autres, ainsi par leur fidélité commerciale, gage de prospérité mutuelle. C’est pourquoi les hommes s’efforcent constamment  d’accroître leur fortune pour se faire estimer positivement  par les autres ; or cette estime exige que le fortune soit acquise par l’épargne dans des conditions honnêtes qui fasse droit à la satisfaction des autres. Pour A. Smith donc, le désir de s’enrichir par l’épargne est la conséquence de celui d’obtenir la sympathie des autres et une image sociale positive de soi dans le cadres de relations commerciales mutuellement bénéfiques. Il est indissociable du fait que l’on sympathise plus avec le bonheur qu’avec le malheur car nous désirons tous être heureux, a savoir s’aimer soi-même ; or la richesse bien acquise (ou l’intérêt bien compris) est un facteur essentiel de cet amour de soi.
Ainsi « le désir de devenir l’objet propre [adéquat] de l’estime et de la considération peut provenir soit de l’ amour même de la vertu », soit de celui de la vraie gloire méritée, soit de celui de la  vaine gloire vaniteuse imméritée. Seul le second est  motivant et efficace pour le plus grand nombre , donc seul il peut fonctionner comme un facteur central bénéfique aux échanges sociaux.
Pour lui, la relation commerciale, bien qu’amorale au sens chrétien du terme car intéressée, n’est pas immorale dès lors qu’elle ne peut pas ne pas tenir compte de l’intérêt bien compris du partenaire de l’échange qui ne peut pas être traité comme un adversaire et encore moins comme un ennemi. De là provient la théorie reprise de Montesquieu du « doux commerce » qui peut permettre de réduire le risque de violence entre les hommes.
Mais encore faut-il que cet échange soit égalitaire et libéral et pour cela réglé par cette main invisible qu’est pour Smith le marché concurrentiel.

2-3 Du principe libéral de la concurrence comme principe idéal de justice
Pour A. Smith, le marché et la libre concurrence sont des facteurs contraignant d’égalisation. En effet ils détruisent nécessairement  les hiérarchies et les statuts traditionnels figées. En faisant de chacun  un consommateur capable de choisir son fournisseur selon son intérêt mesuré en terme de coût/qualité, le marché concurrentiel détruit le rapport monopolistique qui assure la suprématie des producteurs aux dépens du plus grand nombre : les consommateurs. Au contraire, le marché concurrentiel assure le primat de la demande sur l’offre, mais comme tous sont autant des vendeurs qu’ acheteurs, les positions s’égalisent dans le circuit économique de l’offre et de la demande, du fait que celui-ci doit nécessairement par le jeu de la concurrence atteindre l’équilibre à terme. De plus la libre concurrence  interdit à un producteur de prétendre rendre captive une clientèle à son profit car aussitôt il serait alors victime de la défection de ses clients au profit d’un concurrent ; Du coté de la production, la force de travail étant elle aussi  une marchandise (et là c’est l’employé qui est vendeur et le capitaliste l’acheteur) s’échangeant librement contre salaire sur le marché de l’emploi concurrentiel, chaque employé, est a priori capable de s’adapter à ce marché de telle sorte qu’il ne peut en être exclu et encore moins être tenu à travailler pour tel ou tel employeur à des conditions qu’il refuserait. S’il est soumis à la concurrence des autres et en cela ne peut prétendre avoir un place privilégiée ou protégée aux dépens des autres, il ne peut non plus être victime d’un quelconque ostracisme extérieur ou d’une situation imposée de dépendance qui lui interdirait toute liberté de manœuvre et la possibilité de la défection. S’il ne réussit pas dans ce conditions il ne peut alors que s’en prendre qu’à lui-même. Ainsi le marché concurrentiel agit comme un automatisme autorégulé (main invisible) qui produit nécessairement l’ajustement  entre l’offre et la demande au profit de la satisfaction optimale des producteurs, des consommateurs, des employeurs et des employés, c’est à dire de tous. Il est anti-corporatiste et anti-protectionniste et par là permet à chacun de faire valoir dans les rapports de production comme dans les échanges (les rapports de distribution) son autonomie et ses intérêts propres, en l’obligeant à se soucier des intérêts d’autrui ; il réalise sur le plan économique et par le simple jeu de l’intérêt, l’impératif non plus idéalement catégorique mais hypothétique, et par là d’une manière encore plus réellement contraignante, de ne jamais prendre autrui comme seul moyen de son action mais de toujours le considérer comme fin. Ce que la morale idéaliste du devoir est incapable de garantir, l’intérêt bien compris le fait et cela sans effort sur soi-même, ni sacrifice.
Mais dira-t-on qu’est-ce qui empêche l’escroquerie, la manipulation, les fausses promesses pour profiter d’une situation immédiate favorable d’inégalité au profit du vendeur dès lors que seul l’intérêt à court terme pourrait compter pour tel ou tel? Deux choses : la poursuite du jeu pour qui veut continuer son activité et pour cela il lui faut éviter la menace de la sanction par la perte de confiance des clients et, si cela ne suffit pas, la menace d’exclusion du jeu par la force publique, mais surtout le sentiment de sympathie et d’estime réciproque réglé par les habitudes selon la théorie des sentiments moraux de Smith : l’intérêt est ordonné par la sympathie à la réciprocité donc oblige à rester honnête dans les transactions et les échanges ; chacun sait que son intérêt et la recherche de l’estime des autres exige qu’il considère ce même intérêt chez son semblable. Ce qui veut dire que chez Smith l’intérêt est toujours accompagné, chez la plupart, du désir d’obtenir l’estime des autres ; au travers des échanges et les habitudes sociales, les mœurs fixent par un codage symbolique fort les comportements valorisés et valorisants de telle sorte qu’il faudrait être fou ou totalement inconscient vis-à-vis de son propre intérêt  pour oser s’attirer le mépris et la défiance de ceux dont on a besoin pour vivre. Là encore la confiance se mérite et chacun, d’expérience, le sait. Dans la plupart des cas il n’est nul  besoin d’une autorité extérieure pour l’imposer, du reste elle ne s’impose pas vraiment par la contrainte ou alors c’est que la défiance l’emporte déjà et celle-ci menace en permanence la possibilité même de l’échange réciproque libre et mutuellement fructueux. On ne fait pas affaire avec un escroc avéré ou soupçonné tel.
L’économie libérale est donc une économie contractuelle généralisée sans relations de dépendance hiérarchique statutaire : tous les individus sont en droit maîtres de leur décision et de leur engagement vis-à-vis des autres et ont, sous conditions fixées par contrat, le droit d’y mettre fin. Dans un tel contexte de fluidité libérale des relations de production et d’échange, celles-ci ne peuvent sous l’effet de la concurrence pure et parfaite maintenir dans le durée les inégalités existantes, nous y reviendrons ; chacun peut décider de (re) jouer  sa partie dans des conditions plus favorables pour lui, soit en proposant des produits et services mieux à même de satisfaire la demande que ceux de ses concurrents, soit en offrant un travail plus demandé et donc mieux rétribué. C’est en effet la loi de l’offre et de la demande qui décide du prix ponctuel des marchandises, y compris le travail (salaire) et le capital (intérêt), et si le travail est la source de toute valeur d’échange, celle-ci ne peut se réaliser sur le marché, c’est à dire s’exprimer en prix ou valeur monétaire, que par le jeu de l’offre et de
 la demande. Or en moyenne ce jeu dans le cadre de la concurrence tend à l’équilibre, c’est à dire que les prix tendent vers une valeur moyenne proche de la valeur du travail et de la rémunération minimale de capital, proche du taux moyens d’intérêt (5%). Le concurrence des investissements et des producteurs fait que des taux durablement supérieurs sont à terme impossibles. Les revenus du capital sont donc justifiés dès lors qu’ils ne sont que la rétribution du risque prix et de l’épargne qui a permis l’investissement productif aux dépens de la dépense destructrice de pure consommation. L’investisseur est  en effet récompensé du fait d’avoir renoncé à la satisfaction égoïste exclusive immédiate au profit des autres consommateurs, en faisant travailler son capital dans des activités productrices de moyens de satisfaire les désirs d’autrui (les consommateurs ou clients). En moyenne donc, dans le cadre d’une concurrence pure et parfaite ,  c’est à dire sans entrave , ni position dominante durable, les rémunérations du travail et du capital ne peuvent être que la juste récompense des mérites égo/altruistes des différents acteurs du jeu économique. Ainsi, le jeu du marché concurrentiel idéal réalise donc par lui-même sans contrainte étatique extérieure et sans hiérarchie sociale qualitative prédéterminée, l’idéal de justice distributive cher à Aristote. 
En s’efforçant de satisfaire son propre intérêt chacun participe nécessairement au bien être de tous sans y être forcé par l’intervention, au moins sous la forme de menace permanente,  d’un pouvoir transcendant supérieur coercitif (le souverain absolu) , ni être contraint par des exigences morales désintéressées exigeant un sacrifice de soi aux autres. La liberté s’auto-régularise par le jeu immanent d’une mutualisation réciproque automatique des égoïsmes transformés en facteurs de coopération.; Dans le cadre du marché concurrentiel, la société, comme les jeux sportifs, institue d’une manière immanente des règles de fonctionnement qui rendent possible la confrontation sans violence des intérêts et oblige à une coopération immédiatement consentie fondée sur une confiance sympathisante dans l’honnêteté intéressée, donc spontanée, des autres. La liberté d’entreprendre laissée aux individus, loin de générée la violence et la domination, devient un facteur de pacification égalitaire et de réelle justice distributive qui s’exprime par le principe « à chacun selon son mérite »; l’état n’a pas à inventer les règles de la libre concurrence ou à instaurer un hiérarchie contraignante pour imposer un ordre social, mais doit se contenter de les fixer (formaliser) ces règles librement instituées et d’en garantir le respect par la sanction en tant que règles d’une liberté spontanément coopérante. Le société peut devenir donc à la fois libérale sur le plan économique et sur le plan politique, dès lors que nul n’a intérêt de détruire ou d’exploiter à son profit exclusif ce jeu de la libre concurrence sans se mettre lui-même socialement en danger et perdre la sympathie confiante des autres, ce qui le conduirait nécessairement à l’exclusion du jeu économique et, en cas d’escroquerie manifeste, de sanction pénale par l’état. Celui-ci n’est plus alors que l’arbitre d’un jeu économique et social dont il ne définit plus le contenu, ni même les règles, laissant aux joueurs (acteurs sociaux) le soin de les instituer librement par contrat mutuel. La position de A. Smith, contrairement  au modèles de Hobbes et de Rousseau, est libérale sur tous les plans : politique, sociétal et économique. Le risque le plus important est que les gouvernants  tentent de profiter de leur rôle d’arbitre pour profiter du jeu en le détournant à leur profit ; c’est pourquoi il convient de les soumettre à des règles de droit qui garantissent les libertés individuelles (droits de l’homme et du citoyen) contre les abus de pouvoirs des gouvernants et la corruption ont il pourrait être l’objet, voire le sujet, lesquels mettraient en cause leur rôle neutre d’arbitre libéral. Pour se garantir contre ce risque et protéger les citoyens contre les forfaitures éventuelles des dirigeants de l’état, il convient d’instituer ce que l’on appelle la séparation entre les pouvoirs législatif, exécutif et surtout juridique, fondement de l’état républicain anti-despotique de droit moderne. Bien que fort en tant qu’arbitre disposant du monopole du pouvoir de sanction pénale et de l’usage légitime de la force (force publique), l’état libéral n’est donc pas un état de domination, mais de direction au service des citoyens disposant de la liberté d’entreprendre contractuelle et coopérative, auto-régulée par la libre concurrence . Il se doit pour cela de lever les obstacles à la libre concurrence (ex : les obstacles protectionnistes préconisés par les mercantilistes), dite pure et parfaire afin d’assurer l’équilibre général de l’offre et de la demande dans tous les domaines, c’est à dire les lois naturelles de l’économie spontanément justes, selon Smith, de l’économie. Quelles sont-elles ?
2-4 Les conditions de la libre concurrence
On peut en distinguer cinq, qui sont, selon Arrow, prix Nobel d’économie en 1972.
1) La transparence immédiate et gratuite  de l’information pour tous les acteurs ;
2) un grand nombre d’acteurs pour qu’aucun ne puisse utiliser sa puissance propre pour peser sur le marché à son avantage exclusif ; d’où l’absence nécessaire de tout monopole, voire de toute position dominante d’un ou de plusieurs des acteurs ;
3) l’homogénéisation des produits de telle sorte qu’ils soient véritablement concurrents ;
4) La totale moblité des acteurs, surtout des travailleurs et des capitaux et le libre mrché pour tous
5) Mais la condition la plus importante, celle qui conditionne le bon usage des autres est la rationalité des acteurs de l’économie qui sont (doivent être) animés du désir dominant de s’enrichir à long terme dans un cadre éthique intériorisé qui privilégie l’estime honnête de soi par la médiation de rapports valorisés et valorisants avec les autres, comme le souligne A. Smith dans sa théorie des sentiments moraux. Ce qui signifie que sans homme raisonnable, capable de raisonner et de dépassionner son désir d’être et d’avoir, il n’y a pas d’homme économique possible susceptible de faire que le libre marché soit juste et équilibré.
Autant dire que le libre concurrence ne peut être dite « juste » que si l’état ou les institutions politiques nationales ou internationales garantissent, donc imposent le respect de  ces conditions ; or celles-ci sont contraire  à la stratégie des entreprises qui vise toujours à fausser la marché à leur profit exclusif et donc à mettre tout en oeuvre pour réduire la contrainte de ces conditions : Elles s’efforcent toujours de 
- conquérir une position de monopole ou dominante par l’élimination du marché des concurrents réels et potentiels (rachat, dumping ou capture juridique ou technologique de la clientèle) ;
- faire croire faussement à l’hétérogénéité qualitative des produits ;
Ainsi la libre concurrence n’est juste que si est respectée l’égalité sur le marché  au moins potentielle  des situations, que si la compétition économique reste ouverte, que si les consommateurs ont également accès au marché ainsi qu’à l’information qui leur donne un réle pouvoir de décision et surtout que si les consommateurs sont rationnels dans l’expression de leur désir. Le libéralisme économique est donc un idéal normatif qui implique, nécessairement  l’intervention de la politique et l’éducation des consommateurs pour qu’il soit mis en œuvre, sous peine de générer les inégalités qui transformeraient cet idéal en son contraire : le dictature sur le marché de l’offre sur la demande et du capital sur le travail comme l’avait compris déjà A. Smith (voir textes).
Mais il est curieux de constater, et significatif de sa naïveté optimiste sur l’autorégulation du marché, que malgré sa lucidité il n’aborde pas l’économie mafieuse et l’esclavage comme des tendances tout aussi spontanées du marché sans règles ni loi, c’est à dire sans l’intervention d’une régulation politique. On ne peut donc rendre le libéralisme économique , en tant qu’idéal , responsable des inégalités et de ces dérives possibles, mais au contraire il convient de bien comprendre que c’est son détournement idéologique par un capitalisme à prétention monopolistique sous la forme d’un pseudo ultra-libéralisme qui récuserait toute intervention de l’état dans la régulation de l’économie qui est responsable du développement d’un marché de moins en moins concurrentiel, de plus en plus mafieux, et donc de plus en plus anti-libéral et injuste.
Ainsi  c’est cette naïveté originaire qui voit dans la main invisible de la concurrence le seul régulateur de l’économie qui fait que le libéralisme classique réel est pour partie responsable de ce détournement dès lors qu’il n’a pas su évaluer précisément les conditions légales et politiques nécessaires au fonctionnement d’un libre-marché au service de chacun et de l’intérêt général ou mutuel. La liberté en général et économique en particulier suppose toujours des lois pour en faire un droit et une réalité pour tous et en cela éviter qu’elle ne devienne la liberté mafieuse et/ou dominatrice « du renard libre dans le poulailler libre »…
 
Or comment peut-on régulariser l’économie en faisant en sorte que  la position libérale soit politiquement développée dans un sens social plus juste c’est à dite  plus égalitaire et plus universaliste conformément à son idéal originaire?
Nous rencontrons là la limite de a position d’A.Smith qui reste pour le moins ambiguë, voire contradictoire. En effet s’il refuse de reconnaître à l’état un rôle de régulateur de l’économie dès lors que pour lui celle-ci doit spontanément s’autoréguler et qu’il considère que le fonctionnement  nécessairement bureaucratique de l’état le rend incapable à maîtriser le jeu complexe des égoïsmes en vue de la satisfaction de l’intérêt général, il admet que les riches et les puissants peuvent très bien utiliser leur position pour exploiter les pauvres et utiliser leur pouvoir économique pour contraindre l’état, sous prétexte de faire respecter la liberté d’entreprendre indissociable du droit de propriété des moyens de production et d’échange, à soumettre les employés par la force à leur intérêt particulier exclusif mais aussi, et cela est pour lui encore plus grave, à fausser les règles du jeu à leur avantage en multipliant les obstacles à le libre concurrence (ex : le maintien voire l’élévation des droits de douanes, préconisés par les mercantilistes,  pour avantager les nationaux sur le marché intérieur en les protégeant de la concurrence étrangère, et les ententes validées par l’état pour augmenter les prix et les profits). Donc A. Smith est partagé entre la réalité des comportements sociaux des capitalistes, des dérives anti-libérales, voire criminelles et des conflits qu’ils génèrent, et l’idéal de la libre concurrence qu’il prend, non seulement pour un idéal, mais comme une description et explication de la réalité (et en cela il est dans l’illusion idéologique la plus classique) sans être capable de réduire la contradiction entre sa position qui affirme le principe universel de la  non-intervention de l’état dans l’économie et ses conséquences sociales et le fait qu’il constate que cette non-intervention revient, dans les faits, à favoriser les investisseurs aux dépens des salariés et de l’intérêt général, ne serait-ce qu’en vue du maintien de la paix civile (voir textes). Il admet que l’état doit jouer un rôle d’investisseur quant au services et aux biens d’équipement qui concernent l’intérêt général et qui ne peuvent être rentables à court terme pour des particuliers (infrastructures, équipement du territoire, éducation de masse) et aux moyens de protection répressif en vue du maintien de la paix civile, mais il refuse toute politique systématique de redistribution en faveur des plus démunis et accepte le risque politique de l’inégalité des chances tout en soulignant le danger de violence sociale qu’elle génère ; en comptant sur la tradition plus ou moins religieuse de servilité des pauvres par rapport aux riches, il pense que la hiérarchie entre eux est nécessaire et qu’il suffira à la police de faire son métier pour maintenir l’ordre, alors même que l’Angleterre à connu un mouvement populaire extrêmement violent appelé « les niveleurs » revendiquant l’égalité sociale radicale comme une valeur chrétienne. ( L'appellation de niveleurs (en anglais levellers) a été réservée, à partir de 1645, à ceux des révolutionnaires anglais qui, non contents de vouloir éliminer la monarchie encore incarnée par Charles Ier, souhaitaient lui substituer une république où le peuple composé de tous les citoyens adultes serait souverain. Plus que des combattants de la liberté, ils sont des démocrates. Leurs adversaires, qui les baptisèrent, les considéraient comme des « partageux » et pensaient que des hommes sans propriété, s'ils étaient dotés du droit de vote, imposeraient une redistribution des richesses. Accusation alors mortelle, mais qui, au mieux, serait à réserver à un groupuscule qui, derrière Gerrard Winstanley, et entre 1648 et 1652, a agité le drapeau des « vrais niveleurs » ou diggers (« bêcheurs ») et réclamé effectivement une grande mutation de la propriété foncière et des modes de production.
Les niveleurs authentiques ont souvent eu une origine baptiste : soucieux de rapprocher le règne de Dieu ici-bas, ils se muent en activistes révolutionnaires, transposent dans le politique le message religieux de leur secte, leur foi dans l'égalité de tous les hommes, leur tolérance, leur rejet de toute autorité spirituelle. Beaucoup sont imprégnés de l'idée de prédestination et, « saints en marche », tirent de leur foi la conviction qu'ils portent un message divin. Les plus représentatifs sont Richard Overton, un imprimeur, l'un des plus « radicaux », peut-être tenté de déborder du politique et du religieux vers le social ; William Walwyn, marchand londonien aisé et qu'on a pu comparer à Lamennais, dont il précède largement l'espoir d'un christianisme appliqué ; et surtout John Lilburne, un temps colonel de l'armée de Cromwell, une des grandes victimes de l'intolérance prérévolutionnaire, auteur de vigoureux pamphlets en même temps que redoutable organisateur. Leurs disciples sont surtout recrutés dans les villes, dans un petit peuple dont la Révolution française fera les sans-culottes. Ils auraient représenté vers 1649 un bon quart des Anglais et un cinquième des Londoniens. Et, plus important sans doute, le message a été abondamment propagé dans l'armée du Nouveau Modèle, il est l'évangile de nombre de conseils d'officiers et de soldats et très particulièrement des porte-parole (ou agitators) sortis du rang pour siéger dans de véritables soviets militaires hiérarchisés. Tous lisent ou commentent tracts et brochures répandus par milliers (de titres) et qu'un libraire de l'époque a su rassembler (ils constituent aujourd'hui
 la collection Thomason de la British Library).
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C’est cette difficulté centrale de sa théorie quant aux rapports entre la politique et l’économie libérale qui a probablement amené A. Smith a renoncer à publier sa théorie politique et, selon certains témoignages, lui aurait fait détruire les documents dans lesquels il en aurait écrit les prémisses.
3) Démocratie politique et libéralisme économique
Spinoza disait déjà que si les individus étaient spontanément toujours raisonnables dans toutes leurs actions, il n’y aurait besoin ni d’état, ni de politique, ni, ajouterais-je, d’éducation. L’expérience le démontre tous les jours dans la  vie économique , contrairement à la position confiance naïve voire aveugle, et il n’ y a pas de pire aveugle que celui qui ne veut pas voir, dans le puissance  autorégulatrice automatique du marché (main invisible) : sans droit commercial pas de commerce honnête; sans loi contre les monopoles, pas de libre concurrence ; sans droit sociaux, pas de réduction des inégalités et de l’exploitation de l’homme par l’homme, voire pas de salariat , car l’esclavage s’imposerait comme la forme la plus sûre et la plus immédiatement rentable de faire du profit à court terme. Après tout disait Keynes à long terme nous serons tous morts ; autant alors en profiter ici et maintenant…Pourquoi alors choisir une problématiquement rentable à long terme, alors que la concurrence joue dans l’instant même de l’échange marchand?
3-1 De l'utilitarisme éthique
C’est justement  cette difficulté que John Stuart Mill saisit pour tenter de la dépasser : comment construire une société libérale, dans laquelle chacun poursuit son bonheur  et qui soit en même temps telle pour tous sans contradiction, ni conflit irréductibles. Ce qui est en effet utile aux uns ne l’est pas pour les autres et nous savons bien que le bonheur des uns ne fait pas nécessairement celui des autres.
3-1-1 Les difficultés de l'utilitarisme de Bentham
Les utilitaristes comme Bentham , lequel a été un des maîtres avec Auguste Comte de notre auteur, pensaient qu’il suffisaient alors de soumettre le bonheur de chacun à celui du plus grand nombre et aux devoirs qu’il impose pour résoudre cette difficulté, mais cela supposait une double condition :
- Que les plaisirs qui font le bonheur de chacun soient  homogènes (comparables et mesurables) et donc arithmétiquement  calculables, ce qui permettrait, par simple sommation des plaisirs et bonheurs des uns et des autres, après enquête de satisfaction comme on dit aujourd’hui, de passer du bonheur de chacun au bien être majoritaire ou général.
- Que chacun soit dans le camps majoritaire, au point que, si ce n’était pas le cas, son sacrifice éventuel devienne justifié par la poursuite du bonheur de la majorité ; mais alors cela exigeait de mettre en cause la liberté individuelle comme telle au profit d’un conformisme obligatoire, c’est à dire de la soumission inconditionnelle à la majorité et aux habitudes et aux mœurs que celle-ci impose.
Mais ces deux conditions sont contestables: les plaisirs individuels ne sont pas nécessairement composables ; on ne peut, en effet, en faire la sommation, car ils ne sont pas compossibles entre eux chez un même individu et encore moins entre les individus. Rien ne permet plus alors de justifier le sacrifice de la liberté individuelle au bien être majoritaire qui  n’est qu’une fiction confuse mêlant des formes de bonheurs et de plaisirs hétérogènes et souvent contradictoires entre eux et on ne peut décider d’une satisfaction globale plus ou moins importante hormis le seul critère de la survie et/ou de l’enrichissement financier comme seule types de finalités comptables et rationnelles. Or le rapport de ces finalités au bonheur général lequel suppose une certaine égalité des conditions et comme vécu qualitatif est pour le moins problématique. De plus cette position repose sur le paradoxe qu’il y aurait un bonheur général, mais non pas unanime, possible, qui transcenderait les bonheurs individuels minoritaires et pourrait éventuellement s’imposer contre eux, aux dépens par conséquent de la liberté individuelle. Chacun serait en effet appelé, pour le bonheur de la communauté dont il fait partie, soit à s’engager à suivre la voie des autres, soit à renoncer au droit au bonheur personnel dès lors qu’il ne conviendrait pas à la majorité (position du père de notre auteur). Ce qui supposerait que chacun devrait accepter d’être surveillé en permanence dans sa vie personnelle par les autres pour que sa soumission soit validée, reconnue et récompensée. On trouve dans la société américaine, animée de valeurs égalitaires et démocratiques, observait déjà Tocqueville, cette tentation absurde de faire de la liberté individuelle et de son usage l’enjeu d’une surveillance religieuse ou morale, qui dénie non seulement l’autonomie personnelle dans la recherche du bonheur, mais même la liberté de conscience et celle d’exprimer des idées différentes des lieux communs et préjugés dominants. Ce que cet auteur appelait la « douce » tyrannie de la majorité , laquelle est contraire au droit à la recherche de son bonheur propre, inscrit pourtant dans la constitution américaine comme l’expression fondatrice du droit libéral et démocratique. C’est pour tenter de surmonter ces difficultés et ces paradoxes d’un utilitarisme purement quantifiable et au bout du compte liberticide que John Stuart-Mill va développer une nouvelle conception de l’éthique du bonheur, c’est à dire une vision du bonheur qui prennent en compte tout à la fois l’ exigence d’une  relation éthique (bien général) aux autres et la liberté individuelle (bien individuel) ; conception elle même susceptible de fonder une économie politique libérale soucieuse de solidarité.
3-1-2 L'utilitarisme de John Stuart-Mill
"La seule liberté digne de ce nom, affirme J.Stuart-Mill, est celle de travailler à notre propre bien de la manière qui nous est propre, pour autant que nous ne cherchions pas à en priver les autres ou à leur faire obstacle dans leurs efforts pour l'obtenir." Après avoir précisé auparavant :
"Celui qui laisse le monde ou une partie de celui-ci, choisir le cours et le sens de sa vie à sa place, n'a pas besoin d'autre faculté que celle d'imitation des grands singes."
Telle est la conception libérale radicale, à l’encontre de celle, à ses yeux incohérente de Bentham, de son ex-disciple qu’est J. Stuart-Mill ; mais cette position implique aussi, si l’on veut éviter les difficultés de la position de Bentham qu’il convient de montrer que la  finalité éthique fondamentale de chacun est le bonheur général (c’est à dire de tous) ; si le bonheur de chacun réside dans l’expérience personnelle de plaisir et de  la cessation de la douleur, les devoirs ne sont, et ne doivent et ne peuvent être, que des moyens subordonnés en vue du maximum de bonheur universel possible, comme partie prenante de son propre bonheur. Bonheur personnel et bonheur général sont selon lui  indissociables.
     3-1-3 La question du bonheur chez John Stuart-Mill
Le bonheur général (universel) est bien comme le pensait Bentham la source ultime de la moralité et les règles de la recherche du bonheur pour tous celle du droit . Les devoirs ou impératifs ne valent que comme moyens dérivés nécessaires mais non suffisants. Une morale du sacrifice de soi est en effet absurde et invivable si elle prend le sacrifice de son bonheur en vue du bonheur général comme fin en soi inconditionnelle et salvatrice; elle ne peut valoir comme moralité concrète et agissante que si elle se donne comme fin le bonheur des autres, en tant qu’il est une composante et une condition du bonheur personnel. Il n’y a pas de morale du devoir en soi comme le croyait Kant, car toute action ne peut être motivée que par le recherche d’une satisfaction ou l’évitement d’une souffrance, y compris une action morale ; il n’y a qu’une morale du bonheur qui inclut et subordonne le devoir tout en la fois comme instrument et comme partie prenante du bonheur personnel.
La politique et l’économie sont des moyens de parvenir aux bonheur général ; il faut en effet distinguer sans les opposer le bonheur individuel et le bonheur général car si celui-ci n’est pas la seule sommation des bonheurs individuels, spontanément apparemment incompatibles, il convient de  les rendre compossibles par des lois et règles qui autorise chacun à faire un égal  usage de sa liberté sans nuire à celle des autres ; il n’y a du reste pas d’autre limite à la liberté individuelle que celle des autres et  c’est pourquoi, dans le cadre des échanges marchands visant la mutualisation des intérêts individuels,  il faut du droit économique politiquement discuté et décidé. Ainsi l’obligation de participer au bonheur des autres est seconde par rapport à celle qui nous ordonne d’éviter la violence et de porter atteinte aux droits des autres de rechercher leur propre bonheur, car elle ne constitue qu’un devoir indirect subordonné à la seconde ; une trop grande sollicitude peut, en conduire à la domination des autres, c’est à dire, sur un mode faussement positif, à mettre en cause leur propre initiative en les condamnant à la passivité, en en faisant du pure et simple victimes d’un sort injuste. La maxime libérale ne peut être que « Aide toi et les autres t’aideront à agir plus librement encore ». Mais une difficulté apparente de la position de Mill surgit : Comment, dans sa perspective individualiste passer de la satisfaction  personnelle égoïste au désir altruiste en chacun du bonheur général dès lors que celui-ci  implique la soumission au devoir de respecter la liberté d’autrui qui peut, semble-t-il, nuire à celle-la ?
C’est pour répondre à cette question que Mill fait intervenir une distinction fondamentale entre les plaisirs immédiats matériels et égoïstes et les plaisirs spirituels qui leur sont qualitativement  supérieurs, à savoir les plaisirs qui sont le fruit des activités  intellectuelles esthétiques et éthiques (altruistes) dans lesquels chacun même matériellement insatisfait peut être heureux en tant qu’ils permettent à chacun de se reconnaître dans sa dignité humaine. En quoi ces derniers sont-ils supérieurs ? en cela qu’ils sont spécifiquement l’expression de la supériorité spirituelle et sociale des hommes et que chacun peut éprouver par là qu’il incarne cette valeur et que cette valeur ne dépend principalement que de lui, par delà les circonstances extérieures. Ainsi nous dit Mill mieux vaut être Socrate insatisfait (matériellement) qu’un porc satisfait, car si Socrate est matériellement insatisfait, il est  heureux d’être l’homme valeureux car moral et donc pleinement humain qu’il a été. Donc pour Mill le bonheur ne recouvre pas tout les plaisirs d’une manière indistincte et le bonheur ne se mesure pas à la « quantité » de plaisir mais à sa « qualité » et si les plaisirs matériels et narcissiques sont souvent nécessaires, ils ne sont pas suffisants car ils ne valent au mieux que comme moyens  du bonheur spirituel; seuls les plaisirs qui portent une dimension éthique peuvent nous procurer le bonheur authentique, c’est à dire le sentiment positif de notre pleine humanité.  Mais cela veut-il dire que cette accession au bonheur éthique soit spontanée ou immédiate? 
Certes non, car l’expérience de ce bonheur est une conquête de l’histoire de l’humanité et de l’évolution des sociétés. Le sens du devoir en tant qu’il organise le bonheur altruiste de chacun, mais aussi  et surtout  en tant qu’il fait partie et devient intégrante du bonheur personnel doit être forgé au feu de l’habitude acquise par l’éducation cognitive et affective dans une société juste et libérale ; qui n’a pas reçu d’éducation libérale ( non religieuse et non-sacrificielle), altruiste et donc heureuse ne peut savoir clairement qu’il existe un bonheur qualitativement supérieur à la seule satisfaction matérielle ou égoïste . D’où la nécessité de penser sur fond de l’analyse des relations sociales  existantes et de leur contradictions, les conditions politiques et économiques d’une société à la fois juste et libérale ; libérale parce que juste et juste parce que libérale ; en tant que cette société serait la fin du progrès en vue du plus grand bonheur pour tous, sans distinction entre les sexes et les positions .
3-2 Libéralisme économique et justice sociale chez Stuart-Mill
La liberté économique individuelle comme liberté d’entreprendre dans le domaine de la satisfaction de désirs et des besoins est pour Mill le fondement de toute relation de réciprocité  positive entre les individus qui ne sont pas liés entre eux par des relations de dépendances particulières permanentes (type allégeances communautaires, amicales, amoureuses ou familiales). L’économie libérale est bien l’ensemble des échanges de biens et de services produits en vue de l’échange  marchand qui égalise dans un sens contractuel  universel, voire anonyme, c’est à dire volontaire et non contraint, les relations vitales entre les humains : chacun sait mieux que quiconque ce dont il a besoin ou ce qu’il désire et doit seul prendre la décision d’acheter ou non et s’il achète c’est à lui seul de décider qui lui offre les conditions les plus favorables. La liberté d’entreprendre au mieux de ce qui est utile à chacun exige donc bien un choix individuel et qui dit choix dans le domaine économique dit concurrence libre et non faussée; tout corporatisme, en effet, fausse la concurrence et provoque  toujours une réduction et/ou captation de l’initiative de chacun en vue de sa satisfaction, laquelle initiative  définit sa liberté individuelle, au profit exclusif et/ou dominant de celui qui cherche à vendre.  L’échange marchand libéral soumis à la concurrence est donc pour Mill comme pour A.Smith garant de la liberté individuelle universelle car avant que d’être des producteurs spécialisés nous sommes tous des consommateurs. De plus l’échange marchand obéit à la règle donnant /donnant et ce faisant égalise les conditions de l’échange selon un règle simple : À chacun selon ses revenus et, par delà ses revenus, son travail, si l’on admet que les revenus du travail, directs ou sous une forme différée ceux du capital, sont l’expression du travail en tant que seule source de création des richesses . Cette règle de justice distributive automatisée fait que chacun consomme selon son travail et donc que chacun reçoit selon son mérite dans le processus de production et d’échange.
Mais à la différence de Smith, Mill ne pense pas que le développement à l’infini des échanges marchands puissent se faire sans déséquilibre entre les ressources et les besoins ou désirs, dès lors que ceux-ci croissent plus que les premiers et cela pour deux motifs : l’excès illimité des désirs au delà des besoins chez les plus riches et l’accroissement de la population mondiale de plus en plus intégrée aux échanges marchands et à l’économie du désir sans limite. Le progrès ne peut que déplacer, en le masquant, le moment où les ressources seront épuisées. La rareté s’imposera alors comme un facteur croissant d’inégalité entre les riches et les pauvres, d’autant plus que ceux-là  bénéficieront d’un avantage décisif du fait de l’héritage et de la propriété du sol et cela dès la naissance. L’équilibre entre l’offre et la demande se fera au profit de la demande solvable et aux dépens des besoins des plus pauvres de plus en plus insolvables; les inégalités seront telles qu’aucun progrès économique envisageable ne pourra les réduire sauf à envisager l’arrêt autoritaire  de la croissance démographique et le réduction des inégalités dans l’accès aux ressources par la loi et la redistribution par l’impôt. Les riches sauront profiter de la pauvreté croissante des pauvres pour leur imposer une réduction des salaires en vue de continuer à satisfaire leurs désirs sans limite aux dépens de la satisfaction des besoins de ces derniers , c’est à dire de leur espérance de survie. Ainsi le progrès infini du capital et des richesses en terme de bénéfices pour ceux qui en disposent déjà n’est pas un critère de réussite pour les pays les plus avancés dès lors que s’aggravent les inégalités ; de plus selon Mill l’état stationnaire des richesses et de la population ne serait  pas une catastrophe pour un  pays très développé mais au contraire la condition d’un véritable progrès de civilisation dans le sens d’une spiritualisation de la vie sociale qui passerait par l’utilisation des techniques dans le but de réduire le temps de travail contraint au profit du temps de la relation libre et désintéressé aux autres et de la contemplation de la nature qui ne serait alors plus seulement considérée comme réservoir de matière première exploitables en vue de la production et du profit, mais comme une source illimitée d’émotions esthétiques, ce qui suppose que cette liberté passe aussi et peut-être surtout par la solitude, c’est à dire le retrait par rapport aux obligations sociales et économiques. Le bonheur, pour Mill, n ‘est pas, nous l’avons vu en effet, dans la quantité de biens matériels accumulés ou consommés ou des richesses acquises mais dans la qualité de la vie, des relations aux autres, à la nature et à soi.
Ainsi limiter les naissances en vue du seul renouvellement de la population, limiter l’héritage à ce qui peut rendre chacun indépendant, redistribuer les richesses, limiter le temps de travail et la production, développer les moyens de formation personnelle et l’éducation des citoyens, sont pour Mill les conditions d’un progrès de la société lequel implique à terme l’arrêt de la progression illimitée dans production des richesses matérielles en vue d’atteindre ce qu’il appelle l’état stationnaire et équilibré qu’il souhaite pour assurer les conditions de l’existence harmonieuse de l’espèce humaine. La justice sociale implique donc pour lui non pas moins de liberté personnelle mais plus, c’est à dire plus de temps libre pour soi, tant il est vrai que l’économie reste le domaine de la nécessité et  que le développement infini des richesses produit des inégalités que la croissance économique, loin de réduire, accroît; d’où la nécessité de mettre au service de la liberté de tous, par la loi, l’économie libérale et qui ne peut être telle que par cette subordination au but final de l’état stationnaire et de l’égalité sociale. Le justice n’est pas pour lui le résultat d’un processus mécanique mais l’expression d’un programme politique qui doit orienter la société et l’économie libérale vers cet état final. La justice présuppose le libéralisme économique mis au service d’une société régulée par le droit en vue du bonheur universel des individus. Le libéralisme économique doit être subordonné au libéralisme éthique, c’est à dire à la recherche du bonheur général, qui est un devoir politique dans le mesure où il est un droit universel. C’est dire que les droits individuels et les droits sociaux, pour Mill sont indissociables, dès lors qu’il s’agit de réduire, voire d’abolir,  les inégalités que génèrent en permanence le libéralisme économique lequel, s’il n’est pas politiquement régulé, se transforme nécessairement en dictature  anti-libérale du capital sur le travail et des entrepreneurs (ou mieux des investisseurs)  sur les consommateurs. Il est indispensable de limiter la liberté des riches et des puissants afin que tous aient non seulement en théorie mais en réalité les même droits.
« Ce qui vaut, écrit-il,  pour un pays arriéré ne vaut pas pour un pays avancé. Ce qui est économiquement nécessaire en ce cas est une meilleure distribution, dont le moyen nécessaire est une contrainte plus stricte sur la population. La mise à niveau plus ou moins juste des positions sociales, ne peut pas s’accomplir par les seuls moyens de l’accroissement de la production et de l’accumulation ; ils peuvent abaisser les hauteurs de la société, mais ils ne peuvent pas, d’eux-mêmes, de manière permanente faire progresser le sort du plus grand nombre qui se trouvent plus bas. D’autre part, nous pouvons supposer que cette meilleure distribution de propriété peut être atteinte par l’effet commun de la prudence, de la frugalité des individus et par un système de  législation favorisant l’égalité des fortunes, dans la mesure où est juste la revendication permanente de chaque individu de participer aux fruit,  grand ou petit, de sa propre industrie. Nous pouvons supposer, par exemple (selon la suggestion jetée dans un chapitre précédent) que les cadeaux transmis par héritage  aient  la quantité suffisante pour constituer une indépendance modérée. Sous cette influence double, la société exhiberait ces principaux dispositifs : un corps bien-payé et riche des travailleurs ; aucunes énormes fortunes, excepté ce qui ont été gagnés et accumulés pendant une vie simple ; mais un corps beaucoup plus grand des personnes qu’exemptent actuellement, non seulement des travaux durs et brutaux, mais avec des loisirs suffisants, physiques et mentaux, des moyens pour cultiver librement les grâces de la vie, et que les classes moins favorisées se permettent de suivre  l’exemple des plus favorisés pour leur croissance. Cet état de la société, tellement préférable au présent, est non seulement parfaitement compatible avec l’état stationnaire, mais, il semblerait, plus naturellement lui être  lié  que tout autre.
Il y aurait autant de place que jamais pour toutes sortes de culture de l’esprit, et de progrès moral et social et autant de moyens d’améliorer l’art de la vie, et beaucoup plus de probabilité d’y parvenir, quand des esprits aurons cessé d’être dirigés par l’art d’obtenir toujours plus. Même les arts industriels pourraient être sincèrement et avec succès cultivés, avec cette différence unique, qu’au lieu de n’atteindre aucun autre objectif que l’augmentation de la richesse, les améliorations industrielles produirait leur effet légitime qui est d’abréger le travail » (voir texte en annexe)
Ainsi, pour cet auteur, dans une société libérale, les droits individuels, sont indissociables des droits sociaux, et le fonctionnement de l’économie libérale, qui n’est pas automatiquement équilibré et juste doit être politiquement orienté dans le sens d’une plus raisonnable production des richesse et une meilleure d’utilisation des ressources afin que les richesses profitent à tous et que chacun puisse développer ses capacités spirituelles en autonomisant le plus possible sa vie par rapport aux contraintes du processus de production. Cette Autonomie, elle même,  est rendue possible par le développement des sciences et des techniques et rendu nécessaire par le risque de l’épuisement des ressources. Il ouvre en cela le grand débat entre ce que l’on appelle l’ultra-libéralisme et le social libéralisme écologique qui reste pour le moins d’actualité .
Réponse à une objection contre A. Smith
"La fameuse "main invisible du marché" d’Adam Smith est une escroquerie intellectuelle, qui servait à l’époque de Smith, non pas à l’avancée de la science économique et de la science, mais à la domination de l’empire britanique sur toutes les autres nations."
Cette affirmation est erronée: ceux qui préconisaient la domination des intérêts britaniques étaient les plus grands adversaires théoriques de Smith, à savoir les mercantilistes qui voulaient à la fois l’impérialisme à l’extérieur et le protectionisme à l’intérieur, dans un but d’enrichissement exclusif des commerçants impériaux et colonialistes britaniques. Smith pensait qu’un autre usage du colonialisme plus équitable, grace au libre échange, était théoriquement possible, dès lors que ce dernier permettrait le développement des pays les plus pauvres en prenant en compte leur avantages compétitifs (ex: coût de la force de travail, des matières premieres et des produits agricoles etc..). Ce qui en réalité est tout à fait problématique, voire utopique, car les rapports de forces étaient tels que cet équilibrage automatique était pratiquement impossible par le fait même de la domination coloniale. Il y a là une limite majeure de la position de Smith: il ne fait pas la théorie politique de sa théorie éthique et économique; il semble qu’il y ait renoncé face à la mise en cause (et à la contradiction entre) de l’idéal du marché auto-régulateur par la réalité politique. Il ne voit pas comment on peut réduire le poids de la politique impérialiste et mercantiliste (et du capitaliste sauvage soutenue par l’état dont il voit très bien les conséquences en terme d’exploitation, analyses avortées qui seront reprise par Marx dans le sens que l’on sait).
C’est là qu’il convient de mesurer l’écart entre un modèle théorique et la réalité économique  et introduire dans l’examen réel du fonctionnement de l’économie des considérations politiques et humaines non-économiques. Lire à ce sujet A. SEN (voir plus loin
Introduction:
Je voudrais d’abord signaler une équivoque concernant le terme de libéralisme pour la lever : chez nous le mot, sous l’expression de néo-libéralisme, est synonyme de capitalisme sauvage et de la liberté d’entreprendre des seuls détenteurs des capitaux aux dépens des salariés, alors qu’aux USA le terme est connoté à gauche ; il désigne le courant culturel et politique qui fait de progrès social et des libertés concernant les mœurs et les opinions la conditions de la liberté individuelle. Or, si on se rapporte à l’origine philosophique du terme c’est à l’évidence le sens nord américain qui s’impose car le libéralisme est une invention des Lumières contre les formes conservatrices traditionnelles-religieuses et inégalitaires  du pouvoir sociétal pour promouvoir le progrès politique, social et culturel pour tous. Ma thèse sera ici de montrer en quoi cette équivoque procède d’un véritable détournement de sens visant à présenter les progressistes comme des ennemis de la liberté, comme des anti-libéraux, sinon des totalitaires voulant asservir les individus à la toute puissance de l’état ; ce détournement vise à faire consentir le plus grand nombre aux mesures les plus anti-sociales d’un capitalisme dérégulé
Mais ce détournement est pire encore dans ses effets politiques lorsque les progressistes le reprennent à leur compte pour dénoncer le libéralisme en général en oubliant son sens authentique. Le but de mes interventions sera donc de rétablir ce sens originaire afin de redonner au libéralisme ses lettres de noblesse le, d’autre part pour nous interroger ensuite sur le rôle de l’état dans la mise en œuvre d’une authentique égalité ou justice libérale, si cette notion a un sens, entre les individus.
2) Libéralisme et Concurrence
De la liberté naturelle à la liberté civile par la médiation du marché
2-1 Du libéralisme paradoxal ou inconséquent
Les positions de Hobbes et de Rousseau sont du point de vue libéral paradoxales.
Dans la première (Hobbes), Le souverain absolu est et reste un homme passionné. De plus  il est spontanément moins raisonnable que les autres car l’absoluité de son pouvoir même limite sa capacité à avoir peur des autres, seule condition pourprogressistes et d’opposer au pseudo-libéralisme, non un anti-libéralisme politiquement dommageable (tous les totalitarismes se sont réclamés de l’anti-libéralisme), mais un authentique libéralisme au sens progressiste et social du terme, en montrant en quoi ce détournement est philosophiquement fallacieux et politiquement dangereux.
Le libéralisme philosophique apparaît au XVII et XVIII ème  comme une rupture radicale avec la vision chrétienne traditionnelle idéale de l’homme social: là ou celle-ci pense la sociabilité idéale (bonne et juste pour tous), comme fondée sur un altruisme plus ou moins sacrificiel de soi aux autres, à l’ordre hiérarchique divin,  au seigneur, au roi et à Dieu, celui-la pense la société comme un agrégat d’individus-propriétaires de leur corps, de leur esprit et de leur biens, égaux entre eux en droit sinon en fait, dont il faut défendre l’autonomie vis-à-vis des puissances politiques et religieuses et poursuivant leur intérêt propre, qu’ils savent mieux définir que quiconque, dans le cadre de relations d’échange  soumise au seul principe régulateur de réciprocité  donnant/donnant. Tout pouvoir collectif ne peux valoir comme légitime (juste et consenti) qu’en vue de définir, de préserver et de garantir leur droit à faire valoir leurs intérêts personnels, dès lors que ceux-ci sont rendus également compatibles par la loi  avec ceux des autres,  contre qui et en particulier les puissants, fussent les gouvernants, pourraient utiliser leur pouvoir pour les soumettre à leur domination, les voler ou les détruire. Ni Dieu ni maître absolus (sauf pour Hobbes, cas charnière paradoxal, nous y reviendrons) ne peuvent et ne doivent faire que les individus se plient sans conditions à leur volonté ou désir. Chacun ne doit travailler au service d’un autre que si celui-ci en fait autant dans le cadre d’un contrat négociable  garanti par la puissance publique. Pas d’allégeance personnelle, chacun ne s’appartient qu’à lui-même. Toute puissance extérieure, qui ne serait pas approuvée et donc déléguée, est illégitime dès lors qu’elle n’est pas une puissance bénéfique aux intérêts mutuels, et non pas communs, de chacun. L’intérêt est, en effet, tout ce qui contribue à la mise en œuvre du droit bonheur ici-bas de chacun et non pas au prétendu bonheur collectif de tous qui ne peut être qu’une fiction absurde.
Ainsi cette liberté individuelle, spontanée, voire naturelle, nous y reviendrons, est de fait ego-centrée, voire égoïste ; chacun est à lui-même sa propre fin et fait des autres, dans le meilleur des cas un moyen, et dans le pire un obstacle-concurrent à écarter, sinon à détruire. Elle implique la capacité reconnue  d’entreprendre sans se soucier des intérêts des autres, à l’exception éventuelle de ses proches, sinon à ne les considérer que pour se satisfaire soi-même. Plus de fidélité ou d’attachement durables, de soumission à un ordre social immuable, et encore moins transcendant. L’égoïsme est inscrit dans la nature passionnelle des hommes et ce que le christianisme voyait comme un péché originel est un état nécessairement indépassable pour l’immense majorité des individus. Loin de prétendre les transformer, ce qui est impossible sans les terroriser, il faut donc les mettre en condition de satisfaire leur égoïsme sans nuire aux autres. Les saints, s’ils existent, sont au delà de l’humaine condition et une société de saints serait proprement inhumaine. L’idéal de sainteté est, pour l’immense majorité, irréaliste et, de fait, ne peut qu’encourager l’hypocrisie et inciter à la haine violente de soi et des autres.
Mais  chacun sait, les libéraux en premiers, que la liberté individuelle comme fondement du droit, plus encore lorsqu’elle s’exprime d’une manière privilégiée dans le droit de propriété privée des biens de production et d’échange, n’implique  qu’une égalité formelle et non pas une égalité sociale ou réelle et que cette inégalité réelle risque de compromettre à son tour l’égalité des droits et en particulier celle des chances, pourtant considérée  par les libéraux comme indispensable à la société  libérale qu’ils appellent de leur vœux , c’est à dire à une société qui accorde à chacun le même droit au bonheur et à la réussite.  Pensons à l’héritage économique et culturel : celui-ci ne tarde pas  à introduire des différences en terme de chances et de handicaps  dans la concurrence pour la réussite et l’accès au bonheur. La liberté définie comme la capacité d’agir par pour soi au mieux de ses intérêts est alors dépendante du pouvoir social, des moyens de les obtenir et des ressources au départ inégales que chacun a à sa disposition pour le conquérir. Un société vraiment libérale abolirait l’héritage, mais du même coup prendrait le risque de se mettre en contradiction avec la motivation principale qu’elle reconnaît aux individus, à savoir : agir pour le plus grand profit possible pour soi-même et ceux qui seront nos héritiers. Que ce passerait-il en effet si les individus ne visaient qu’à satisfaire leurs seuls intérêts, sans autre perspective que leur fin de vie ? En vieillissant ils se détourneraient de toute initiative d’enrichissement productif pour ne plus songer qu’à dilapider leurs biens, selon la formule :  « Après nous le déluge ».
Cette réelle inégalité des chances risque alors de reproduire une société de castes de fait et cela sans aucune justification religieuse ou de mérite aux yeux de ses victimes et devient donc illégitime et contestable au point d’être nécessairement ressentie comme injuste par ceux qui ne bénéficient pas de conditions suffisantes pour faire valoir leur droit, en droit identique, de s’enrichir. Et cela d’autant plus que, sous la forme du salariat, est réintroduite dans les faits la dictature des possédants sur les dépossédés qui doivent vendre leur force de travail pour vivre et se reproduire. Le libéralisme, sous la forme du capitalisme,  apparaît engendrer l’injustice comme les nuées engendre l’orage et cette injustice à son tour compromet la liberté du plus grand nombre qu’il prétend défendre. La légitimité du pouvoir capital et de la propriété privée des biens sociaux que sont les biens de production et d’échange est radicalement compromise par son incapacité à se transformer en valeur valant pour chacun, car son universalité théorique  (tout le monde peut devenir capitaliste ou propriétaire) alors apparaît pratiquement comme une mystification au service des seuls intérêts des possédants dans l’exploitation « légalisée » qu’elle autorise et garantit de la force de travail. Le capitalisme se retourne contre le libéralisme dont il s’efforce sans succès d’exploiter le prestige sous la forme de l’apparente valeur de la liberté universelle (pour tous sans contradiction).
Si, comme il a été démontré historiquement,  aucune société ne peut être à la fois libérale et réellement égalitaire et que néanmoins une société libérale ne peut se dispenser de se soucier de justice sans prendre le risque de la violence sociale, peut-on sinon résoudre, du moins traiter cette contradiction pour en réduire les effets potentiels de violence et de domination? Peut-on, sans sortir du libéralisme théorique,  penser une société plus juste dans les faits et sinon égalitaire du moins inégalitaire et qui serait libérale ? Si non pourquoi et si oui à quelles conditions et dans quelle limites ?
1)    Libéralisme politique et droit naturel
Pour comprendre le libéralisme il faut d’abord comprendre qu’à la fois il vient de la conception chrétienne traditionnelle de la liberté  et qu’il la refuse.
1-1 Le liberté au sens traditionnel chrétien.
Les sociétés théocratiques ou fondées sur la référence à une puissante divine transcendante, ne reconnaissent, au mieux, la liberté que comme capacité à choisir entre le bien exigé par Dieu et le mal dont une des sources réside dans la corps et les passions humaines, particulièrement, dans le désir égoïste illimité de possession et de jouissance sensible et sensuelle et la vanité ou l’orgueil.. Ce désir est naturel mais il est aussi source de conflit et de guerre permanente et de violence indifférenciée de tous conte tous (Hobbes); Les hommes ne peuvent vivre sans s’entredétruire qu’en se soumettant volontairement et sous la menace de sanction post-mortem, à la volonté divine inscrite dans des textes sacrés et relayée par l’autorité, morale et politique , des prêtres et des princes investis de la puissance divine. Pour les chrétiens le péché originel  réside d’un part dans la nature corporelle et désirante de l’homme  (la chair) et d’autre part dans le choix du mal humain (la chair) contre le bien divin (l’esprit ou amour de Dieu). La liberté est donc ambivalente, elle est à la fois puissance du mal et du bien. Aussi doit-elle être encadrée par la puissance ecclésiale et politique-spirituelle pour être orientée au bien. Il convient toujours, et ce si possible dès l’enfance, de forcer les hommes à être libres en vue du bien, c’est à dire à faire le choix, à la fois contraint et consenti en vue du salut,  de Dieu, du surnaturel, de l’au-delà paradisiaque de la mort, contre la mal naturel. Alors  les hommes seront sauvés grâce à Dieu et contre la partie désirante d’eux-mêmes. Si la liberté est naturelle, inscrite dans la nature de l’homme, elle ne peut spontanément s’exprimer que sous la contrainte salvatrice consentie, indissociable de la foi religieuse. Les droits de l’homme se confondent alors avec le droit divin à exercer sa grâce et sa puissance contre sa nature peccable condition du plein exercice du bon usage de son entière liberté de choix.
Or cette vision chrétienne traditionnelle de la liberté suppose un monde hiérarchique stable ordonné par les puissances spirituelles (l’église et la pape) et temporelle (le monarque de droit divin) plus ou moins réconciliées par la soumission du second au premier. Lequel ordre exclut nécessairement la pluralisme des croyances et des valeurs, qui dans un contexte fortement théocratique, met en péril l’unité politique et sociale des royaumes, voire la paix civile sous la formes de guerre de religions ; guerres par nature  hyperviolentes et interminables car s’auto-justifiant indéfiniment de l’autorité divine absolue contre les mécréants et les hérétiques et les autres confessions désignées comme le mal radical avec qui aucun compromis n’est permis et donc possible, tout au moins en interne. De plus cette vision est incompatible avec le développement des relations marchandes comme modèle général des relations humaines qui opèrent sur une base non–hiérarchique égalitaire et contractuelle donc volontaire : celle du donnant/donnant entre valeurs équivalentes exprimables sous une forme monétaire abstraite en vue de la satisfaction des désirs matériels mais toujours aussi symboliques et culturels mutuels d’ individus libres de les manifester sans aucune restriction morale et/ou promesses sacrificielles en vue du salut : dans la relation marchande la libre concurrence permet à chacun de choisir à chaque instant la relation à qui lui propose le meilleur produit au meilleur coût du seul point de vue de ce qu’il estime sont intérêt personnel égoïste qui peut inclure, mais pas nécessairement, ses proches, mais exclu les autres en général. L’intérêt privé est affirmé sans souci d’un intérêt général quelconque, sauf sous la forme d’une agrégation strictement descriptive et arithmétique et non pas normative des intérêts individuels : les tendances du marché. La société tend à devenir une société de marché sans interdit moral transcendant vis-à-vis de l’affirmation du désir de jouir de ses biens et de s’enrichir ici-bas et, plus largement de sa libération des carcans traditionnels religieux opérant au nom d’un bien supérieur antagoniste . Entre dieu et l’argent, il faut choisir (Mathieu).  Et ceux qui ont de l’argent et qui se livre au commerce, y compris de la monnaie, dans le but d’en avoir toujours davantage, feront toujours passer leur intérêts terrestres avant la nécessité de la charité quant ils ne feront pas de celle-ci un paravent de leur avidité. Enfin cette vision chrétienne traditionnelle qui interdit ou fait obstacle à toute remise en question des savoirs et des techniques qui désenchanteraient la vision religieuse et finaliste, sinon fataliste, du monde, désenchantement dont pourtant la développement de la société marchande a nécessairement besoin. Seuls ceux, certains néo-calvinistes anglo-saxons,  qui verront dans  la réussite économique et la richesse capitalistique le signe d’une élection divine due à des capacités morales paradoxalement hautement puritaines (au moins en apparence) tenteront outre-atlantique de récuser hypocritement, consciemment ou non, un tel choix  et feront des inégalités entre riches et pauvres l’expression d’un inégal mérite moral fondé en religion. Sans grand succès dans les pays catholiques ou luthériens. Le dollar deviendra pour les USA, comme vous le savez,  l’expression même de la vérité divine. Ce qui continuera à nous choquer comme nous choque aujourd’hui certains aspects de la politique états-unienne qui mêle sans vergogne  la religion à l’argumentation politique et la guerre pour le pétrole au combat pour la démocratie et contre l’axe du mal.
Pour se sortir de la guerre de religion permanente en Europe la tradition chrétienne a d’abord tenté le fameux principe de compromis « un prince, une religion » ; or ce principe aboutissait, sur fond de crise religieuse et de la foi du au développement des sciences et du commerce, à expulser hors de France au profit de la Prusse, par exemple,  les protestants les plus dynamiques pour le développement économique et à continuer à pratiquer l’intolérance d’état à l’intérieur. L’échec était alors patent : on ne pouvait concilier liberté chrétienne d’un côté et liberté de conscience et économique de l’autre. Le modèle théocratique et hiérarchique/monarchique du pouvoir ne pouvait plus fonctionner, c’est à dire ne pouvait plus garantir la sécurité et la paix dans la justice vécue. Sa légalité s’imposera progressivement comme  illégitime et tyrannique au regard et au profit des droits dits naturels des hommes par opposition aux devoirs et droits divins et cela d’autant plus que les guerres politico-religieuses incessantes ruinaient leurs espoirs de s’enrichir, voire de survivre.
Dans ces conditions l’idée de  liberté est libérée de la soumission, de moins en moins consentie, à Dieu et à une morale extérieure, voire contraire, au désir humain, c’est à dire au « devoir par devoir » selon la formule de Kant, et tend à se confondre avec le droit de chacun, défini comme naturel, de rechercher son propre bonheur ici-bas.
    1-2 La liberté comme droit naturel
     Parler de droit naturel au bonheur, c’est à dire à la réalisation de son désir spontané indissociablement d’être et d’avoir dans le monde, c’est inscrire la liberté dans l’immanence de notre nature désirante. Le droit naturel devient alors le fondement du droit civil en l’arrachant au droit divin reçu alors comme un devoir contraignant injustifié, car contraire à la nature sensible de l’homme. La déclaration d’un  droit naturel à la liberté du désir est donc l’affirmation que les individus n’appartiennent ni à une église, ni à une société, mais qu’ils s’appartiennent à eux-mêmes et qu’il sont seuls juges  de leurs relations  aux autres dans le cadre de contrats volontaires négociables. Ceci veut dire aussi que les droits de l’homme sont le fondements des droits du citoyen et non l’inverse . L’idée de droit naturel à la liberté ou autonomie est donc opposée à celle d’une nature soumise des hommes à un quelconque ordre transcendant , fusse celui de Dieu ou de l’état, pour qu’un ordre social soit possible . Mais encore faut-il , pour cela , définir plus précisément cette nature humaine qui est supposée devoir être considérée comme libre par et pour elle-même et l’usage social qu’il convient d’en faire pour éviter l’anomie sociale et la guerre de tous contre tous . En quoi et pourquoi la nature humaine peut-elle dite libre et devenir le principe fondamental d’un ordre social juste , au point de considérer comme in-humaines ou infra-humaines ou pré-humaines  toutes les sociétés théocratiques et holistes traditionnelles et jusqu’à  faire de la monarchie de droit divin absolue et des hiérarchies sacralisées des institutions sociales contre nature ? Plusieurs positions libérales sont ici possibles et se sont fait concurrence, jusqu’à marquer encore de nos jours la vie politique. Trois d’entre elles sont significatives: 
- Celle qui fait du droit civil et politique inégalitaire le prolongement apparemment paradoxal du droit naturel égalitaire, et qui légitiment les inégalités sociales et politiques , dès lors qu’elles sont le fruit des talents individuels tels qu’ils s’expriment « justement » dans le jeu de la concurrence ou d’un contrat politique indispensable à l’unité et à la cohésion du corps social.
- Celle qui fait du droit civil formellement mais non réellement égalitaire, le prolongement du droit naturel.
 - Et celle qui fait du droit civil  un droit construit pour refondre artificiellement un équivalent de l’égale liberté naturelle dans l’état de société en visant à réduire les inégalités qui la traversent.
Nous reconnaissons là les oppositions entre les conceptions de Hobbes, de Locke et de Rousseau qui sont au cœur de la pensée libérale et continuent en profondeur à l’animer,  mais dont la première et la dernière en sont les bornes extrêmes ou limites, au point, pour certains, d’en devoir être exclues. Ces oppositions ne doivent pas nous étonner : elles sont l’expression du problème majeur de la pensée libérale, à savoir : comment concilier la liberté individuelle toujours tentée par l’égoïsme avec l’exigence d’un ordre collectif qui suppose peu ou prou que chacun se soumette à une loi extérieure contraignante ?
1-3 Les oppositions internes du libéralisme
La première position charnière et paradoxale, celle de Hobbes, est moralement pessimiste, mais socialement optimiste. Pour elle, en l’absence de la contrainte politique, la nature humaine réside d’abord dans la propension passionnelle des individus à désirer toujours davantage de biens, à s’affirmer aux yeux des autres, à s’en faire reconnaître, voire à chercher à leur être supérieur en les dominant pour pouvoir se juger positivement eux-mêmes. Se comparer pour exister en une compétition permanente, afin de jouir égoïstement de soi comme valeur, ce que l’on appelle l’amour propre ou la vanité et l’honneur, serait au fond de la nature désirante des hommes laquelle les distinguerait des animaux qui eux ne connaissent que le besoin vital en vue d’obtenir des ressources nécessaire à leur existence biologique et à leur reproduction. Mais cette égoïsme peut être socialement régulé par la soumission à l’état absolu de telle sorte qu’il ne débouche pas sur la violence ou guerre de tous contre tous et grâce au commerce marchand généralisé et à la pratique du contrat qui fait de la compétition un jeu pacifique et profitable à tous dès lors que tout perdant peut espérer devenir dans un domaine ou un autre gagnant un jour s’il travaille pour les autres avec compétence en vue de satisfaire au mieux ses intérêts propres dans un cadre concurrentiel et social adéquat qui l’obligera à faire que son vice privé serve à la vertu publique; nous y reviendrons.
La seconde, celle de Locke, est moralement et socialement optimiste ; elle considère que la liberté naturelle de chacun est d’emblée bienveillante aux autres moyennant une révélation religieuse fondatrice de l’amour universel, soit par l’effet d’un identification spontanée avec ses semblables, soit par la nécessité d’une coopération indispensable à la survie de chacun. L’état doit limiter son rôle à garantir  la liberté d’entreprendre naturelle de chacun  en se contentant de garantir le droit de propriété de son corps et de ses biens dans le cadre de la libre concurrence sans lequel aucune liberté n’est possible ainsi que la tolérance religieuse  indispensable à la cessation de la guerre civile (à l’exception de l’athéisme et du papisme qui menacent  l’unité bienveillante de tous avec tous  )
La troisième, celle de Rousseau est moralement optimiste et réellement socialement pessimiste, bien que socialement idéalement optimiste ; elle considère que, dans l’égalité  naturelle des conditions, l’homme est spontanément pacifique et enclin à la sympathie vis-à-vis de ses semblables , mais que c’est l’état social d’inégalité qui pervertit son amour de soi et de ses semblables en amour exclusif de soi aux dépens des autres, en amour égoïste de soi ou amour propre. Il suffirait alors de restaurer civilement un équivalent de l’égalité naturelle entre les individus pour que la liberté naturelle se transforme en liberté civile et que chacun puisse être entièrement libre sans nuire aux autres, tout en coopérant volontairement en vue de la satisfaction de leur intérêt général commun et de leurs désirs particuliers mutuels, rendus, par l’égalité des droits et des conditions, compatibles entre eux.
Dans tous les cas, les individus sont censés devenir raisonnables dans l’usage qu’ils font de leur liberté désirante, soit par nécessité intéressée, c’est à dire par calcul de l’intérêt bien compris, soit par conviction solidaire (sympathie) , mais non pas par l’effet d’un pouvoir transcendant de menace de type théocratique, mais celui, délégué par les individus-citoyens, de l’état, sur une très petite minorité qui seraient assez inconsciente ou perverse pour ne pas comprendre ce qui peut faire son bonheur et son intérêt véritable, qu’il faudrait alors forcer à être libre dans son propre intérêt ou qu’il faudrait exclure de la société pour non respect de la vie et de liberté des autres.
Mais il y a une grande différence politique, économiques et sociales entre ces trois positions libérales  : dans la première (Hobbes), on ne peut concilier l’immoralisme du désir humain et la morale sociale pacificatrice que si les désirs égoïstes s’expriment sous la domination consentie d’un intérêt personnel absolument dominant devenu par contrat l’intérêt de tous à la paix civile, celui du monarque absolu de droit humain ; dans la seconde (Locke) les désir égoïstes peuvent et doivent s’exprimer pour que les hommes soient heureux et ces désirs ne deviennent mauvais que lorsqu’ils s’expriment dans la guerre et non dans la relation commerciale (le doux commerce cher à Montesquieu) ou la politique sous le contrôle démocratique des autres dans le cadre d’un état de droit qui dispose d’une délégation de pouvoir de la part de la majorité des individus-citoyens et cela  dans une société égalitaire en droits mais non en richesse ou  en puissance sociale ; inégalité réelle nécessaire pour rendre possible un dynamisme compétitif favorable à tous; dans la troisième (Rousseau) il convient rendre les individus solidaires, c’est à dire bons, dans une société égalitaire en droit et en moyens. Dans la première, et la seconde l’état est réduit à sa fonction de régulation et de pacification plus ou moins contrainte,  des égoïsmes nécessaires, indissociables de l’exercice de la liberté naturelle et dans la troisième l’état est le régulateur et l’éducateur de la liberté qui, devenue civile, n’est plus naturelle et le régulateur, voire le gestionnaire de le vie économique en un sens moral en vue d’une réelle égalité et coopération solidaire, volontaire et désintéressée entre tous . Ainsi dans la première (Hobbes) le libéralisme économique privé a pour condition un anti-libéralisme politique radical conventionnel (artificiel), seul capable de mettre fin par la loi et la puissance du souverain absolu au risque de la guerre de tous contre tous. Dans la seconde (Locke) le libéralisme économique a pour condition le libéralisme politique et religieuse (mis à part l’athéisme et le papisme intolérant) et l’état est réduit à sa fonction de régulation et de pacification,  des égoïsmes nécessaires, indissociables de l’exercice de la liberté naturelle limitée et garantie. Dans la troisième (Rousseau) le libéralisme politique a pour condition  une limitation par l’état du libéralisme économique afin de promouvoir l’égalité sociale réelle de producteurs et artisans autonomes et sans employés;  pour ce faire, l’état doit être l’éducateur de la liberté qui, devenue civile, n’est plus naturelle pour en préserver l’égalité,  ainsi que le régulateur, mais non l’administrateur, de le vie économique en un sens moral en vue d’une réelle égalité et coopération solidaires, volontaires et désintéressées entre tous ?
Chaque position revendique la bonne définition du libéralisme contre l’autre :
<!--[endif]-->        Les deux premières au nom de la liberté naturelle tempérée par une religiosité plurielle traditionnelle dépourvue d’église disposant d’un pouvoir supra-étatique et/ou par un état (absolu ou démocratique) garant des libertés individuelles et du droit de propriété qui favorise la concurrence économique et l’égalité des droits économiques sinon des chances.
L’autre au nom d’une liberté naturelle remodelée ou transformée en liberté civile ou civilisée par l’état éducateur qui instaure l’égalité des droits et la soumission des intérêts particuliers à l’intérêt commun, expression d’une volonté générale dont l’état revendique le monopole de la  représentation rationnelle.
Les deux premières considèrent que la libre concurrence et l’égalité formelle du droit à la propriété privée suffit à établir la justice sous condition de faire cesser l’insécurité, dès lors que les différences sociales entre les individus ne sont que l’expression des différences des mérites et des talents individuels ; la dernière considère que les inégalités sociales sont à l’origine de l’inégalité des chances,  donc d’une réelle inégalité des droits et d’un égoïsme mettant en danger l’expression d’une authentique volonté générale solidaire. Pour elle, la justice, au contraire des deux premières positions, implique, comme condition nécessaire, la réduction des inégalités réelles afin d’instaurer une véritable égalité des droits et que la liberté naturelle, retravaillée par l’éducation des citoyens par l’état républicain, puisse s’exprimer dans les conditions de la société.
Si les hommes son également libres en nature pour l’une et l’autre position, il suffit pour les premières de mettre en jeu cette liberté naturelle dans des conditions qui mettent chacun en situation de faire valoir pacifiquement ses talents pour bénéficier justement de son mérite propre sans avoir à se soucier des autres sinon pour satisfaire, par son travail soumis à la concurrence, leurs désirs individuels de s’enrichir et de consommer. Pour la dernière au contraire, il convient d’ instaurer les conditions de l’égalité sociale, au moins des chances,  pour faire en sorte que la liberté naturelle des uns, les riches et les puissants, ne devienne pas « la liberté du renard libre dans le poulailler libre »
Entre ces trois positions le choix est problématique, si la première, celle de Hobbes, s’est trouvée rapidement disqualifiée au profit de la seconde par l’effet de cette contradiction interne qui consiste à faire garantir la liberté privée de chacun sur celle d’un monarque échappant à tout contrôle et donc susceptible d’abuser de son pouvoir aux dépens de la liberté des autres, ce que l’histoire démontre, le choix entre la seconde (Locke) et la troisième (Rousseau) repose sur la question de savoir si la concurrence et la compétition sociale réglée par le droit contractuel garanti par l’état est mieux à même que l’état pour obliger les individus à faire un bon usage de leur liberté naturelle afin de la rendre civile (pacifique et coopérante). On peut tout aussi bien penser, en effet, que la concurrence en vue du profit est plus libérale, c’est à dire conforme à l’initiative individuelle, au bout du compte profitable à tous, que penser que la concurrence n’est jamais égalitaire et qu’elle avantage nécessairement les plus favorisés ou les plus chanceux aux dépens de la majorité mettant en cause leur initiative ou marge de manœuvre sociale, récréant ainsi les conditions de la guerre des pauvres contre les riches, voire de tous contre tous . Il nous faut donc étudier la relation complexe entre le libéralisme, d’une part, et la concurrence économique et la compétition socia devenir raisonnable selon Hobbes lui-même; de fait, s’il ne rencontre aucune limite à l’expression de ses passions il est en permanence tenté d’abuser de son pouvoir sans limite contre la liberté privée d’entreprendre et la sécurité de ses sujets, ne serait-ce que parce qu’il est en état des guerre permanent contre les autres souverains, car nous dit Hobbes, en l’absence d’état mondial, les relations entre les chefs d’états restent un état de nature et donc de guerre. Nous savons que la question des impôts pour la guerre de défense et d’extension de sa puissance prélevés sur ses sujets par la souverain afin de l’emporter sur les autres a été au centre de toutes les révoltes bourgeoises et populaires en Europe contre les monarchies absolue. Les guerres et la nécessité de faire subir aux citoyens la poids financier et l’impôt du sang a entraîné la misère et la réduction des capacités d’ initiative des sujets qui, loin d’avoir gagné en sécurité perdent, par l’aliénation totale de toute liberté politique au profit du souverain, la capacité de se défendre eux-même contre les  exactions inhérentes de l’absolutisme. Sauf, bien sur,  s’ils  se révoltent contre leur souverain tyrannique, les citoyens aliènent alors à la fois la liberté et la sécurité ; mais cette révolte, en tant que conséquence nécessaire du pouvoir absolu,  fait revenir à l’état de guerre civile, c’est à dire, à l’état de nature que la monarchie absolue, bien que consentie par contrat mutuel, devait justement réduire ; c’est dire qu’un tel échange contractuel par lequel chaque citoyen abandonnerait la liberté politique au profit de la sécurité privée est un marché de dupe car en perdant la liberté politique le citoyen perd tout comme l’affirmera Rousseau. La position de Hobbes, en prétendant fonder et garantir la liberté privée sur et par la non-liberté politique  est donc contradictoire en elle-même. Qu’en est-il de celle de Rousseau qui semble s’y opposer radicalement.
La seconde  (Rousseau) tente de fonder la liberté politique sur la réduction, voire la suppression  des inégalités sociales et économiques. Ce faisant elle fait du peuple absolument souverain la  source d’une législation égalitaire, voire égalitariste, seule capable de rendre possible un authentique intérêt commun et une volonté générale qui s’impose aux intérêts particuliers. Mais l’expression de cette volonté générale suppose trois conditions extrêmement restrictives: D’abord que tous les citoyens unis par contrat au tout de la société soient, sinon d’accord sur tout, au moins sur la nécessité de réduire la liberté économique afin de rendre impossible le développement d’une économique dynamique et progressive mettant en jeu les désirs et passions illimités des individus. Cette économie frugale du besoin naturel par opposition à celle des désirs artificiels implique à son tour une société communautaire, voire communautariste peu nombreuse dans laquelle tous se connaissent personnellement, fermée et indépendante des autres, réellement, c’est à dire socialement et économiquement, égalitaire, dont le ciment idéologique est une religion civile obligatoire qui « sacralise » la communauté aux dépens des désirs individuels et des autres sociétés. Ensuite elle suppose le pouvoir exécutif fort d’une élite de magistrats non directement contrôlables par les individus-citoyens , indépendante du pouvoir législatif du peuple, afin de faire respecter par chacun, y compris par la contrainte et la menace de mort, cette égalité et l’expression de cette volonté générale transcendant les désirs et intérêts particuliers qui en est la conséquence. Enfin elle exige des citoyens vertueux dans leur plus grande majorité, dépourvus d’égoïsme et qui accepteraient, plus volontairement que par la contrainte, de sacrifier ou de mettre au service de la communauté leurs personnes, leurs biens et leur liberté ou pouvoirs naturels. Autant dire que la position de Rousseau reste inapplicable à la quasi-totalité des sociétés humaines existantes, sauf à prétendre les révolutionner par la violence et la terreur extrêmes ; ce qui de l’aveu même de Rousseau conduirait au pire désastre social qui soit : la fin du contrat social et à  la guerre civile qui elle même fait cesser toute moralité.
Ainsi les positions de Hobbes et de Rousseau se rejoignent malgré leurs oppositions apparentes de principe pour dénier ou réduire le droit à liberté individuelle politique dans un cas et/ou privée dans l’autre, au nom d’une conception idéaliste à la fois incohérente et inapplicable d’un pouvoir absolu souverain plus ou moins nécessairement terroriste et despotique dans les faits, que ce soit celui d’un homme, du peuple incarnant une volonté générale égalitariste, ou des magistrats chargés de la mettre œuvre, afin d’établir prétendument la paix et la concorde civile. C’est pourquoi, non sans que le problème de l’inégalité sociale ne reste posé au sein même de leur réflexion, les libéraux conséquents tels que Locke et A. Smith ou chez nous Benjamin Constant, n’ont jamais voulu séparer les libertés économiques et les  libertés politiques ; l’économie libérale et la démocratie, au moins représentative (que refusait du reste Rousseau comme attentatoire à l’expression directe de la volonté générale par les citoyens ). D’où la nécessité de nous interroger sur ce qui fait la nature de ce lien nécessaire entre la liberté privée et économique et les libertés  politiques chez ceux qui se considèrent, à mon sens à juste titre, comme les seuls vrais libéraux.

2-2 La théorie des sentiments moraux de Mandeville à A.Smith
Idéalisme et réalisme éthique.
Hobbes, nous venons de la voir,  fonde la sociabilité humaine sur la peur, au point disait-il qu’il faut toujours supposer l’homme naturellement méchant (possessif et vaniteux) et qu’ il convient qu’il se soumette et soit soumis  à  un souverain au pouvoir absolu afin de sortir de l’état de guerre spontané de tous contre tous, alors que Rousseau  fonde cette sociabilité sur la vertu cultivée par une société civile égalitaire répressive de la liberté égoïste d’entreprendre et de la perversion sociale de l’amour de soi transformée par l’inégalité sociale en amour propre ;  laquelle vertu sociale communautaire est censée retrouver l’innocence naturelle perdue, constituée par l’amour de soi indissociable de la pitié naturelle. Mais par delà leur opposition de principe les deux conceptions reviennent au même, à savoir  refuser l’humaine condition telle qu’elle est , à la fois spontanément et indissociablement sociale et égoïste. Ce refus repose sur l’idée que la sociabilité est toujours forcée. Or la condition humaine est au contraire dira plus tard Kant, en employant l’expression d’ « insociable sociabilité », irréductiblement marquée par l’alliance conflictuelle entre l’égoïsme et la sociabilité qui traverse et anime le désir spontané, à la fois individuel et universel, du bonheur et de la reconnaissance,. Refuser l’un au nom de la vertu égalitaire et communautaire ou l’autre au nom de la méchanceté violente naturelle de l’homme, c’est donc refuser l’humain dans l’homme au profit, soit d’un infra-humain politiquement liberticide, soit d’un surhumain moral inaccessible et qui l’est tout autant, bien qu’individuellement. Par contre ce qui permet de lier, chez les philosophes  libéraux cohérents de Mandeville à Hayek, la liberté politique et la liberté économique, c’est l’idée et le fait que la liberté individuelle n’est pas nécessairement associable, voire qu’elle peut être, dans son égoïsme même et à certaines conditions,  la condition d’une sociabilité pacifique et coopérante. Pour penser le fondement indissociablement rationnel et factuel de ce lien, les penseurs libéraux vont s’efforcer de développer non une morale idéale de ce que devraient être les comportements humains pour devenir sociaux mais une théorie des sentiments moraux tels qu’ils rendent spontanément possible cette sociabilité, sans répression excessive de l’initiative individuelle.
Ainsi pour Mandeville, une société humaine moralement vertueuse ou purement altruiste serait invivable, ce sont au contraire les vices : à savoir le désir égoïste de posséder, de consommer le maximum de plaisirs, le goût du luxe et du pouvoir,  autant d’expressions de la passion vaniteuse, qui motivent les hommes à jouer un rôle social et qui font marcher la société toute entière dans le sens d’un progrès dans lequel chacun peut croire y trouver son compte ; sans cette frénésie du désir, tous s’appauvriraient puisque les pauvres ne pourraient pas être employés par les plus riches et dans l’égalité vertueuse nul n’aurait l’espoir de s’enrichir et de voir sa condition s’améliorer. Une société vertueuse serait frugale, c’est à dire ne satisferait que les besoins vitaux (naturels et nécessaires), chacun pour soi et ses proches, et non les désirs artificiels et superflus  indéfiniment  croissants qui seuls obligent les hommes à travailler, à créer et à produire les uns pour les autres, connus ou inconnus, proches ou lointains, à échanger sans limites ni frontières (qu’on songe à la route de la soie autrefois et  à la mondialisation aujourd’hui), et se rendre des services mutuels en une compétition stimulante et bénéfique à tous. L’appât du gain et du prestige indissociables est ainsi le moteur de la vie collective. De plus  sans le vice de l’hypocrisie la société ne connaîtrait  ni la politesse, ni donc la civilité indispensable pour que les individus se supportent les uns les autres. L’égoïsme et la seule motivation socialisante pour qui n’est pas un saint et nous savons que les saints sont nécessairement des individus hors du commun, les moines, quant à eux , soit s’abîment dans la contemplation et la prière mais vivent de la charité intéressée du commun des mortels en vue de leur salut post-mortem, soit font travailler des sous-moines comme des esclaves. . Les vices privés font donc, pour reprendre la formule de Mandeville, le bien public.. Par contre, outre de conduire à la misère générale et à l’apathie  ou démotivation des individus,  une société morale serait répressive des passions qui font la nature humaine et serait donc nécessairement liberticide. Ainsi aucune société ne peut être morale et heureuse et c’est l’amoralisme, voire l’immoralisme qui font l’histoire, c’est à dire le développement économique, la prospérité générale et le bonheur ou l’espoir de bonheur de chacun.
Mais ce que Mandeville ne nous explique pas c’est comment à partir de cette vision  cynique, amorale, voire immorale de la cité prospère et heureuse, on peut combattre  le déferlement passionnel qui conduit à la violence et de la domination ; bref comment cette société, qu’on peut dire réaliste, se donne des règles du jeu collectives, des lois afin d’éviter de s’autodétruire et sombrer dans l’anomie suicidaire. Il faut, en effet, pour comprendre cette régulation sociale nécessaire des passions soit invoquer un bridage ou corsetage instinctif et faire de la société humaine une société biologiquement prédéterminé à la sociabilité pacifique (par sélection naturelle ou par constitution divine), soit en revenir à la position de Hobbes, à savoir celle d’une soumission à la fois  volontaire et contrainte par la force à la volonté d’un seul : le souverain absolu. Le libéralisme économique a alors pour condition le non libéralisme politique et religieux. Ce qui , nous l’avons vu, est contradictoire : nul ne peut être libre dans ses actions, et garanti quant à la sécurité de son corps et ses biens s’il est totalement soumis à le volonté particulière (et pour Hobbes il n’y a pas de volonté générale, sinon par agrégation arithmétique des volontés particulières) d’un autre et le fait que cette soumission soit volontaire ne peut faire que le souverain soit raisonnable et/ou moins passionné dans l’usage qu’il fait de sa puissance illimitée.
Or faire du seul jeu spontané d'autorégulation par sélection naturelle la source unique de la régulation pacifiante des relations entre les individus, comme semble le penser Mandeville, c'est refuser de voir l'importance décisive de la  vie politique et son implication permanente délibérée dans le jeu économique; mais cela est démenti par l'histoire des hommes qui montre à l'évidence que le  droit, par exemple commercial, est l'objet privilégié des décisions politiques; ainsi la déclaration des droits égaux des hommes et par exemple du droit de propriété qu'elle affirme comme sacré est une décision politique délibérée prise dans de cadre de luttes politiques explicites contre l'arbitraire du droit féodal inégalitaire. Le droit n'est pas instinctuel (inscrit dans nos gènes), mais toujours culturel et politiquement ouvert à la contestation et à la décision transformatrice délibérée des relations, y compris passionnelles, entre les hommes.
Nous savons d'expérience que l’instinct biologique chez l’homme et le seul instinct de survie, au contraire de chez les abeilles, ne sont  pas suffisants pour éviter la violence intra-sociale collective et interindividuelle autodestructrice ; il nous faut donc aller chercher dans l’égocentrisme passionnel  humain, c’est à dire dans le désir proprement humain d'être et de paraître (de valorisation de soi), dans son rapport  aux autres, aux institutions et aux échanges économiques, ce qui rend possible une autorégulation pacifique des relations mutuelles dans des conditions sociales favorables qu’il s’agit d’instituer (de construire) politiquement, sans avoir nécessairement recours à un menace liberticide extérieure permanente généralisée, qu’elle soit politique ou religieuse.
 

C’est A.Smith qui, dans son ouvrage « La théorie des sentiments moraux », va tenter de trouver ce fondement spontané de la sociabilité dans ce qu’il appelle les sentiments d'estime de soi et de sympathie , en tant qu'ils rendent possibles, voire nécessaires, une économie, une politique et un droit libéraux.
La sympathie, pour lui, est le sentiment d’identification spontané qui permet d’interpréter les actions des autres et ce qui les affecte et les meut (émotions) en fonction de son propre désir ou amour de soi. Or en cela la position de Smith n’est pas celle de Rousseau, car la sympathie n’implique pas forcément la bienveillance et la générosité vis-à-vis des autres, mais la conscience de cet universel humain donc réciproque qu’est l’amour de soi ; C’est pourquoi selon lui (contrairement à Rousseau) la sympathie est toujours plus grande au vue de la joie affichée des autres que de leur souffrance qu’au fond nous refusons pour nous même. Cette sympathie n’empêche nullement le conflit voire la haine, lorsque ce sentiment de l’amour de soi n’est pas reconnu, voire est contredit, par celui d’autrui. Mais cela veut dire qu’il faut s’aimer soi-même pour  comprendre les autres et entretenir avec eux des relations éventuellement positives (heureuses) de réciprocité. Du fait de cette sympathie, chaque individu en société cherche la reconnaissance ou l’estime des autres pour s’aimer lui-même et peut ainsi comprendre qu’il en est de même pour les autres. Il convient donc pour chacun de chercher cette estime des autres, dans le cadre de relations réglées par la coutume et l’habitude, de telle sorte que cette réciprocité positive devienne quasi-automatique.
Or cette bienveillance automatique en vue du bonheur mutuel se manifeste dans les relations commerciales ou, pour reprendre une célèbre formule de Montesquieu, dans le « doux commerce ». Pour acheter et vendre il faut renoncer à la violence ou au vol et s’engager à satisfaire les désirs d’autrui sans abandonner ou sacrifier sa propre satisfaction ou intérêt personnel. Le commerce implique l’idée d’un échange bénéfique aux deux partenaires (vendeur et acheteur) car exige, dans les conditions de la libre-concurrence supposée parfaite (nous y reviendrons), que chacun reste libre de consentir ou non à la transaction tout en étant contraint de tenir compte de la satisfaction d’autrui., par son propre désir, et non par une quelconque morale ou puissance politico-religeuse extérieure ou encore par une générosité inconditionnelle (et donc sacrificielle de soi) bénéfique à autrui, De plus le relations commerciales exigent un contrat de confiance des partenaires les uns vis-à-vis des autres, or celle-ci suppose ce désir d’être estimé qui est au cœur de toutes les relations, voire passions, humaines. Donc pour A.Smith les échanges économiques et commerciaux de biens et de services sont toujours aussi des échanges moraux au sens où est mis en jeu le désir de reconnaissance de soi dans le désir de reconnaissance de l’autre. C’est en cela qu’une réciprocité positive des relations est toujours associée et non contraire à l’égoïsme de l’amour de soi que Smith ne différencie pas nettement, contrairement à Rousseau,  de l’amour propre. Par contre Smith distingue, contrairement à Mandeville, pour les opposer, la vanité qui prétend affirmer l’amour de soi sans réciprocité  dans le mépris des autres, mais qui échoue car il ne trouve que le mépris, voire la haine des autres, et l’amour de soi authentique de soi car réciproque  toujours récompensé dans l’estime des autres, ainsi par leur fidélité commerciale, gage de prospérité mutuelle. C’est pourquoi les hommes s’efforcent constamment  d’accroître leur fortune pour se faire estimer positivement  par les autres ; or cette estime exige que le fortune soit acquise par l’épargne dans des conditions honnêtes qui fasse droit à la satisfaction des autres. Pour A. Smith donc, le désir de s’enrichir par l’épargne est la conséquence de celui d’obtenir la sympathie des autres et une image sociale positive de soi dans le cadres de relations commerciales mutuellement bénéfiques. Il est indissociable du fait que l’on sympathise plus avec le bonheur qu’avec le malheur car nous désirons tous être heureux, a savoir s’aimer soi-même ; or la richesse bien acquise (ou l’intérêt bien compris) est un facteur essentiel de cet amour de soi.
Ainsi « le désir de devenir l’objet propre [adéquat] de l’estime et de la considération peut provenir soit de l’ amour même de la vertu », soit de celui de la vraie gloire méritée, soit de celui de la  vaine gloire vaniteuse imméritée. Seul le second est  motivant et efficace pour le plus grand nombre , donc seul il peut fonctionner comme un facteur central bénéfique aux échanges sociaux.
Pour lui, la relation commerciale, bien qu’amorale au sens chrétien du terme car intéressée, n’est pas immorale dès lors qu’elle ne peut pas ne pas tenir compte de l’intérêt bien compris du partenaire de l’échange qui ne peut pas être traité comme un adversaire et encore moins comme un ennemi. De là provient la théorie reprise de Montesquieu du « doux commerce » qui peut permettre de réduire le risque de violence entre les hommes.
Mais encore faut-il que cet échange soit égalitaire et libéral et pour cela réglé par cette main invisible qu’est pour Smith le marché concurrentiel.

2-3 Du principe libéral de la concurrence comme principe idéal de justice
Pour A. Smith, le marché et la libre concurrence sont des facteurs contraignant d’égalisation. En effet ils détruisent nécessairement  les hiérarchies et les statuts traditionnels figées. En faisant de chacun  un consommateur capable de choisir son fournisseur selon son intérêt mesuré en terme de coût/qualité, le marché concurrentiel détruit le rapport monopolistique qui assure la suprématie des producteurs aux dépens du plus grand nombre : les consommateurs. Au contraire, le marché concurrentiel assure le primat de la demande sur l’offre, mais comme tous sont autant des vendeurs qu’ acheteurs, les positions s’égalisent dans le circuit économique de l’offre et de la demande, du fait que celui-ci doit nécessairement par le jeu de la concurrence atteindre l’équilibre à terme. De plus la libre concurrence  interdit à un producteur de prétendre rendre captive une clientèle à son profit car aussitôt il serait alors victime de la défection de ses clients au profit d’un concurrent ; Du coté de la production, la force de travail étant elle aussi  une marchandise (et là c’est l’employé qui est vendeur et le capitaliste l’acheteur) s’échangeant librement contre salaire sur le marché de l’emploi concurrentiel, chaque employé, est a priori capable de s’adapter à ce marché de telle sorte qu’il ne peut en être exclu et encore moins être tenu à travailler pour tel ou tel employeur à des conditions qu’il refuserait. S’il est soumis à la concurrence des autres et en cela ne peut prétendre avoir un place privilégiée ou protégée aux dépens des autres, il ne peut non plus être victime d’un quelconque ostracisme extérieur ou d’une situation imposée de dépendance qui lui interdirait toute liberté de manœuvre et la possibilité de la défection. S’il ne réussit pas dans ce conditions il ne peut alors que s’en prendre qu’à lui-même. Ainsi le marché concurrentiel agit comme un automatisme autorégulé (main invisible) qui produit nécessairement l’ajustement  entre l’offre et la demande au profit de la satisfaction optimale des producteurs, des consommateurs, des employeurs et des employés, c’est à dire de tous. Il est anti-corporatiste et anti-protectionniste et par là permet à chacun de faire valoir dans les rapports de production comme dans les échanges (les rapports de distribution) son autonomie et ses intérêts propres, en l’obligeant à se soucier des intérêts d’autrui ; il réalise sur le plan économique et par le simple jeu de l’intérêt, l’impératif non plus idéalement catégorique mais hypothétique, et par là d’une manière encore plus réellement contraignante, de ne jamais prendre autrui comme seul moyen de son action mais de toujours le considérer comme fin. Ce que la morale idéaliste du devoir est incapable de garantir, l’intérêt bien compris le fait et cela sans effort sur soi-même, ni sacrifice.
Mais dira-t-on qu’est-ce qui empêche l’escroquerie, la manipulation, les fausses promesses pour profiter d’une situation immédiate favorable d’inégalité au profit du vendeur dès lors que seul l’intérêt à court terme pourrait compter pour tel ou tel? Deux choses : la poursuite du jeu pour qui veut continuer son activité et pour cela il lui faut éviter la menace de la sanction par la perte de confiance des clients et, si cela ne suffit pas, la menace d’exclusion du jeu par la force publique, mais surtout le sentiment de sympathie et d’estime réciproque réglé par les habitudes selon la théorie des sentiments moraux de Smith : l’intérêt est ordonné par la sympathie à la réciprocité donc oblige à rester honnête dans les transactions et les échanges ; chacun sait que son intérêt et la recherche de l’estime des autres exige qu’il considère ce même intérêt chez son semblable. Ce qui veut dire que chez Smith l’intérêt est toujours accompagné, chez la plupart, du désir d’obtenir l’estime des autres ; au travers des échanges et les habitudes sociales, les mœurs fixent par un codage symbolique fort les comportements valorisés et valorisants de telle sorte qu’il faudrait être fou ou totalement inconscient vis-à-vis de son propre intérêt  pour oser s’attirer le mépris et la défiance de ceux dont on a besoin pour vivre. Là encore la confiance se mérite et chacun, d’expérience, le sait. Dans la plupart des cas il n’est nul  besoin d’une autorité extérieure pour l’imposer, du reste elle ne s’impose pas vraiment par la contrainte ou alors c’est que la défiance l’emporte déjà et celle-ci menace en permanence la possibilité même de l’échange réciproque libre et mutuellement fructueux. On ne fait pas affaire avec un escroc avéré ou soupçonné tel.
L’économie libérale est donc une économie contractuelle généralisée sans relations de dépendance hiérarchique statutaire : tous les individus sont en droit maîtres de leur décision et de leur engagement vis-à-vis des autres et ont, sous conditions fixées par contrat, le droit d’y mettre fin. Dans un tel contexte de fluidité libérale des relations de production et d’échange, celles-ci ne peuvent sous l’effet de la concurrence pure et parfaite maintenir dans le durée les inégalités existantes, nous y reviendrons ; chacun peut décider de (re) jouer  sa partie dans des conditions plus favorables pour lui, soit en proposant des produits et services mieux à même de satisfaire la demande que ceux de ses concurrents, soit en offrant un travail plus demandé et donc mieux rétribué. C’est en effet la loi de l’offre et de la demande qui décide du prix ponctuel des marchandises, y compris le travail (salaire) et le capital (intérêt), et si le travail est la source de toute valeur d’échange, celle-ci ne peut se réaliser sur le marché, c’est à dire s’exprimer en prix ou valeur monétaire, que par le jeu de l’offre et de
 la demande. Or en moyenne ce jeu dans le cadre de la concurrence tend à l’équilibre, c’est à dire que les prix tendent vers une valeur moyenne proche de la valeur du travail et de la rémunération minimale de capital, proche du taux moyens d’intérêt (5%). Le concurrence des investissements et des producteurs fait que des taux durablement supérieurs sont à terme impossibles. Les revenus du capital sont donc justifiés dès lors qu’ils ne sont que la rétribution du risque prix et de l’épargne qui a permis l’investissement productif aux dépens de la dépense destructrice de pure consommation. L’investisseur est  en effet récompensé du fait d’avoir renoncé à la satisfaction égoïste exclusive immédiate au profit des autres consommateurs, en faisant travailler son capital dans des activités productrices de moyens de satisfaire les désirs d’autrui (les consommateurs ou clients). En moyenne donc, dans le cadre d’une concurrence pure et parfaite ,  c’est à dire sans entrave , ni position dominante durable, les rémunérations du travail et du capital ne peuvent être que la juste récompense des mérites égo/altruistes des différents acteurs du jeu économique. Ainsi, le jeu du marché concurrentiel idéal réalise donc par lui-même sans contrainte étatique extérieure et sans hiérarchie sociale qualitative prédéterminée, l’idéal de justice distributive cher à Aristote. 
En s’efforçant de satisfaire son propre intérêt chacun participe nécessairement au bien être de tous sans y être forcé par l’intervention, au moins sous la forme de menace permanente,  d’un pouvoir transcendant supérieur coercitif (le souverain absolu) , ni être contraint par des exigences morales désintéressées exigeant un sacrifice de soi aux autres. La liberté s’auto-régularise par le jeu immanent d’une mutualisation réciproque automatique des égoïsmes transformés en facteurs de coopération.; Dans le cadre du marché concurrentiel, la société, comme les jeux sportifs, institue d’une manière immanente des règles de fonctionnement qui rendent possible la confrontation sans violence des intérêts et oblige à une coopération immédiatement consentie fondée sur une confiance sympathisante dans l’honnêteté intéressée, donc spontanée, des autres. La liberté d’entreprendre laissée aux individus, loin de générée la violence et la domination, devient un facteur de pacification égalitaire et de réelle justice distributive qui s’exprime par le principe « à chacun selon son mérite »; l’état n’a pas à inventer les règles de la libre concurrence ou à instaurer un hiérarchie contraignante pour imposer un ordre social, mais doit se contenter de les fixer (formaliser) ces règles librement instituées et d’en garantir le respect par la sanction en tant que règles d’une liberté spontanément coopérante. Le société peut devenir donc à la fois libérale sur le plan économique et sur le plan politique, dès lors que nul n’a intérêt de détruire ou d’exploiter à son profit exclusif ce jeu de la libre concurrence sans se mettre lui-même socialement en danger et perdre la sympathie confiante des autres, ce qui le conduirait nécessairement à l’exclusion du jeu économique et, en cas d’escroquerie manifeste, de sanction pénale par l’état. Celui-ci n’est plus alors que l’arbitre d’un jeu économique et social dont il ne définit plus le contenu, ni même les règles, laissant aux joueurs (acteurs sociaux) le soin de les instituer librement par contrat mutuel. La position de A. Smith, contrairement  au modèles de Hobbes et de Rousseau, est libérale sur tous les plans : politique, sociétal et économique. Le risque le plus important est que les gouvernants  tentent de profiter de leur rôle d’arbitre pour profiter du jeu en le détournant à leur profit ; c’est pourquoi il convient de les soumettre à des règles de droit qui garantissent les libertés individuelles (droits de l’homme et du citoyen) contre les abus de pouvoirs des gouvernants et la corruption ont il pourrait être l’objet, voire le sujet, lesquels mettraient en cause leur rôle neutre d’arbitre libéral. Pour se garantir contre ce risque et protéger les citoyens contre les forfaitures éventuelles des dirigeants de l’état, il convient d’instituer ce que l’on appelle la séparation entre les pouvoirs législatif, exécutif et surtout juridique, fondement de l’état républicain anti-despotique de droit moderne. Bien que fort en tant qu’arbitre disposant du monopole du pouvoir de sanction pénale et de l’usage légitime de la force (force publique), l’état libéral n’est donc pas un état de domination, mais de direction au service des citoyens disposant de la liberté d’entreprendre contractuelle et coopérative, auto-régulée par la libre concurrence . Il se doit pour cela de lever les obstacles à la libre concurrence (ex : les obstacles protectionnistes préconisés par les mercantilistes), dite pure et parfaire afin d’assurer l’équilibre général de l’offre et de la demande dans tous les domaines, c’est à dire les lois naturelles de l’économie spontanément justes, selon Smith, de l’économie. Quelles sont-elles ?
2-4 Les conditions de la libre concurrence
On peut en distinguer cinq, qui sont, selon Arrow, prix Nobel d’économie en 1972.
1) La transparence immédiate et gratuite  de l’information pour tous les acteurs ;
2) un grand nombre d’acteurs pour qu’aucun ne puisse utiliser sa puissance propre pour peser sur le marché à son avantage exclusif ; d’où l’absence nécessaire de tout monopole, voire de toute position dominante d’un ou de plusieurs des acteurs ;
3) l’homogénéisation des produits de telle sorte qu’ils soient véritablement concurrents ;
4) La totale moblité des acteurs, surtout des travailleurs et des capitaux et le libre mrché pour tous
5) Mais la condition la plus importante, celle qui conditionne le bon usage des autres est la rationalité des acteurs de l’économie qui sont (doivent être) animés du désir dominant de s’enrichir à long terme dans un cadre éthique intériorisé qui privilégie l’estime honnête de soi par la médiation de rapports valorisés et valorisants avec les autres, comme le souligne A. Smith dans sa théorie des sentiments moraux. Ce qui signifie que sans homme raisonnable, capable de raisonner et de dépassionner son désir d’être et d’avoir, il n’y a pas d’homme économique possible susceptible de faire que le libre marché soit juste et équilibré.
<!--[endif]-->Autant dire que le libre concurrence ne peut être dite « juste » que si l’état ou les institutions politiques nationales ou internationales garantissent, donc imposent le respect de  ces conditions ; or celles-ci sont contraire  à la stratégie des entreprises qui vise toujours à fausser la marché à leur profit exclusif et donc à mettre tout en oeuvre pour réduire la contrainte de ces conditions : Elles s’efforcent toujours de 
- conquérir une position de monopole ou dominante par l’élimination du marché des concurrents réels et potentiels (rachat, dumping ou capture juridique ou technologique de la clientèle) ;
- faire croire faussement à l’hétérogénéité qualitative des produits ;
Ainsi la libre concurrence n’est juste que si est respectée l’égalité sur le marché  au moins potentielle  des situations, que si la compétition économique reste ouverte, que si les consommateurs ont également accès au marché ainsi qu’à l’information qui leur donne un réle pouvoir de décision et surtout que si les consommateurs sont rationnels dans l’expression de leur désir. Le libéralisme économique est donc un idéal normatif qui implique, nécessairement  l’intervention de la politique et l’éducation des consommateurs pour qu’il soit mis en œuvre, sous peine de générer les inégalités qui transformeraient cet idéal en son contraire : le dictature sur le marché de l’offre sur la demande et du capital sur le travail comme l’avait compris déjà A. Smith (voir textes).
Mais il est curieux de constater, et significatif de sa naïveté optimiste sur l’autorégulation du marché, que malgré sa lucidité il n’aborde pas l’économie mafieuse et l’esclavage comme des tendances tout aussi spontanées du marché sans règles ni loi, c’est à dire sans l’intervention d’une régulation politique. On ne peut donc rendre le libéralisme économique , en tant qu’idéal , responsable des inégalités et de ces dérives possibles, mais au contraire il convient de bien comprendre que c’est son détournement idéologique par un capitalisme à prétention monopolistique sous la forme d’un pseudo ultra-libéralisme qui récuserait toute intervention de l’état dans la régulation de l’économie qui est responsable du développement d’un marché de moins en moins concurrentiel, de plus en plus mafieux, et donc de plus en plus anti-libéral et injuste.
Ainsi  c’est cette naïveté originaire qui voit dans la main invisible de la concurrence le seul régulateur de l’économie qui fait que le libéralisme classique réel est pour partie responsable de ce détournement dès lors qu’il n’a pas su évaluer précisément les conditions légales et politiques nécessaires au fonctionnement d’un libre-marché au service de chacun et de l’intérêt général ou mutuel. La liberté en général et économique en particulier suppose toujours des lois pour en faire un droit et une réalité pour tous et en cela éviter qu’elle ne devienne la liberté mafieuse et/ou dominatrice « du renard libre dans le poulailler libre »…
 
Or comment peut-on régulariser l’économie en faisant en sorte que  la position libérale soit politiquement développée dans un sens social plus juste c’est à dite  plus égalitaire et plus universaliste conformément à son idéal originaire?
Nous rencontrons là la limite de a position d’A.Smith qui reste pour le moins ambiguë, voire contradictoire. En effet s’il refuse de reconnaître à l’état un rôle de régulateur de l’économie dès lors que pour lui celle-ci doit spontanément s’autoréguler et qu’il considère que le fonctionnement  nécessairement bureaucratique de l’état le rend incapable à maîtriser le jeu complexe des égoïsmes en vue de la satisfaction de l’intérêt général, il admet que les riches et les puissants peuvent très bien utiliser leur position pour exploiter les pauvres et utiliser leur pouvoir économique pour contraindre l’état, sous prétexte de faire respecter la liberté d’entreprendre indissociable du droit de propriété des moyens de production et d’échange, à soumettre les employés par la force à leur intérêt particulier exclusif mais aussi, et cela est pour lui encore plus grave, à fausser les règles du jeu à leur avantage en multipliant les obstacles à le libre concurrence (ex : le maintien voire l’élévation des droits de douanes, préconisés par les mercantilistes,  pour avantager les nationaux sur le marché intérieur en les protégeant de la concurrence étrangère, et les ententes validées par l’état pour augmenter les prix et les profits). Donc A. Smith est partagé entre la réalité des comportements sociaux des capitalistes, des dérives anti-libérales, voire criminelles et des conflits qu’ils génèrent, et l’idéal de la libre concurrence qu’il prend, non seulement pour un idéal, mais comme une description et explication de la réalité (et en cela il est dans l’illusion idéologique la plus classique) sans être capable de réduire la contradiction entre sa position qui affirme le principe universel de la  non-intervention de l’état dans l’économie et ses conséquences sociales et le fait qu’il constate que cette non-intervention revient, dans les faits, à favoriser les investisseurs aux dépens des salariés et de l’intérêt général, ne serait-ce qu’en vue du maintien de la paix civile (voir textes). Il admet que l’état doit jouer un rôle d’investisseur quant au services et aux biens d’équipement qui concernent l’intérêt général et qui ne peuvent être rentables à court terme pour des particuliers (infrastructures, équipement du territoire, éducation de masse) et aux moyens de protection répressif en vue du maintien de la paix civile, mais il refuse toute politique systématique de redistribution en faveur des plus démunis et accepte le risque politique de l’inégalité des chances tout en soulignant le danger de violence sociale qu’elle génère ; en comptant sur la tradition plus ou moins religieuse de servilité des pauvres par rapport aux riches, il pense que la hiérarchie entre eux est nécessaire et qu’il suffira à la police de faire son métier pour maintenir l’ordre, alors même que l’Angleterre à connu un mouvement populaire extrêmement violent appelé « les niveleurs » revendiquant l’égalité sociale radicale comme une valeur chrétienne. ( L'appellation de niveleurs (en anglais levellers) a été réservée, à partir de 1645, à ceux des révolutionnaires anglais qui, non contents de vouloir éliminer la monarchie encore incarnée par Charles Ier, souhaitaient lui substituer une république où le peuple composé de tous les citoyens adultes serait souverain. Plus que des combattants de la liberté, ils sont des démocrates. Leurs adversaires, qui les baptisèrent, les considéraient comme des « partageux » et pensaient que des hommes sans propriété, s'ils étaient dotés du droit de vote, imposeraient une redistribution des richesses. Accusation alors mortelle, mais qui, au mieux, serait à réserver à un groupuscule qui, derrière Gerrard Winstanley, et entre 1648 et 1652, a agité le drapeau des « vrais niveleurs » ou diggers (« bêcheurs ») et réclamé effectivement une grande mutation de la propriété foncière et des modes de production.
Les niveleurs authentiques ont souvent eu une origine baptiste : soucieux de rapprocher le règne de Dieu ici-bas, ils se muent en activistes révolutionnaires, transposent dans le politique le message religieux de leur secte, leur foi dans l'égalité de tous les hommes, leur tolérance, leur rejet de toute autorité spirituelle. Beaucoup sont imprégnés de l'idée de prédestination et, « saints en marche », tirent de leur foi la conviction qu'ils portent un message divin. Les plus représentatifs sont Richard Overton, un imprimeur, l'un des plus « radicaux », peut-être tenté de déborder du politique et du religieux vers le social ; William Walwyn, marchand londonien aisé et qu'on a pu comparer à Lamennais, dont il précède largement l'espoir d'un christianisme appliqué ; et surtout John Lilburne, un temps colonel de l'armée de Cromwell, une des grandes victimes de l'intolérance prérévolutionnaire, auteur de vigoureux pamphlets en même temps que redoutable organisateur. Leurs disciples sont surtout recrutés dans les villes, dans un petit peuple dont la Révolution française fera les sans-culottes. Ils auraient représenté vers 1649 un bon quart des Anglais et un cinquième des Londoniens. Et, plus important sans doute, le message a été abondamment propagé dans l'armée du Nouveau Modèle, il est l'évangile de nombre de conseils d'officiers et de soldats et très particulièrement des porte-parole (ou agitators) sortis du rang pour siéger dans de véritables soviets militaires hiérarchisés. Tous lisent ou commentent tracts et brochures répandus par milliers (de titres) et qu'un libraire de l'époque a su rassembler (ils constituent aujourd'hui
 la collection Thomason de la British Library).
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C’est cette difficulté centrale de sa théorie quant aux rapports entre la politique et l’économie libérale qui a probablement amené A. Smith a renoncer à publier sa théorie politique et, selon certains témoignages, lui aurait fait détruire les documents dans lesquels il en aurait écrit les prémisses.
3) Démocratie politique et libéralisme économique
Spinoza disait déjà que si les individus étaient spontanément toujours raisonnables dans toutes leurs actions, il n’y aurait besoin ni d’état, ni de politique, ni, ajouterais-je, d’éducation. L’expérience le démontre tous les jours dans la  vie économique , contrairement à la position confiance naïve voire aveugle, et il n’ y a pas de pire aveugle que celui qui ne veut pas voir, dans le puissance  autorégulatrice automatique du marché (main invisible) : sans droit commercial pas de commerce honnête; sans loi contre les monopoles, pas de libre concurrence ; sans droit sociaux, pas de réduction des inégalités et de l’exploitation de l’homme par l’homme, voire pas de salariat , car l’esclavage s’imposerait comme la forme la plus sûre et la plus immédiatement rentable de faire du profit à court terme. Après tout disait Keynes à long terme nous serons tous morts ; autant alors en profiter ici et maintenant…Pourquoi alors choisir une problématiquement rentable à long terme, alors que la concurrence joue dans l’instant même de l’échange marchand?
3-1 De l'utilitarisme éthique
C’est justement  cette difficulté que John Stuart Mill saisit pour tenter de la dépasser : comment construire une société libérale, dans laquelle chacun poursuit son bonheur  et qui soit en même temps telle pour tous sans contradiction, ni conflit irréductibles. Ce qui est en effet utile aux uns ne l’est pas pour les autres et nous savons bien que le bonheur des uns ne fait pas nécessairement celui des autres.
3-1-1 Les difficultés de l'utilitarisme de Bentham
Les utilitaristes comme Bentham , lequel a été un des maîtres avec Auguste Comte de notre auteur, pensaient qu’il suffisaient alors de soumettre le bonheur de chacun à celui du plus grand nombre et aux devoirs qu’il impose pour résoudre cette difficulté, mais cela supposait une double condition :
- Que les plaisirs qui font le bonheur de chacun soient  homogènes (comparables et mesurables) et donc arithmétiquement  calculables, ce qui permettrait, par simple sommation des plaisirs et bonheurs des uns et des autres, après enquête de satisfaction comme on dit aujourd’hui, de passer du bonheur de chacun au bien être majoritaire ou général.
- Que chacun soit dans le camps majoritaire, au point que, si ce n’était pas le cas, son sacrifice éventuel devienne justifié par la poursuite du bonheur de la majorité ; mais alors cela exigeait de mettre en cause la liberté individuelle comme telle au profit d’un conformisme obligatoire, c’est à dire de la soumission inconditionnelle à la majorité et aux habitudes et aux mœurs que celle-ci impose.
Mais ces deux conditions sont contestables: les plaisirs individuels ne sont pas nécessairement composables ; on ne peut, en effet, en faire la sommation, car ils ne sont pas compossibles entre eux chez un même individu et encore moins entre les individus. Rien ne permet plus alors de justifier le sacrifice de la liberté individuelle au bien être majoritaire qui  n’est qu’une fiction confuse mêlant des formes de bonheurs et de plaisirs hétérogènes et souvent contradictoires entre eux et on ne peut décider d’une satisfaction globale plus ou moins importante hormis le seul critère de la survie et/ou de l’enrichissement financier comme seule types de finalités comptables et rationnelles. Or le rapport de ces finalités au bonheur général lequel suppose une certaine égalité des conditions et comme vécu qualitatif est pour le moins problématique. De plus cette position repose sur le paradoxe qu’il y aurait un bonheur général, mais non pas unanime, possible, qui transcenderait les bonheurs individuels minoritaires et pourrait éventuellement s’imposer contre eux, aux dépens par conséquent de la liberté individuelle. Chacun serait en effet appelé, pour le bonheur de la communauté dont il fait partie, soit à s’engager à suivre la voie des autres, soit à renoncer au droit au bonheur personnel dès lors qu’il ne conviendrait pas à la majorité (position du père de notre auteur). Ce qui supposerait que chacun devrait accepter d’être surveillé en permanence dans sa vie personnelle par les autres pour que sa soumission soit validée, reconnue et récompensée. On trouve dans la société américaine, animée de valeurs égalitaires et démocratiques, observait déjà Tocqueville, cette tentation absurde de faire de la liberté individuelle et de son usage l’enjeu d’une surveillance religieuse ou morale, qui dénie non seulement l’autonomie personnelle dans la recherche du bonheur, mais même la liberté de conscience et celle d’exprimer des idées différentes des lieux communs et préjugés dominants. Ce que cet auteur appelait la « douce » tyrannie de la majorité , laquelle est contraire au droit à la recherche de son bonheur propre, inscrit pourtant dans la constitution américaine comme l’expression fondatrice du droit libéral et démocratique. C’est pour tenter de surmonter ces difficultés et ces paradoxes d’un utilitarisme purement quantifiable et au bout du compte liberticide que John Stuart-Mill va développer une nouvelle conception de l’éthique du bonheur, c’est à dire une vision du bonheur qui prennent en compte tout à la fois l’ exigence d’une  relation éthique (bien général) aux autres et la liberté individuelle (bien individuel) ; conception elle même susceptible de fonder une économie politique libérale soucieuse de solidarité.
3-1-2 L'utilitarisme de John Stuart-Mill
"La seule liberté digne de ce nom, affirme J.Stuart-Mill, est celle de travailler à notre propre bien de la manière qui nous est propre, pour autant que nous ne cherchions pas à en priver les autres ou à leur faire obstacle dans leurs efforts pour l'obtenir." Après avoir précisé auparavant :
"Celui qui laisse le monde ou une partie de celui-ci, choisir le cours et le sens de sa vie à sa place, n'a pas besoin d'autre faculté que celle d'imitation des grands singes."
Telle est la conception libérale radicale, à l’encontre de celle, à ses yeux incohérente de Bentham, de son ex-disciple qu’est J. Stuart-Mill ; mais cette position implique aussi, si l’on veut éviter les difficultés de la position de Bentham qu’il convient de montrer que la  finalité éthique fondamentale de chacun est le bonheur général (c’est à dire de tous) ; si le bonheur de chacun réside dans l’expérience personnelle de plaisir et de  la cessation de la douleur, les devoirs ne sont, et ne doivent et ne peuvent être, que des moyens subordonnés en vue du maximum de bonheur universel possible, comme partie prenante de son propre bonheur. Bonheur personnel et bonheur général sont selon lui  indissociables.
     3-1-3 La question du bonheur chez John Stuart-Mill
Le bonheur général (universel) est bien comme le pensait Bentham la source ultime de la moralité et les règles de la recherche du bonheur pour tous celle du droit . Les devoirs ou impératifs ne valent que comme moyens dérivés nécessaires mais non suffisants. Une morale du sacrifice de soi est en effet absurde et invivable si elle prend le sacrifice de son bonheur en vue du bonheur général comme fin en soi inconditionnelle et salvatrice; elle ne peut valoir comme moralité concrète et agissante que si elle se donne comme fin le bonheur des autres, en tant qu’il est une composante et une condition du bonheur personnel. Il n’y a pas de morale du devoir en soi comme le croyait Kant, car toute action ne peut être motivée que par le recherche d’une satisfaction ou l’évitement d’une souffrance, y compris une action morale ; il n’y a qu’une morale du bonheur qui inclut et subordonne le devoir tout en la fois comme instrument et comme partie prenante du bonheur personnel.
La politique et l’économie sont des moyens de parvenir aux bonheur général ; il faut en effet distinguer sans les opposer le bonheur individuel et le bonheur général car si celui-ci n’est pas la seule sommation des bonheurs individuels, spontanément apparemment incompatibles, il convient de  les rendre compossibles par des lois et règles qui autorise chacun à faire un égal  usage de sa liberté sans nuire à celle des autres ; il n’y a du reste pas d’autre limite à la liberté individuelle que celle des autres et  c’est pourquoi, dans le cadre des échanges marchands visant la mutualisation des intérêts individuels,  il faut du droit économique politiquement discuté et décidé. Ainsi l’obligation de participer au bonheur des autres est seconde par rapport à celle qui nous ordonne d’éviter la violence et de porter atteinte aux droits des autres de rechercher leur propre bonheur, car elle ne constitue qu’un devoir indirect subordonné à la seconde ; une trop grande sollicitude peut, en conduire à la domination des autres, c’est à dire, sur un mode faussement positif, à mettre en cause leur propre initiative en les condamnant à la passivité, en en faisant du pure et simple victimes d’un sort injuste. La maxime libérale ne peut être que « Aide toi et les autres t’aideront à agir plus librement encore ». Mais une difficulté apparente de la position de Mill surgit : Comment, dans sa perspective individualiste passer de la satisfaction  personnelle égoïste au désir altruiste en chacun du bonheur général dès lors que celui-ci  implique la soumission au devoir de respecter la liberté d’autrui qui peut, semble-t-il, nuire à celle-la ?
C’est pour répondre à cette question que Mill fait intervenir une distinction fondamentale entre les plaisirs immédiats matériels et égoïstes et les plaisirs spirituels qui leur sont qualitativement  supérieurs, à savoir les plaisirs qui sont le fruit des activités  intellectuelles esthétiques et éthiques (altruistes) dans lesquels chacun même matériellement insatisfait peut être heureux en tant qu’ils permettent à chacun de se reconnaître dans sa dignité humaine. En quoi ces derniers sont-ils supérieurs ? en cela qu’ils sont spécifiquement l’expression de la supériorité spirituelle et sociale des hommes et que chacun peut éprouver par là qu’il incarne cette valeur et que cette valeur ne dépend principalement que de lui, par delà les circonstances extérieures. Ainsi nous dit Mill mieux vaut être Socrate insatisfait (matériellement) qu’un porc satisfait, car si Socrate est matériellement insatisfait, il est  heureux d’être l’homme valeureux car moral et donc pleinement humain qu’il a été. Donc pour Mill le bonheur ne recouvre pas tout les plaisirs d’une manière indistincte et le bonheur ne se mesure pas à la « quantité » de plaisir mais à sa « qualité » et si les plaisirs matériels et narcissiques sont souvent nécessaires, ils ne sont pas suffisants car ils ne valent au mieux que comme moyens  du bonheur spirituel; seuls les plaisirs qui portent une dimension éthique peuvent nous procurer le bonheur authentique, c’est à dire le sentiment positif de notre pleine humanité.  Mais cela veut-il dire que cette accession au bonheur éthique soit spontanée ou immédiate? 
Certes non, car l’expérience de ce bonheur est une conquête de l’histoire de l’humanité et de l’évolution des sociétés. Le sens du devoir en tant qu’il organise le bonheur altruiste de chacun, mais aussi  et surtout  en tant qu’il fait partie et devient intégrante du bonheur personnel doit être forgé au feu de l’habitude acquise par l’éducation cognitive et affective dans une société juste et libérale ; qui n’a pas reçu d’éducation libérale ( non religieuse et non-sacrificielle), altruiste et donc heureuse ne peut savoir clairement qu’il existe un bonheur qualitativement supérieur à la seule satisfaction matérielle ou égoïste . D’où la nécessité de penser sur fond de l’analyse des relations sociales  existantes et de leur contradictions, les conditions politiques et économiques d’une société à la fois juste et libérale ; libérale parce que juste et juste parce que libérale ; en tant que cette société serait la fin du progrès en vue du plus grand bonheur pour tous, sans distinction entre les sexes et les positions .
3-2 Libéralisme économique et justice sociale chez Stuart-Mill
La liberté économique individuelle comme liberté d’entreprendre dans le domaine de la satisfaction de désirs et des besoins est pour Mill le fondement de toute relation de réciprocité  positive entre les individus qui ne sont pas liés entre eux par des relations de dépendances particulières permanentes (type allégeances communautaires, amicales, amoureuses ou familiales). L’économie libérale est bien l’ensemble des échanges de biens et de services produits en vue de l’échange  marchand qui égalise dans un sens contractuel  universel, voire anonyme, c’est à dire volontaire et non contraint, les relations vitales entre les humains : chacun sait mieux que quiconque ce dont il a besoin ou ce qu’il désire et doit seul prendre la décision d’acheter ou non et s’il achète c’est à lui seul de décider qui lui offre les conditions les plus favorables. La liberté d’entreprendre au mieux de ce qui est utile à chacun exige donc bien un choix individuel et qui dit choix dans le domaine économique dit concurrence libre et non faussée; tout corporatisme, en effet, fausse la concurrence et provoque  toujours une réduction et/ou captation de l’initiative de chacun en vue de sa satisfaction, laquelle initiative  définit sa liberté individuelle, au profit exclusif et/ou dominant de celui qui cherche à vendre.  L’échange marchand libéral soumis à la concurrence est donc pour Mill comme pour A.Smith garant de la liberté individuelle universelle car avant que d’être des producteurs spécialisés nous sommes tous des consommateurs. De plus l’échange marchand obéit à la règle donnant /donnant et ce faisant égalise les conditions de l’échange selon un règle simple : À chacun selon ses revenus et, par delà ses revenus, son travail, si l’on admet que les revenus du travail, directs ou sous une forme différée ceux du capital, sont l’expression du travail en tant que seule source de création des richesses . Cette règle de justice distributive automatisée fait que chacun consomme selon son travail et donc que chacun reçoit selon son mérite dans le processus de production et d’échange.
Mais à la différence de Smith, Mill ne pense pas que le développement à l’infini des échanges marchands puissent se faire sans déséquilibre entre les ressources et les besoins ou désirs, dès lors que ceux-ci croissent plus que les premiers et cela pour deux motifs : l’excès illimité des désirs au delà des besoins chez les plus riches et l’accroissement de la population mondiale de plus en plus intégrée aux échanges marchands et à l’économie du désir sans limite. Le progrès ne peut que déplacer, en le masquant, le moment où les ressources seront épuisées. La rareté s’imposera alors comme un facteur croissant d’inégalité entre les riches et les pauvres, d’autant plus que ceux-là  bénéficieront d’un avantage décisif du fait de l’héritage et de la propriété du sol et cela dès la naissance. L’équilibre entre l’offre et la demande se fera au profit de la demande solvable et aux dépens des besoins des plus pauvres de plus en plus insolvables; les inégalités seront telles qu’aucun progrès économique envisageable ne pourra les réduire sauf à envisager l’arrêt autoritaire  de la croissance démographique et le réduction des inégalités dans l’accès aux ressources par la loi et la redistribution par l’impôt. Les riches sauront profiter de la pauvreté croissante des pauvres pour leur imposer une réduction des salaires en vue de continuer à satisfaire leurs désirs sans limite aux dépens de la satisfaction des besoins de ces derniers , c’est à dire de leur espérance de survie. Ainsi le progrès infini du capital et des richesses en terme de bénéfices pour ceux qui en disposent déjà n’est pas un critère de réussite pour les pays les plus avancés dès lors que s’aggravent les inégalités ; de plus selon Mill l’état stationnaire des richesses et de la population ne serait  pas une catastrophe pour un  pays très développé mais au contraire la condition d’un véritable progrès de civilisation dans le sens d’une spiritualisation de la vie sociale qui passerait par l’utilisation des techniques dans le but de réduire le temps de travail contraint au profit du temps de la relation libre et désintéressé aux autres et de la contemplation de la nature qui ne serait alors plus seulement considérée comme réservoir de matière première exploitables en vue de la production et du profit, mais comme une source illimitée d’émotions esthétiques, ce qui suppose que cette liberté passe aussi et peut-être surtout par la solitude, c’est à dire le retrait par rapport aux obligations sociales et économiques. Le bonheur, pour Mill, n ‘est pas, nous l’avons vu en effet, dans la quantité de biens matériels accumulés ou consommés ou des richesses acquises mais dans la qualité de la vie, des relations aux autres, à la nature et à soi.
Ainsi limiter les naissances en vue du seul renouvellement de la population, limiter l’héritage à ce qui peut rendre chacun indépendant, redistribuer les richesses, limiter le temps de travail et la production, développer les moyens de formation personnelle et l’éducation des citoyens, sont pour Mill les conditions d’un progrès de la société lequel implique à terme l’arrêt de la progression illimitée dans production des richesses matérielles en vue d’atteindre ce qu’il appelle l’état stationnaire et équilibré qu’il souhaite pour assurer les conditions de l’existence harmonieuse de l’espèce humaine. La justice sociale implique donc pour lui non pas moins de liberté personnelle mais plus, c’est à dire plus de temps libre pour soi, tant il est vrai que l’économie reste le domaine de la nécessité et  que le développement infini des richesses produit des inégalités que la croissance économique, loin de réduire, accroît; d’où la nécessité de mettre au service de la liberté de tous, par la loi, l’économie libérale et qui ne peut être telle que par cette subordination au but final de l’état stationnaire et de l’égalité sociale. Le justice n’est pas pour lui le résultat d’un processus mécanique mais l’expression d’un programme politique qui doit orienter la société et l’économie libérale vers cet état final. La justice présuppose le libéralisme économique mis au service d’une société régulée par le droit en vue du bonheur universel des individus. Le libéralisme économique doit être subordonné au libéralisme éthique, c’est à dire à la recherche du bonheur général, qui est un devoir politique dans le mesure où il est un droit universel. C’est dire que les droits individuels et les droits sociaux, pour Mill sont indissociables, dès lors qu’il s’agit de réduire, voire d’abolir,  les inégalités que génèrent en permanence le libéralisme économique lequel, s’il n’est pas politiquement régulé, se transforme nécessairement en dictature  anti-libérale du capital sur le travail et des entrepreneurs (ou mieux des investisseurs)  sur les consommateurs. Il est indispensable de limiter la liberté des riches et des puissants afin que tous aient non seulement en théorie mais en réalité les même droits.
« Ce qui vaut, écrit-il,  pour un pays arriéré ne vaut pas pour un pays avancé. Ce qui est économiquement nécessaire en ce cas est une meilleure distribution, dont le moyen nécessaire est une contrainte plus stricte sur la population. La mise à niveau plus ou moins juste des positions sociales, ne peut pas s’accomplir par les seuls moyens de l’accroissement de la production et de l’accumulation ; ils peuvent abaisser les hauteurs de la société, mais ils ne peuvent pas, d’eux-mêmes, de manière permanente faire progresser le sort du plus grand nombre qui se trouvent plus bas. D’autre part, nous pouvons supposer que cette meilleure distribution de propriété peut être atteinte par l’effet commun de la prudence, de la frugalité des individus et par un système de  législation favorisant l’égalité des fortunes, dans la mesure où est juste la revendication permanente de chaque individu de participer aux fruit,  grand ou petit, de sa propre industrie. Nous pouvons supposer, par exemple (selon la suggestion jetée dans un chapitre précédent) que les cadeaux transmis par héritage  aient  la quantité suffisante pour constituer une indépendance modérée. Sous cette influence double, la société exhiberait ces principaux dispositifs : un corps bien-payé et riche des travailleurs ; aucunes énormes fortunes, excepté ce qui ont été gagnés et accumulés pendant une vie simple ; mais un corps beaucoup plus grand des personnes qu’exemptent actuellement, non seulement des travaux durs et brutaux, mais avec des loisirs suffisants, physiques et mentaux, des moyens pour cultiver librement les grâces de la vie, et que les classes moins favorisées se permettent de suivre  l’exemple des plus favorisés pour leur croissance. Cet état de la société, tellement préférable au présent, est non seulement parfaitement compatible avec l’état stationnaire, mais, il semblerait, plus naturellement lui être  lié  que tout autre.
Il y aurait autant de place que jamais pour toutes sortes de culture de l’esprit, et de progrès moral et social et autant de moyens d’améliorer l’art de la vie, et beaucoup plus de probabilité d’y parvenir, quand des esprits aurons cessé d’être dirigés par l’art d’obtenir toujours plus. Même les arts industriels pourraient être sincèrement et avec succès cultivés, avec cette différence unique, qu’au lieu de n’atteindre aucun autre objectif que l’augmentation de la richesse, les améliorations industrielles produirait leur effet légitime qui est d’abréger le travail » (voir texte en annexe)
Ainsi, pour cet auteur, dans une société libérale, les droits individuels, sont indissociables des droits sociaux, et le fonctionnement de l’économie libérale, qui n’est pas automatiquement équilibré et juste doit être politiquement orienté dans le sens d’une plus raisonnable production des richesse et une meilleure d’utilisation des ressources afin que les richesses profitent à tous et que chacun puisse développer ses capacités spirituelles en autonomisant le plus possible sa vie par rapport aux contraintes du processus de production. Cette Autonomie, elle même,  est rendue possible par le développement des sciences et des techniques et rendu nécessaire par le risque de l’épuisement des ressources. Il ouvre en cela le grand débat entre ce que l’on appelle l’ultra-libéralisme et le social libéralisme écologique qui reste pour le moins d’actualité .
Réponse à une objection contre A. Smith
"La fameuse "main invisible du marché" d’Adam Smith est une escroquerie intellectuelle, qui servait à l’époque de Smith, non pas à l’avancée de la science économique et de la science, mais à la domination de l’empire britanique sur toutes les autres nations."
Cette affirmation est erronée: ceux qui préconisaient la domination des intérêts britaniques étaient les plus grands adversaires théoriques de Smith, à savoir les mercantilistes qui voulaient à la fois l’impérialisme à l’extérieur et le protectionisme à l’intérieur, dans un but d’enrichissement exclusif des commerçants impériaux et colonialistes britaniques. Smith pensait qu’un autre usage du colonialisme plus équitable, grace au libre échange, était théoriquement possible, dès lors que ce dernier permettrait le développement des pays les plus pauvres en prenant en compte leur avantages compétitifs (ex: coût de la force de travail, des matières premieres et des produits agricoles etc..). Ce qui en réalité est tout à fait problématique, voire utopique, car les rapports de forces étaient tels que cet équilibrage automatique était pratiquement impossible par le fait même de la domination coloniale. Il y a là une limite majeure de la position de Smith: il ne fait pas la théorie politique de sa théorie éthique et économique; il semble qu’il y ait renoncé face à la mise en cause (et à la contradiction entre) de l’idéal du marché auto-régulateur par la réalité politique. Il ne voit pas comment on peut réduire le poids de la politique impérialiste et mercantiliste (et du capitaliste sauvage soutenue par l’état dont il voit très bien les conséquences en terme d’exploitation, analyses avortées qui seront reprise par Marx dans le sens que l’on sait).
C’est là qu’il convient de mesurer l’écart entre un modèle théorique et la réalité économique  et introduire dans l’examen réel du fonctionnement de l’économie des considérations politiques et humaines non-économiques. Lire à ce sujet A. SEN (voir plus loin
Les médias, la politique et l'argent c'est depuis longtemps
Au détour d'une... Pensée par Xia AKA Hisaux, à 08:35 - Ajouter un commentaire
Il faut couper court à certaines idées. Je commence un peu à en avoir marre d'entendre dire dans les médias que les médias - eux-même donc - ont moins de liberté qu'avant à cause des rapprochements entre les actionnaires / milieu de la finance et des grands groupes et la politique. Comme quoi Sarkozy serait oligarque des médias (Source : Le monde diplomatique), qu'il ferait peur aux médias (Source : Le monde) et même à une partie de la France. Oui, c'est vrai, des articles ont été  mis à l'écart pour différentes raisons. Mais cela existe depuis très longtemps dans les médias, que ce soit en presse écrite qu'en télé ou en radio.

Sarkozy a certes des amitiés entretenues avec des hommes d'affaires présents dans les médias comme Arnaud Lagardère, dirigeant du groupe du même nom (
Elle, Paris Match, Journal du dimanche, Europe 1...), Serge Dassault, propriétaire du Figaro, Alain Minc, ex-président du conseil de surveillance du Monde, Martin Bouygues, propriétaire de TF1, Vincent Bolloré (Matin plus, Direct 8...), ou Bernard Arnault, propriétaire de La Tribune (bientôt les échos ?). Sarkozy a certes fait censuré un livre sur Cécilia ou des informations qui auraient dû paraître dans différents journaux. Mais cela existe depuis longtemps...

Pour exemple, il ne faut pas oublier qu’en 1946, de Gaulle, appuyé par les Communistes, fut l’homme des nationalisations, outils indispensables à sa volonté de puissance (censure de l’information, main mise sur tous les ressorts de l’État et de l’économie).
Et Coluche ?
·                                                                                                                                                                                                                                                     Novembre 1980. A quelques jours d'une intervention de Coluche sur Radio7, le directeur de Radio-France demande au directeur d'antenne de cette station d'annuler purement et simplement la diffusion de l'émission concernée. Scandalisé, le directeur de Radio7 démissionne.
·                                                                                                                                                                                                                                                     14 Décembre 1980. Le JDD publie le sondage où Coluche est crédité de 16 % d'intentions de votes. C'est l'événement du jour. Ce soir là, au journal de 20 heures, et sur les trois chaînes de télévision, c'est la visite du Premier Ministre québécois qui fait l'ouverture. Pas un mot sur Coluche.
·                                                                                                                                                                                                                                                     Décembre 1980. Le Collaro-Show est l'émission comique la plus populaire en France. Stéphane Collaro invite Coluche pour lui offrir "un espace de liberté". Celui-ci en profite pour concocter un sketch sur un conseil des Ministres (avec à sa tête un Président porté sur la bouteille) où il n'hésite pas à régler ses comptes avec Valéry Giscard D'Estaing. En haut lieu, on ne supporte pas. Quelques heures avant la diffusion de l'émission, la direction d'Antenne 2 appelle Stéphane Collaro pour lui dire que l'émission ne doit pas comporter le sketch de Coluche. Fou de rage, Collaro déclare à son supérieur : "Si vous ne passez pas le sketch de Coluche, il n'y a pas d'émission..." La réponse de la direction ne se fait pas attendre : "Mais Monsieur il n'y a pas de problème, il n'y a pas d'émission !"
Autre exemple sous Chirac : Face au "non" au traité constitutionnel européen, l'Elysée a diffusé cette information "Rien sur la Turquie avant le 29 mai." France 2 a dû renoncer à un magazine sur la Turquie programmé pour l'émission "un oeil sur la planète"...

Et ce n'est qu'un tout petit aperçu de ce monde des médias qui se dit prêt à tout dénoncer mais qui reste en quête d'audimat et de ventes !
Pour avancer un peu sur la question, j'ai lu durant mes 10 jours à Ramatuelle le livre Comprendre les médias de Mireille Thibault qui nous explique à qui appartiennent les médias, qui contrôle de manière officielle leur contenu et comment tout cela est financé. Un livre vraiment très intéressant qui permet de faire un tour d'horizon très rapide des médias. Peut-être à mettre à jour malgré tout ! Comprendre les médias date tout de même de 2005. 

Pour aller un peu plus loin dans la réflexion, je vous conseille aussi la lecture de l'ouvrage
 Les nouveaux chiens de garde de Serge Halimi - à ne pas confondre avec cette horde féministe qu'est les chiennes de garde. Vous apprendrez que déjà en 1997 Michel Field, Claire Chazal, Alain Duhamel, Jean-Marie Cavada ou PPDA avaient la même révérence devant leur patron, les grands groupes tels Bouygues, Havas ou Matra-Hachette, la même révérence devant l'argent et le pouvoir politico-industriel, les mêmes pratiques... 

Maintenir à distance certains sujets pour mieux en matraquer d'autres, désinformer, moins par volonté de manipuler que par paresse et par reddition devant l'idéologie néolibérale dominante. La collusion entre les intérêts des propriétaires de la presse française, d'info-marchandise, de renvois d'ascenseurs et flagorneries de courtisans. "
Des médias de plus en plus présents, des journalistes de plus en plus dociles, une information de plus en plus médiocre", belle sentence de Serge Halimi.

Il reste cependant vrai que la concentration de tous les médias dans quelques grands groupes et l'accumulation des censures doivent alerter les autorités de régulation afin que la parole médiatique ne soit pas une "mono-pensée"...
J’ignore à quels désastres alimentaires et élémentaires vont nous mener ceux qui nous dirigent. Je recommande à ce propos le livre de Daniel Nahon sur l’épuisement des sols, et qui annonce froidement de grandes famines pour le XXIe siècle, dans l’indifférence générale de la classe politique planétaire. Mais je voudrais au moins souligner les faits suivants.

On s’est étonné il y a un an du comportement de notre nouveau président : croisières et vacances de luxe, nouvelle femme héritière et top-model (mais le second mariage avait déjà eu pour témoins Martin Bouygues et Bernard Arnaud), en attendant un mariage à prix Darty de l’héritier, triplement du salaire présidentiel, décuplement du nombre de conseillers de l’Élysée.

Mais tout cela n’est rien à côté de nos voisins : l’ancien chancelier allemand Schroeder, social-démocrate qui plus est, est devenu du jour au lendemain conseiller de l’entreprise la plus florissante d’Eurasie, Gasprom ; et il est chargé, contre une rémunération de deux millions d’euros, de conseiller les travaux de construction de l’oléoduc baltique. Dans le même temps la fille de Vladimir Poutine vient d’acheter pour la modique somme de 18 millions d’euros l’appartement du plus célèbre oligarque de la télévision française. Pourquoi se gêner ? On m´a parlé dans le cas de Poutine d’un patrimoine de trente milliards d’euros. Poutine s’est assis de la table du KGB à celle des oligarques, et ceux-ci lui ont prudemment laissé de la place, alors que le peuple russe a connu un déficit démographique post-soviétique de 20 millions d’hommes, de femmes et d’enfants.

Traversons la Manche : les Blair viennent de s’acheter une sixième maison à six millions d’euros aux environs de Londres. On se souvient qu’ils s’étaient acheté un appartement de luxe dans Kensington, pour 4 millions de livres, il y a trois ans. Et qu’ils s’étaient fendus de
 500 000 livres pour acheter un pied-à-terre pour les études de leurs enfants. La presse anglaise toujours prompte à s’enflammer sur des sujets aussi importants que le sexe était restée bien discrète sur le sujet. Cherie Blair se fait payer 50 000 dollars la conférence, sans doute plus maintenant. Tony Blair a touché un million de dollars en Chine pour une conférence sur le management gouvernemental, alors qu’il a laissé son pays au bord de la faillite et Gordon Brown se confronter à l’impopularité de son gouvernement néo-travailliste (mais c’est à cela que servent les Écossais, non ?). Gageons qu’il touchera d’autres millions.

Traversons l’Atlantique : les chiffres sont encore plus sérieux, en dépit d’un dollar en baisse et d’un pays en grave crise. Rudy Giuliani, ancien maire de New York, ancien candidat républicain à la présidence, a gagné cent millions de dollars en exploitant son image de la ville martyre du 11 septembre. Et le New York Times nous a récemment appris que les Clinton ont gagné 107 millions de dollars (pas un de moins) au cours des années 2000, à coups de conférences et de prestigieux dîners. Ils sont en voie d’être rattrapés par un autre démocrate, Barack Obama, qui n’a plus même besoin du financement politique public pour financer sa campagne.

J’ai bien sûr oublié de citer Silvio Berlusconi, qui avait au moins le mérite d’être déjà l’homme le plus riche d’Italie avant d’arriver au pouvoir… pour la troisième fois.

On comprend en tout cas une chose : la fusion totale du politique et du people, du politique et de l’argent. On se doute que les choses ne doivent pas aussi traîner en Chine, où le Parti communiste encadre sagement la progression du pays. Et on rappellera l’expression du sociologue Zygmunt Bauman : cette société est liquide… Et la classe politique aime ça. Et ne s’en cache plus.
Bob Denard, né Robert Denard le 7 avril 1929 à Grayan-et-l'Hôpital et mort à Paris le 13 octobre 2007[1], était un mercenaire français.
Ce mercenaire est sûrement le plus influent et le plus connu de tous ceux ayant opéré en Afrique depuis les indépendances des pays de ce continent. Il a affirmé avoir effectué plusieurs de ses opérations avec l'aval de l'État français.
Biographie [modifier]
Un mercenaire anticommuniste [modifier]
Il est fils d'un militaire des troupes coloniales[2]. A 16 ans, en 1945, il s'engage dans la marine et rejoint l'école des apprentis mécaniciens de Saint-Mandrier[3]. Breveté matelot mécanicien, il part ensuite comme volontaire pour l'Indochine en tant que matelot seconde classe. Les modalités de son passage de la spécialité de mécanicien à celle de fusilier marin restent inconnues. Devenu quartier-maître dans les fusiliers marins en Indochine, il quitte l'armée en 1952 après une bagarre dans un bar[4] et accepte une place de conducteur d'engins et de mécanicien au Maroc. Il entre ensuite dans la police de ce pays toujours sous protectorat français. En 1954, il a été reconnu coupable de complot pour assassiner le premier ministre Pierre Mendès France et condamné à 14 mois de prison[5].
À partir des années 1960, anti-communiste convaincu, il œuvre dans les tumultueux conflits post-coloniaux. Il participe à des opérations militaires impliquant des mercenaires en Rhodésie (actuel Zimbabwe) en 1977, au Yémen, en Iran, au Nigeria, au Bénin, au Gabon (où il est instructeur de la garde présidentielle), en Angola en 1975, au Cabinda en 1976, au Zaïre et aux Comores, l'un des pays les plus instables de la planète.
De 1960 à 1963, il sera l'un des chefs des « affreux » du Katanga, une province du Congo belge, en soutenant Moïse Tshombé qui vient de déclarer l'indépendance du Katanga le 11 juillet 1960. Il s'est notamment distingué en faisant défiler tous ses officiers qu'ils soient noirs ou blancs dans une stricte égalité (jusque là, les blancs passaient en premier). Le 21 janvier 1963 c'est la chute de Kolwezi et la défaite des mercenaires, qui se réfugient en Angola avec l'accord du régime portugais. Ils seront rapatriés en France où ils seront accueillis par les gendarmes.
Puis, il part d’août 1963 à la fin 1964 pour le Yémen pour le compte du MI6[6] avec 17 mercenaires, dont le célèbre Roger Faulques, ancien officier parachutiste de la Légion étrangère, dans la 1re armée royaliste, financée par l'Arabie saoudite, contre les républicains soutenus par les Égyptiens de Nasser.
L'ensemble des mercenaires est placé sous le contrôle du colonel britannique David Smiley, ancien officier du Special Operations Executive pendant la Deuxième guerre mondiale. Dans son livre Arabian Assignment (page 156) il rapporte que les mercenaires français et belges alternent entre les théâtres yéménites et congolais car au Congo ils ont femmes et alcool à volonté mais sont rarement payés, tandis qu’au Yémen ils sont rémunérés mais privés de femme et d’alcool.
Il est chargé d'encadrer les Touaregs. La France donne son accord tacite[7].
Il revient fin 1964 en République démocratique du Congo, à la tête du 1er choc qu'il a créé, plus précisément le 22 février 1965[8]. En prenant des mercenaires issus des parachutistes et de la Légion étrangère, il forme ce petit bataillon avec l'aide d'une poignée de Katangais. Il contribue à la victoire sur les rebelles communiste de Gbenie, Soumialot et Mulele. En intervenant sur un territoire grand comme la moitié de la France, tout en ayant de nombreux morts et blessés, il permettra à la population de réintégrer leur villes et villages. En 1967, arriva la tragédie des mercenaires pris au piège de Mobutu.
Denard intervient de nouveau pour le MI6[6] en Angola en 1975 avec l'UNITA de Jonas Savimbi.
L'homme fort des Comores [modifier]
À la demande de la France, le lieutenant-colonel Denard intervient une première fois dans la République fédérale islamique des Comores qui venait, unilatéralement, de proclamer son indépendance depuis le 6 juillet 1975. Il intervient en septembre 1975 pour consolider le coup d'État d'Ali Soilih et arrête le président Ahmed Abdallah qui venait de proclamer l'indépendance, et le remplace par Ali Soilih.
Il rate un coup d'État au Bénin en 1977 et est pressenti[6] en 1977 pour déstabiliser le régime de James Mancham aux Seychelles. En 1978, il revient aux Comores avec 43 hommes pour renverser le régime révolutionnaire de Soilih, et replace Ahmed Abdallah au pouvoir. Ali Soilih meurt dans d'étranges circonstances le 29 mai 1978.
Bob Denard s'occupe dès lors d'organiser une garde présidentielle forte de 600 Comoriens[9] encadrés par une poignée d'officiers européens[10] qui entrent en concurrence avec les forces armées comoriennes. Il se marie sur place, se convertit à l'islam sous le nom de Saïd Mustapha Mahdjoub, s'occupe de développement (construction de routes, ferme de 600 ha à Sangali, etc). Son autorité est alors incontestée. La RFI des Comores devient le centre d'un trafic qui permet à l'Afrique du Sud, sous embargo international, de se fournir en armes. Elle sert également de base logistique pour ses opérations militaires contre les pays africains qui lui sont hostiles : le Mozambique et l'Angola.
En 1989, Ahmed Abdallah signe un décret donnant l'ordre à la Garde présidentielle, dirigée par Bob Denard, de désarmer les forces armées pour cause de coup d'État probable, toujours selon Denard. Quelques instants après la signature du décret un officier des forces armées serait entré dans le bureau du président Abdallah et l'aurait alors abattu blessant également Bob Denard lorsqu'arriva un officier « européen » de la garde présidentielle qui tua à son tour l'assassin du président. Mohamed Taki Abdulkarim, favorable à la France, devient président. Bob Denard est évacué quelques jours plus tard par les parachutistes français vers l'Afrique du Sud.
Dans la nuit du 27 au 28 septembre 1995, Denard renverse Said Mohamed Djohar avec une trentaine d'hommes débarqués de Zodiacs sur les côtes comoriennes. Une fois la mission terminée, Denard et son équipe sont rapatriés vers la métropole par les services secrets français. Soutenu par Paris, Mohamed Taki Abdulkarim succède à Said Mohamed Djohar à la présidence comorienne. Bob Denard vit alors dans le Médoc, où il rêve de construire, sur le terrain familial de la commune de Grayan-et-l'Hôpital, un musée de la Décolonisation. Il doit cependant faire face à de nombreuses procédures judiciaires ainsi qu'à des ennuis d'argent et de santé.
Il meurt le 13 octobre 2007, d'un arrêt cardiaque, il était atteint depuis plusieurs années de la maladie d'Alzheimer.
Ennuis judiciaire [modifier]
Inculpé pour assassinat à l'encontre de Ahmed Abdallah avec son lieutenant, Dominique Malacrino, Bob Denard est acquitté faute de preuve. Quelques jours avant le procès, la famille d'Abdallah s'était rétractée et avait fait savoir qu'elle ne désirait plus ce procès qui aboutit à un non-lieu. Mohamed Taki fit toutefois savoir qu'il refusait que Bob Denard rentre au pays. Le 6 novembre 1998, il mourut dans d'étranges circonstances. La famille cria à l'empoisonnement et demanda une autopsie. Rapidement, l'affaire fut étouffée et l'autopsie oubliée. Mohamed Taki est officiellement décédé de mort naturelle.
En 2001, Guido Papalia, procureur de la ville de Vérone, au Nord-Est de l'Italie, poursuivit Bob Denard pour avoir tenté de recruter des mercenaires dans les milieux de l'extrême droite italienne afin de renverser le colonel Azali Assoumani qui s'opposait aussi à son retour. Bob Denard a été jugé à partir du 21 février 2006. Un avocat, maître Elie Hatem, lui a été commis d'office. Cette instruction, dure dix ans. De mauvaises affaires, comme l'achat d'un garage Citroën à Lesparre dans les années 1980, et le coût des procédures, entraînent des difficultés. Son nouvel avocat affirma même que les problèmes d'argent du vieux « corsaire de la République », comme il s'était autoproclamé, pouvaient compromettre sa stratégie de défense : « J'ai été commis d'office dans ce dossier, et M. Denard bénéficie de l'aide juridictionnelle », confie Elie Hatem, qui ne cache pas une réelle proximité avec l'ancien mercenaire. « J'aurais voulu faire citer plus de témoins à la barre, comme par exemple Alain Juppé, qui était Premier ministre au moment du coup d'État de 1995. Mais l'autorisation que j'ai sollicitée pour couvrir des frais d'huissiers est intervenue trop tard »[11]. Bob Denard n'aurait vécu "que sur 250 euros par mois" : retraite due à ses états de service pendant la guerre d'Indochine. Il pouvait ne pas assister à son procès, souffrant de la maladie d'Alzheimer.
MULTINATIONALES DE MERCENAIRES 
 
 
" Il [le Roi d’Angleterre] a déplacé de vastes armées de mercenaires
 
pour finir son laborieux travail de mort, de désolation et de tyrannie,
 
déjà entamé dans des circonstances perfides et cruelles
 
qui n’ont rien à envier aux âges les plus barbares et
 
qui ne sont pas digne d’une haute civilisation. "
Déclaration d’Indépendance des Etats-Unis, 
adopté par le Congrès le 4 juillet 1776
 
 
 
 
 
 
 
 
" Pourquoi ne pas envisager de créer des forces de mercenaires volontaires 
organisées par des entreprises privées pour mener des guerres
 
sur une base contractuelle pour le compte des Nations unies ?
 
On pourrait envisager la création (…) de ‘sociétés de paix’ à charte internationale,
 
chacune étant assignée à quelque région du globe.
 
Au lieu d’être payée pour faire la guerre,
 
leur unique source de profit viendrait
 
de leur capacité de limiter la guerre dans leur région (…).
 
On pourrait même trouver des investisseurs privés
 
pour capitaliser ce genre d’entreprises si,
 
mettons la Communauté internationale ou des groupes régionaux
 
consentaient à les dédommager de leurs services ou
 
à leur verser des primes exceptionnelles les années où le nombre de leurs victimes décline. "
Alvin et Heidi Toffler, 
Guerre et contre-guerre, survivre à l’aube du XXIème
 siècle. 
 
Guardian@isuisse.com

 INTRODUCTION
Le Péruvien Enrique Bernales Ballesteros, rapporteur spécial des Nations Unies sur la question des mercenaires, ainsi que plusieurs Organisations Non Gouvernementales (Human Rights Watch, Amnesty International et de nombreuses organisations de soutien médical et humanitaire notamment) dénoncent unanimement la recrudescence et la prolifération du mercenariat partout dans le monde. S’il est clair que la présence de mercenaires dans les conflits armés ne date pas de la fin de la guerre froide et que ce phénomène remonte à l’Antiquité, il n’en reste pas moins que «  l’autre plus vieux métier du monde «  connaît en effet actuellement une prospérité nouvelle sans précédent à l’époque moderne.
L’histoire des mercenaires se confond avec celle des guerres. Une analyse du mercenariat «  moderne « , que l’on peut faire débuter à partir de l’apparition des armées nationales (XVIIIème et XIXème siècles), permet de définir trois grandes familles de mercenaires, regroupés en idéaux-types
Les mercenaires traditionnels, dont les motivations principales sont le profit ou l’aventure. Ils sont la forme historique du mercenariat et peuvent intervenir pour un gouvernement, un homme, une faction ou des groupes illégaux (trafiquants, terroristes, etc.) sous la forme d’individualités ou de petits groupes de soldats.
2. Le second type peut être identifié comme celui qui regroupe des militaires travaillant pour des gouvernements hôtes et qui permettent la défense d’une région spécifique et circonscrite. Ils sont attachés à une autorité précise dans un contexte particulier relevant d’accords juridiques spéciaux. C’est le cas des légionnaires français, du Tercio espagnol et du 32ème bataillon sud-africain.
3.Enfin, les mercenaires peuvent aussi être motivés par des raisons transnationales idéologiques, politiques ou religieuses. Les combattants des brigades internationales en Espagne ou les combattants islamiques d’Afghanistan sont révélateurs de cet esprit de croisé qui ne connaît pas les frontières administratives.
Ces trois types de mercenariat possèdent certaines caractéristiques communes. En premier lieu, ils louent leur savoir-faire moyennant finance d’où le nom «  mercenaire « , qui provient du latin mercis : la marchandise. Ensuite, ces hommes ne peuvent avoir qu’un rôle d’appoint et une efficacité réduite, dès lors que nous parlons de l’époque contemporaine. Les conflits modernes font que l’utilisation de soldats de fortune ne peut suffire à entraîner un renversement de situation durable. Même si certains coups de force restent dans les annales, l’histoire du mercenariat est surtout faite d’échecs cuisants et de déroutes. Qu’ils soient autonomes, manipulés ou soutenus par leur patrie d’origine, les mercenaires sont des marginaux dont les moyens d’action (en personnel et en matériel) sont relativement limités. Le fiasco de la dernière intervention de Bob Denard aux Comores en 1995 faisait écho à celui du Biafra et du Bénin qui ont amené la Communauté Internationale à couvrir de honte, durant les années 1960 et 1970, les activités de ces «  chiens de guerre « . Enfin, la dernière caractéristique commune est que ces hommes tombent sous le coup de la loi, dans l’ordre interne du pays dans lequel ils opèrent ou bien au regard du droit international, et peuvent ainsi être condamnés pour leurs activités.
Bien entendu, les mercenaires appartenant aux types traditionnels restent actifs dans la plupart des conflits contemporains. Enrique Bernales Ballesteros alarme à cet égard la Communauté Internationale sur leur présence au Zaïre rebaptisé République Démocratique du Congo, en Angola, au Rwanda, au Tadjikistan, en Arménie, en Azerbaïdjan, en Afghanistan, en ex-Yougoslavie et à la frontière entre l’Inde et le Pakistan. Cependant, le rapporteur spécial de l’ONU sur la question des mercenaires s’inquiète surtout de la «  mutation stratégique «  inédite que connaissent actuellement les «  chiens de guerre « . En effet, «  c’est bien moins le mercenariat comme tel qui fut mis en échec qu’une certaine manière de l’exercer «  qui s’est considérablement marginalisée. La fin de la guerre froide voit se développer à nouveau le mercenariat mais sous une forme qui n’a connu son équivalent qu’aux temps des condottiere italiens qui n’en représentaient à l’époque qu’une manifestation encore très embryonnaire.
Tentative de définition des caractères communs du nouveau mercenariat
Ces «  chiens de guerre «  du quatrième type sont diamétralement opposés aux trois premières versions historiques qui continuent leurs activités encore aujourd’hui. Ce nouveau modèle est défini par le rapporteur spécial des Nations unies dans un rapport de février 1997 :
«  Les activités des mercenaires ne font pas seulement que continuer à exister, elles changent de nature. L’établissement de compagnies qui vendent du conseil militaire, de l’entraînement et des services de sécurité à des pays clients en échange d’argent ou de concessions minières et énergétiques (…) devient très répandu. (…) Selon ce nouveau concept, il apparaît que tout Etat possède la liberté d’acheter des services de sécurité sur le marché international auprès   d’organisations composées de personnes de nationalités différentes, unies par leurs fonctions et leurs capacités à contrôler, punir et imposer un ordre voulu par le gouvernement qui les loue, sans considérer les coûts en vies humaines, en échange d’argent et d’une portion de ses ressources naturelles. « 
Le mot mercenaire ne définit pas de façon suffisamment exhaustive et précise ce nouveau phénomène. La Defense Intelligence Agency et certains analystes américains parlent de transnational security corporations, mais le concept de sécurité, nous le verrons, ne permet pas d’appréhender toute l’étendue des activités couvertes : assistance militaire, formation, etc. Le plus souvent, les commentaires sur le sujet traitent des mercenaires avec le vocabulaire mythologique traditionnel : Dogs of WarSoldiers of Fortune, etc.
Le peu de littérature qui existe en langue française est aussi pauvre en définitions conceptuelles. Les journalistes Misser et Chapleau ont choisi dans l’index de leur ouvrage la périphrase suivante pour désigner les mercenaires du quatrième type : «  Les sociétés privées exportatrices de services sécuritaires et/ou d’expertise militaire. « 
Les firmes privées d’assistance militaire et de sécurité sont composées d’anciens militaires et d’hommes de renseignement regroupés au sein de firmes dotées de structures similaires à celles des sociétés commerciales de droit privé. Opérant à partir d’une nation hôte compréhensive, ou d’un paradis fiscal, elles peuvent comporter des filiales disséminées sur l’ensemble du globe, comme n’importe quelle multinationale de type capitaliste. 
Elles sont engagées par des gouvernements, des organisations non gouvernementales, des organisations internationales ou des compagnies privées par le biais de contrats en bonne et due forme de manière parfaitement légale. Ces compagnies affirment généralement travailler uniquement au profit de gouvernements légaux mais certaines consultations ayant échoué, du fait des firmes, à cause de la trop grande instabilité de certains régimes montrent que ce n’est pas un principe intangible. Le montant des honoraires est souvent très élevé mais il s’agit d’Etats souverains ou d’organisations légales dépensant leurs propres deniers, ce qui interdit toute critique de fond.
Comme toute autre entreprise, ces firmes disposent de sites Internet, de services de communication et de documentations à destination de la presse et des clients potentiels. Ce la constitue une rupture en comparaison de la confidentialité et de la discrétion qui prévalait par le passé chez les mercenaires traditionnels.
Leurs domaines d’activités et des services contractuels sont très diversifiés : soutien logistique, maintien de l’ordre, expertise et conseil militaire, formation militaire des personnels (Terre, Air, Mer quel que soit l’arme et la spécialité), renseignement, opérations spéciales et sécurité des personnes et des biens.
Pour se faire, elles disposent de réserves d’hommes plus ou moins importantes (jusqu’à 5000 hommes), de matériels performants et de cadres expérimentés provenant des unités d’élite et des institutions militaires les plus prestigieuses au monde.
Les dirigeants de ces firmes se targuent de pouvoir effectuer des opérations de maintien ou de rétablissement de la paix plus efficaces et moins coûteuses que celles des Nations unies. Ils refusent d’être comparés à des mercenaires et préfèrent le qualificatif de «  conseillers militaires «  en arguant du fait qu’ils ne participent pas directement aux combats et qu’ils n’agissent que dans un cadre légal au profit de gouvernements, d’organisations publiques ou privées parfaitement honnêtes.
On dénombre plus de 300 000 entreprises de sécurité et d’assistance militaire dans le monde, mais seules quelques-unes possèdent un niveau d’activité d’envergure mondiale. En France, le marché de la sécurité était récemment estimé par Paul Barril à «  10 milliards de francs de chiffre d’affaires et 90 000 emplois : autant que la Gendarmerie ! « . Le syndicat national des entreprises de sécurité dénombrait quand à lui 500 sociétés en 1984 et 1100 en 1994 ce qui représentait alors 66 200 personnes. Les chiffres d’affaires, s’ils représentent le poids financier total des firmes et non pas la part des activités «  mercenaires « , sont pourtant de bons indicateurs de la santé du secteur.
En majorité d’origine sud-africaine, américaine ou anglaise mais aussi françaises, israéliennes, ces firmes agissent sur l’ensemble de la planète au gré des conflits et des besoins, pour leur propre profit ou pour celui d’un pays. Le plus souvent dans des pays en développement à instabilité chronique, elles travaillent aussi pour les pays développés où elles y sont utilisées comme des sous-traitants.
La plupart des contrats remplis par ces firmes ont donné lieu à des réactions contradictoires de la part des contractants comme des observateurs. Des interrogations sur la légitimité, l’impartialité et l’action proprement dite de ces acteurs sur le terrain se sont faites jour. Accusées d’être la forme la plus achevée et la plus perverse du mercenariat version «  profitkillers « , de se payer sur la dette ou sur les ressources naturelles de pays déjà en grande détresse financière, de violer les droits humains ou bien encore de servir les intérêts de compagnies ou de gouvernements sans scrupules au détriment du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, elles ont fait l’objet de critiques et de scandales peu relayés par les médias. Parallèlement, et souvent pour un même contrat, ces sociétés transnationales de sécurité ont été félicitées publiquement pour avoir mis fin à des guerres civiles qui duraient depuis des décennies, pour avoir sauvé des enfants, des observateurs internationaux ou des responsables d’ONG d’une mort certaine. De même, leur action a été reconnue en faveur des réfugiés, du déminage et de l’assistance civile aux populations.
Une large réflexion sur la généralisation de leur emploi en Afrique a été entamée par le Pentagone relayant en cela les hésitations des Nations unies et des ONG.
Le principe de non-ingérence dans les affaires intérieures des Etats interdit de juger du bien fondé des moyens employés par les gouvernements pour régler leurs problèmes intérieurs d’où une question cruciale face au développement du mercenariat moderne : ces acteurs d’un genre nouveau sont-ils le spectre du retour à un «  néocolonialisme «  capitaliste ou une solution d’avenir pour le maintien de la paix ? La réponse n’est pas évidente pour plusieurs raisons.
La première tient à la Communauté Internationale et aux Etats. Les critiques de certains détracteurs occultent la responsabilité des Etats dans le développement de ce mercenariat «  nouvelle génération. «  Les conséquences militaires de la fin de la guerre froide – baisse des budgets de défense, démobilisation des effectifs, désengagement des principales puissances des opérations de maintien ou de rétablissement de la paix, privatisation de fait des politiques étrangères et de sécurité – ont crée un environnement favorable pour ce nouveau type de mercenariat. Une même hypocrisie existe chez les Nations unies et les ONG qui s’érigent en défenseurs du droit international mais dont certaines ont parfois recours aux services de ces sociétés pour soutenir leurs actions sur le terrain.
La résurgence du mercenariat est en fait bel et bien le résultat de l’apparition d’un nouveau marché, issu de conditions générales d’émergence complexes et multiples, et de la rencontre d’une demande avec une offre : ce schéma suit en cela les phénomènes mondiaux de libéralisation et d’internationalisation croissantes.
De plus, le «  pilotage «  de ces firmes pour des objectifs nationaux de politique étrangère et l’hypocrisie consistant à dénoncer les activités des compagnies de sécurité et à faire appel à elles ou à laisser des entreprises nationales à l’étranger recourir à leurs services doivent être levés. L’absence d’unité dans les activités et le manque de transparence de ces firmes du point de vue financier est un obstacle à toute légitimation ou condamnation globale d’emblée. Chaque firme est différente et seule une étude détaillée de son origine, de ses salariés (dirigeants et personnels «  d’active « ), de ses réseaux de soutien et d’action et enfin des contrats qu’elle a pu mener permet d’apprécier des profils particuliers et les comportements qui lui sont afférents. Une typologie précise de ces firmes fera l’objet de la deuxième partie.
Enfin face aux poids des firmes dans les pays contractants et aux suspicions qui planent sur leurs activités, il faut s’interroger sur les limites politiques et économiques de l’action des firmes multinationales de sécurité et d’assistance militaire ainsi que sur les possibilités et la volonté des Etats de légiférer à leur propos.






LES RELATIONS ENTRE LES ETATS ET LES FIRMES
Les observateurs de l’action des firmes transnationales de sécurité, qu’ils soient des contempteurs ou des partisans, limitent souvent leur jugement à des exemples précis de dérapages ou de réussites des différentes firmes. En fait, le monde de la sécurité privée est très hétérogène. Il l’est de part les conditions particulières qui ont présidé à la naissance ou au développement de chacune des firmes (en plus des causes générales que nous avons étudiées dans la première partie), de part leur structure et leurs hommes, leurs moyens et leur degré d’indépendance politique dans la réalisation de leurs contrats.
En fonction de tous ces paramètres, on peut établir une typologie des firmes transnationales de sécurité et distinguer 3 catégories :
                                1.          La firme multinationale autonome, dotée d’un réseau puissant de sociétés dont les activités vont de l’exploitation minière à la formation militaire en passant par le transport, la logistique et au déminage. Il s’agit de la forme la plus achevée du mercenariat moderne mondialisé, seule Executive Outcomes peut prétendre appartenir à cette classe.
                                2.          Les entreprises de mercenaires sous influence d’un pays qui pilote plus ou moins ses opérations. Celles-ci n’agissent que dans le cadre des intérêts de la dite nation. En contrepartie, le gouvernement consent à ignorer et à couvrir les activités " autonomes " de la firme. Elles sont en majorité anglaises mais ce comportement se retrouve aussi en chez d’autres pays.
                                3.          Enfin, les compagnies américaines sous licence dont la dépendance vis-à-vis du gouvernement hôte est totale. Elles agissent sur autorisation de l’administration fédérale et selon des préoccupations de politique extérieure (étrangère ou commerciale).
Ces trois types sont issus de traditions et de contextes spécifiques qu’il faut étudier séparément.
  A. Les firmes de mercenaires : outils de politique extérieure pour les Etats hôtes.
  En plus de satisfaire des préoccupations budgétaires internes en organisant la sous-traitance de certaines opérations relatives à la défense ou à la sécurité, l’exportation des services des sociétés de mercenaires permet aux gouvernements hôtes d’exercer une influence plus discrète sur les pays contractants.
L’action des firmes de sécurité et d’assistance militaire est en effet trop sensible pour échapper au contrôle des Etats qui les accueillent, et ce n’est en fait que rarement le cas. Les Etats possèdent ainsi une tutelle plus ou moins forte sur leurs activités et les pratiques oscillent entre l’acceptation tacite des contrats, le feu vert explicite et même des licences publiques d’autorisations.
Les compagnies agissent ainsi sous le couvert de leurs Etats hôtes avec plus ou moins de latitude et de marge de manœuvre. En contrepartie, les gouvernements profitent de ce formidable levier pour réaliser certains objectifs de politique étrangère ou pour appuyer leurs entreprises à l’exportation.
  1. Deux exemples de cas limites : la France et Israël
 a) La France et le groupe Défense Conseil International
  Un rapport de la Commission des Droits de l’Homme des Nations unies daté du 20 février 1997 opère certains rapprochements troublants : " Les Etats-Unis ont leur Military Professional Resources Incorporated , la Grande Bretagne Defense Systems Limited, l’Afrique du Sud Executive Outcomes, la France sa COFRAS (…). " Bernales Ballesteros décrit donc la COFRAS (filiale du groupe Défense Conseil International) comme entrant dans la catégorie des compagnies privées de mercenaires au même titre qu’Executive Outcomes ou DSL.
La COFRAS appartient au groupe Défense Conseil International. Les filiales de DCI sont chacune spécialisée dans un domaine précis : COFRAS (Terre), NAVCO (Marine), AIRCO (Aéronautique), DESCO (Armement), STRATCO (Conseil, audit et études de défense) et enfin Financière de Brienne (Aide aux PME à l’exportation). Le groupe DCI est une société anonyme de droit privé au capital de 140 millions de francs, son actionnaire principal est l’Etat français (50%, les autres participations étant partagées entre les offices de ventes et les sociétés de commercialisation des armements français).
Le groupe comprend 1 200 employés et a dégagé un   chiffre d’affaires de 900 millions de francs en 1997. La mission principale de DCI est d’agir, sous la double tutelle du ministère de la Défense et du ministère de l’Economie et des Finances, en faveur du " transfert et de la mise en valeur du savoir-faire technique et opérationnel de la Défense française au profit d’Etats étrangers amis. "
La COFRAS (Compagnie Française d’Assistance Spécialisée) a été créée en 1972 pour répondre aux besoins de formation et d’assistance technique de l’Arabie Saoudite, dans le prolongement du contrat   AMX-30 de GIAT. Plus ancienne filiale du groupe, la compagnie a diversifié ses activités, elle emploie plus de 500 personnes et réalise un chiffre d’affaires de 250 millions de francs. Son action se situe à trois niveaux : formation opérationnelle et technique des spécialistes (tous domaines terrestres et aéroterrestres et service de santé) ; assistance technique à l’emploi des forces (entraînement et conseil) et soutien technique des matériels terrestres. Sa zone de prédilection est le Moyen-Orient (Arabie Saoudite, Qatar, Emirats Arabes Unis, Koweït) mais elle " a entrepris de développer ses activités sur de nouveaux marchés, notamment en Amérique du Sud et en Asie du Sud-Est. " La tutelle de la COFRAS est renforcée : ministère de la Défense, Etat-Major de l’Armée de Terre et Délégation Générale pour l’Armement. Ses personnels sont des militaires en service détaché volontaire ou des civils sous contrat et ils agissent sur " lettre de mission " du ministère de la Défense dans le cadre d’un contrat d’armement ou d’une action définie au préalable. En 1995, Conseil International et Développement (CIDEV) est créee pour les " activités de réhabilitation économique et sociale de pays amis " ; le 1er novembre 1997, elle devient un département de la COFRAS et mène des études et des actions s’intégrant à des programmes de retour à la paix (reconversion et formation de personnels militaires, déminage, dépollution de zones, contrôle qualité, démobilisation et réinsertion, etc.)
Mais peut-on dire de DCI ou de COFRAS qu’elles sont des organisations de mercenaires comparables à Executive Outcomes ? Un responsable commercial de la COFRAS, interrogé à ce propos, répond catégoriquement non, pour plusieurs raisons.
                                4.          Le caractère public des tutelles et de l’actionnariat du groupe et de ses filiales interdit de qualifier les personnels DCI de mercenaires.
                                5.          De plus, les soldes COFRAS sont   inférieures aux soldes outre-mer versées à n’importe quel militaire agissant à l’étranger.
                                6.          Le statut des personnels militaires d’active ne permet pas non plus de faire la confusion : les militaires servant au titre de la COFRAS sont des personnels d’active détachés temporairement, ils ne peuvent en aucun cas être mêlés à des combats.
En définitive, les compagnies françaises du groupe DCI sont des auxiliaires du ministère de la Défense qui lui fournissent un soutien efficace et peu onéreux du point de vue technique. Il est clair que cela a aussi un avantage concernant la politique étrangère française et le soutien des exportations.
  b) Israël
  Le cas israélien est plus complexe. Il s’agit d’une firme privée sous-tendant de véritables activités mercenaires mais elle est encore très limitée dans ses activités comme dans ses capacités d’action. La tradition du Mossad et de la politique étrangère hébreu faisant que le contrôle effectif de la compagnie interdit sa transformation en structure autonome. Les contrats de Lev’Dan sont assez discrets mais ils sont très représentatifs du dilemme des compagnies de mercenaires, prises entre les intérêts de politique étrangère de leur pays et leur volonté d’agir pour leur propre compte.
On a trouvé des traces de l’action des soldats de fortune de Lev’Dan au Congo Brazzaville, au cœur de la guerre civile qui opposa, à partir de 1994, les " Zoulous " de Pascal Lissouba et les " Cobras " de Sassou N’Guesso. Afin de renforcer ses moyens militaires, Lissouba fait appel à la firme israélienne   dirigée par le général Ze’ev Zakrin, fondateur de la célèbre milice de Haddad au Sud Liban qui fut responsable des massacres de Sabra et Chatila. Une   trentaine de mercenaires sont engagés pour former les Zoulous moyennant 2 500 dollars par mois ; le montant total du contrat étant évalué à 50 millions de dollars. L’exemplaire du Time daté du 26 mai 1994 annonce que Lev’Dan assurait aussi la propre sécurité de Pascal Lissouba moyennant un achat d’armement israélien pour un montant total de 20 millions de dollars.
Malgré des renforts sud-africains, croates, ukrainiens et russes ainsi que l’apport d’hélicoptères Mi-8 et Mi-24, l’échec de l’opération est total. Pourtant, Lev’Dan, filiale de la compagnie   israélienne Kardan Investment, spécialisée dans le commerce du diamant (Pointe-Noire et Brazzaville sont des plaques tournantes de la contrebande de diamants angolais et zaïrois) obtient la moitié du permis pétrolier d’exploration Marine III dans un joint-venture avec les compagnies Isramco et Israël Petroleum Corporation. Après un versement de 10 millions de dollars et des " compensations agricoles ", les difficultés de trésorerie de Lissouba l’obligent à régler le reste de la somme du contrat de 50 millions de dollars en hydrocarbures…
De la même façon, il semblerait que Laurent-Désiré   Kabila ait tenté de conclure un contrat avec la compagnie de sécurité israélienne Silver Shadow, dirigée par un ancien lieutenant colonel de Tsahal, Amos Golan. L’objectif était de mettre sur pied une unité de protection du président avec blindés, mitrailleuses Neguev et fusils Galil et Uzi. Selon les quotidiens Ha’aretzet La Libre Belgique, le contrat aurait été refusé par le gouvernement israélien du fait de " l’instabilité du régime en proie à des conflits intérieurs. "
  2. La Grande-Bretagne
  a) La tradition anglaise du mercenariat
  La Grande Bretagne est une vieille nation qui a une longue expérience du mercenariat. Elle est le berceau historique de la forme moderne du mercenariat dont elle a toujours su tirer des bénéfices pour ses propres objectifs de politique étrangère. Le Royaume-Uni est l’objet de sarcasmes continus de la part des spécialistes : un site Internet américain entièrement consacré aux mercenaires définit même le mercenariat comme : " Ce qui implique un gouvernement étranger dans la location de services de citoyens (anglais), au travers d’une compagnie légale approuvée par leur gouvernement (anglais). Ces compagnies de sécurité ou d’évaluation des risques sont souvent dirigées par un amiral ou un général retraité qui a pris ses contacts avec les gouvernements étrangers quand " il travaillait pour la Reine ". Pour le gouvernement (anglais), ces activités ont l’avantage de pouvoir être niées en cas de problème. "
L’immense empire colonial anglais doit en effet beaucoup à l’action des mercenaires. La Compagnie des Indes à elle seule entretenait à son apogée plus de 190 000 hommes. Ces derniers furent très utiles au moment de la révolte des cipayes en 1857. Pour venir à bout des mutins, les troupes anglaises font appel à des contingents de Sikhs et de Gurkhas, mis à disposition de la Couronne par le maharadjah du Népal. Plus tard, en 1948 avec l’indépendance de l’Inde, un accord entre les gouvernements britanniques, indiens et népalais revient sur cette pratique en stipulant que 12 des 20 régiments Gurkhas resteraient aux Indes tandis que 8 seraient maintenus au service du Royaume-Uni, en Malaisie et à Hongkong notamment. Désormais incorporés dans l’armée de terre au même titre que les SAS, les Gurkhas sont au nombre de 3000.
La Grande Bretagne continuera pourtant de favoriser le développement du mercenariat anglais dont le fonds de commerce est la gloire des SAS. En 1967, le gouvernement britannique autorise la création par David Stirling, le fondateur historique des SAS, de la Watchguard Organization dont le siège social se trouvait à Guernesey. Officiellement, l’entreprise propose des services de protection aux personnalités politiques. En réalité, la Watchguard entraîne des mercenaires et les déploie au gré des intérêts du Foreign Office. En Zambie, au Sierra Leone, à Abu Dhabi où ils protègent le cheik Zayid et conseillent ses services spéciaux en 1968, ou à Mascate pour établir un plan de lutte contre la guérilla marxiste du Dhofar. Ces liens quasi organiques entre les intérêts britanniques et les hommes de la Watchguard constituent le secret de la longévité de l’entreprise et la postérité de cette forme très anglaise de " pilotage " des firmes de   sécurité et d’assistance militaire.
 
b) Des compagnies anglaises sous influence
 
La Couronne a depuis perdu son empire mais ces pratiques restent ancrées dans la politique du Foreign Office. Le peu de motivation du gouvernement anglais à légiférer sur la question des mercenaires et la prolifération des firmes de sécurité sur son sol sont révélateurs de la permanence d’un état d’esprit pragmatique en la matière.
 
(1) Les Gurkhas Security Guards Limited (GSG)
 
En février 1995, le Colonel Robert Mackenzie, ancien des forces spéciales américaines au Vietnam et mercenaire bien connu, et Nick Bell, un des directeurs de Gurkha Security Guards (GSG) composé d’ancien Gurkhas de l’armée anglaise, sont envoyés en Sierra Leone pour améliorer l’entraînement des forces gouvernementales : Mackenzie meurt sous les balles des rebelles cannibales qui le dévorent en 1995. Le Foreign Office britannique met un terme à l’opération de peur d’être accusé de soutenir l’opération et d’avoir, le cas échéant, à évacuer les mercenaires anglais. Il préfère laisser toute latitude à Executive Outcomes qui est au même moment en tractations avec le gouvernement de Strasser
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(2) Defense Systems Limited (DSL)
 
En 1981, Alastair Morisson, qui fut commandant en   second du 22ème régiment SAS et président directeur général de l’entreprise allemande d’armement Heckler & Koch, fonde Defense Systems Limited. La compagnie emploie plus de 5 000 personnes dans une trentaine de pays pour des missions de sécurité à usage de firmes privées et de différentes ambassades occidentales, pour des opérations de soutien et de déminage au profit de l’ONU ainsi que pour la formation de forces militaires et policières dans quelques anciennes colonies de la Couronne : le Mozambique, le Sri Lanka, le Botswana, Singapour, le Sultanat de Brunei et la Papouasie Nouvelle Guinée.
DSL est contrôlée par la Hambros Bank et son siège social se trouve à quelques mètres de Buckingham Palace. Ses relations avec le Foreign Office et les autorités anglaises sont aussi excellentes que celles qui unissent la firme aux fonds de pension phares de la City (NatWest Ventures et Phonex Funds Managers Limited). Le premier président de son conseil d’administration fut le Vicomte Gilbert Monckton de Brenchley, titulaire éminent de l’ordre de l’Empire britannique. Les activités de DSL sont d’autant plus légitimes pour Londres que ses clients privés privilégiés sont de grandes entreprises anglaises telles que British Petroleum, Shell, British Gas of the United Kingdom et bien d’autres.
Pourtant, certains scandales autour de la firme mettent mal à l’aise le Foreign Office. L’affaire colombienne (cf. première partie) a montré les limites du soutien officiel aux opérations des mercenaires anglais. De la même façon, quand 103 soldats de fortune, dont 45 Gurkhas de DSL, sont expulsés d’Angola le 16 janvier 1998 suite à la dissolution de la filiale de DSL en Angola par décret du gouvernement de Luanda, la réaction du Foreign Office est assez discrète et laconique. Le rachat de DSL en avril 1997 par le groupe américain Armor Holdings dont le directeur est Richard Bartlett, membre éminent du Forum Economique Mondial de Davos, lui fournit un alibi imparable.
 
(3) Sandline International
 
Précédemment appelée Plaza 107, Sandline International a été enregistrée sous ce nom en 1996 en Grande Bretagne et aux Bahamas par Timothy Spicer, un ancien lieutenant-colonel des Scots Guards, héros de la guerre des Malouines et ancien porte-parole des forces des Nations unies en Bosnie. Sandline est ensuite notée comme une compagnie cliente du holding Plaza 107, établit en 1994 pour fournir des services de représentation aux multinationales et appartenant à Michael Grunberg, au même titre que Heritage Oil & Gas la compagnie de Anthony Buckingham.
La position britannique est plus difficile en ce qui concerne Sandline International. En effet, la compagnie est enregistrée au Royaume-Uni mais elle est apparentée à Executive Outcomes, ce qui lui confère une notoriété et une indépendance relative très embarrassantes. Cela n’empêche aucunement le Foreign Office de soutenir certaines de ses actions, ou tout du moins de les couvrir, quand il ne s’agit pas d’opérations directement pilotées pour le compte des intérêts anglais. La récente mise en cause de Londres dans les activités de Sandline en Sierra Leone est un exemple flagrant.
Suite à des révélations des quotidiens canadiens Toronto Globe (1er août 1997) et Vancouver Sun (2 août 1997), Sandline est accusée de fomenter un coup d’Etat dans le but de réinstaller Ahmad Tejan Kabbah, chassé du pouvoir en mai 1997 par le lieutenant-colonel Johnny Paul Koroma et sa junte. Le gouvernement en exil du président élu démocratiquement aurait demandé le 8 juillet 1997 à un homme d’affaire indien résidant au Canada, Rakesh Saxena, de recruter des mercenaires pour former les milices Kamajors fidèles à Kabbah dans la perspective d’un contre-putsch. Saxena, propriétaire d’une mine de bauxite en Sierra Leone par le biais de sa compagnie Jupiter Mining Corp., fait alors appel à Spicer pour l’opération. Des discussions et des préparatifs se seraient tenus en Guinée voisine mais ce scoop canadien aurait fait échouer la tentative en alertant les sbires de Koroma. Mais à la fin de l’année 1997, Baffour Ankomah, envoyé spécial du magazine New African, certifie avoir vu des mercenaires blancs (des pilotes) aider les militaires nigérians de l’ECOMOG dans leur guerre contre la junte de Freetown qui aboutira au retour de Kabbah le 10 mars 1998…
Enfin Reuters, dans une dépêche datée du 2 mai 1998, annonce que Sandline International a livré des armes et des munitions et a formé 40 000 soldats au profit de Kabbah. L’affaire fait grand bruit dans les couloirs du Foreign Office car Sandline, accusée d’avoir violé l’embargo sur les armes au terme de la résolution 1132 du conseil de sécurité des Nations unies d’octobre 1997, déclare avoir eu l’assentiment des autorités anglaises pour son opération. Le Sunday Times reprend les informations de Reuters et ajoute que le retour de Kabbah favorise par la même occasion la reprise des contrats miniers entre Londres et son ancienne colonie. Il met de plus en cause le Haut Commissaire anglais en Sierra Leone, Peter Penfold, pour avoir directement traité avec Timothy Spicer et Sandline.
Bien entendu, le Foreign Office nie catégoriquement un quelconque " feu vert ". Sandline précise alors qu’effectivement elle n’a pas eu d’autorisation " ministérielle " mais que les responsables du Foreign Commonwealth Office (FCO) étaient au courant et avaient donné leur aval alors que plusieurs discussions au Foreign Office et au ministère de la défense britannique avaient eu lieu au sujet de l’opération militaire. Robin Cook promet qu’une enquête publique indépendante sur les livraisons d’armes sera menée par le British Customs and Exercise Department et demande à tous ceux qui étaient informé de l’affaire de démissionner sur-le-champ. Une perquisition au siège de Sandline à Londres permet de retrouver des traces du contrat entre la firme et le président Kabbah qui prévoyait un paiement de 10 millions de dollars et quelques concessions de diamants.
Tony Blair, dans une déclaration du 11 mai 1998, insiste sur le fait que quoi qu’il se soit passé, cela a contribué à restaurer un président élu démocratiquement. Il tente de replacer les événements dans leur contexte politique en arguant d’un travail commun entre le Royaume-Uni et l’ONU pour voir le retour de Kabbah au pouvoir. Il   réaffirme sa pleine confiance en la personne de Penfold qui " a fait un superbe travail dans la gestion des conséquences du coup d’Etat militaire. " L’opposition crie au scandale et au viol de l’embargo des Nations unies. Menzies Campbell, porte-parole des libéraux démocrates chargé des affaires étrangères, dénonce l’attitude du premier ministre qui tend à " dire que la fin justifie les moyens, et ce principe est très dangereux, spécialement en matière de politique étrangère. "
Le Sunday Times publie alors des photos d’un hélicoptère de Sandline International appontant sur le Her Majesty Ship Cornwall comme une preuve incontestable du soutien des forces britanniques. Cook répond que le bâtiment anglais avait une mission uniquement humanitaire qui consistait à envoyer des médicaments dans des zones lointaines du pays.
Côté sierra-léonais, pas de démentis mais des justifications et des remerciements. Le ministre de l’information de Sierra Leone, Julius Spencer, déclarera ainsi quelques jours plus tard : " Je dois malgré tout dire que si le gouvernement britannique et les représentants anglais officiels en Sierra Leone ont été impliqués dans les livraisons d’armes, alors le peuple anglais doit être fier de ses dirigeants. " Septimus Kaïkaï, porte-parole de la présidence, renchérit par la suite : " Après tout, tous les efforts appelaient au départ de la junte et la force était en fait la dernière option suggérée par la communauté internationale. Alors pourquoi tant de bruit au sujet de ces mercenaires et de ces armes. " La presse de Freetown soutient aussi la même idée, la une du journal The Democrat titre " Bravo Penfold, bravo la Grande Bretagne,   Penfold est un véritable ami de la Sierra Leone. "
Après avoir tenté de minimiser le rôle de Sandline et grâce à de nouvelles sources proches du Foreign Office, la presse anglaise change de perspective en accusant les autorités américaines d’avoir été informées en temps réel des opérations de la firme sur le terrain. James Rubin, porte-parole du Département d’Etat, confirme ces allégations en avouant que l’ambassadeur américain en Sierra Leone, John Hirsh, rendait périodiquement compte au Département de la Défense des activités de Sandline ; mais il nie avoir eu connaissance des livraisons d’armes. Un officier américain du Pentagone déclarera même sous le sceau de l’anonymat que suite au coup d’Etat et aux exactions de la junte, " les seules personnes qui voulaient faire quelque chose, c’était Sandline. " 
Cette connexion américaine dans l’affaire de Sandline en Sierra Leone n’est pas du tout fortuite. Les relations du gouvernement des Etats-Unis avec les entreprises de mercenaires sont parmi les plus développées au monde. Elles sont officielles et officialisées par le biais de licences d’exportation de main d’œuvre sécuritaire délivrées par le Département d’Etat.
 
3. Les Etats-Unis
 
Les Etats-Unis ont dès leurs origines été très réticents à s’impliquer dans la gestion des affaires internationales. Repliés sur leur modèle de société, les Américains ont souvent prôné la retenue et l’isolationnisme face à leurs dirigeants, trop enclins à exporter l’american way of life. La doctrine Monroe, charnière entre la fin du XIXème siècle et le XXème siècle, en est le parfait exemple, la formule " l’Amérique aux Américains " résume cet état d’esprit. Intervenant uniquement quand leurs intérêts sont menacés, notamment en Europe pendant les deux guerres mondiales, Washington craint depuis toujours les " foreign entanglements " qui entraveraient sa liberté d’action.
Après la période exceptionnelle de guerre froide qui voit une présidentialisation inédite du régime politique américain, l’Oncle Sam tend à revenir à des préoccupations de " domestic policy " et à un système plus équilibré dans lequel le Congrès retrouve ses pouvoirs constitutionnels et l’opinion publique américaine fait pression pour recentrer les objectifs politiques du pays. Dans cette nouvelle configuration des forces internes, les Etats-Unis se montrent d’autant plus réticents à intervenir militairement que les sondages et le Congrès s’y opposent fortement.
Le recours à des compagnies privées est alors un moyen commode de contourner les autorisations budgétaires du Congrès et d’éviter les réactions défavorables de l’opinion face aux pertes américaines. De plus, les activités de firmes américaines d’assistance militaire permettent des activités moins officielles dans la plus pure tradition des " black operations " du temps de la guerre froide.
 
a)  Les contractuels américains
 
(1) Les principales firmes américaines de sécurité et d’assistance militaire sous licence
 
Les entreprises exportatrices basées sur le territoire des Etats-Unis peuvent être regroupées en deux catégories. La première permet d’étudier des sociétés privées du monde de la défense qui peuvent, le cas échéant et de façon plus ou moins officielle, fournir des services militaires de type " mercenaire ". Il s’agit ici de firmes telles que Ronco, Booz Allen & Hamilton, O’Gara Protective Services, SAIC, Dyncorp, Betac, etc. La seconde comprend les firmes qui sont exclusivement ou très largement dominées par les activités qui nous intéressent : MPRI et Vinnel Corporation.
Dans tous les cas de figure, l’aval du Département d’Etat américain se matérialise par le biais d’une licence du State Department Office of Defense Trade Controls qui autorise ou pas, l’exportation de main d’œuvre sécuritaire ou l’octroi d’une assistance militaire par un opérateur privé, pour le compte des Etats-Unis. Cette procédure s’apparente à celle utilisée pour les ventes de matériels de guerre (Foreign Military Sales) suivant en cela l’opinion générale des responsables du Pentagone qui insiste sur la légitimité de cette comparaison et donc sur la nécessité de l’identité formelle entre les dispositions de contrôle : négociations d’accords d’Etat à Etat, autorisations progressives à la conclusion du contrat et durant son déroulement, etc.
 
(2) " La continuation de la politique par d’autres moyens… "
 
L’existence de ses sous-traitants corvéables permet de contourner les autorisations, notamment financières, du Congrès qui n’a aucune autorité sur des compagnies privées d’anciens militaires toujours en liens avec le Pentagone. Cela dispense de plus de consulter l’opinion américaine et donc de prendre un quelconque risque politique face à des pertes , à un fiasco ou à des activités peu scrupuleuses.
Des soupçons ont même pesé sur une ONG américaine comptant pourtant dans son conseil d’administration Henry Kissinger : l’International Rescue Committee. Des journalistes belges ont mis en cause son rôle dans le soutien logistique accordé à Laurent-Désiré Kabila et notamment dans l’installation de batteries antiaériennes autour de la ville de Bukavu après le bombardement de la ville. Cesallégations ont été démenties par la directrice de l’IRC, Donna Thomson.
La tendance commence néanmoins à s’affirmer de plus en plus aux Etats-Unis.
  (a) MPRI
  Plus de 90% des clients de MPRI sont basés aux Etats-Unis. Dans le domaine public cela signifie :

Military Professional Resources Incorporated est aussi devenu un instrument privilégié de la politique étrangère américaine. Les nombreux débats sur la possibilité de l’utilisation des firmes privées d’assistance militaire dans des opérations internationales proviennent pour la plupart de commentateurs américains en référence à l’action de MPRI montrée comme le parfait contre-exemple
   d’Executive Outcomes. Les deux contrats de MPRI en Bosnie et en Croatie et celui signé récemment en Angola sont ainsi constamment évoqués comme des modèles de comportement et d’éthique à cet égard.
Dès leur arrivée en ex-Yougoslavie, les salariés de MPRI ont insisté sur le fait que leur action et leur expertise se substituaient à celles des troupes américaines sous commandement ONU. Le général Vuono, responsable des opérations internationales, déclarera ainsi : " MPRI. C’est le billet retour des GI pour la maison. " Le Congrès à majorité républicaine n’aurait de toute façon jamais voté un programme de formation militaire américain en Bosnie. Mais le conseil militaire à une armée que l’on est chargé de former – d’éduquer – peut connaître certains dérapages : l’opération Lightning Storm en Krajina a montré que la frontière entre l’expertise militaire et le soutien à un belligérant était vite franchie.
En plus de la formation des cadres militaires et des troupes au combat " à l’occidentale ", il semble que les responsables de MPRI en Bosnie aient pris une part active dans l’opération dirigée contre les Serbes en Krajina. Mate Granic, le ministre des affaires étrangères de la Fédération, confirmera plus tard : " Les Américains ont compris notre opération (…) Ils nous ont fait plusieurs propositions concernant le   déroulement de l’opération. " En effet, le 22 juillet 1995, l’ambassadeur américain Pet Gallbright a assisté à une réunion de coordination des opérations militaires autour de l’enclave de Bihac (de l’autre côté de la frontière de la Krajina). Le Général Vuono, expert en artillerie pour MPRI, rencontre le général Cervenko à plusieurs reprises quelques semaines avant le déclenchement des hostlités. Enfin, le secrétaire à la défense William Perry " espère que l’opération sera couronnée de succès ". Le colonel canadien Moris Peti, responsable des troupes des Nations unies dans la région, déclarera alors : " cela signifie un feu vert des Etats-Unis pour cette attaque ".
L’opération Lightning Storm a bien eu lieu et elle s’est soldée par des dizaines de villages serbes pillés et brûlés, des centaines de morts et plus de 170 000 réfugiés.
Le scandale est indescriptible à l’OTAN mais le silence est de rigueur pour les médias. MPRI réagit par l’entremise du Général Soyster : " Nous ne sommes là que pour réorienter les officiers vers des principes démocratiques. Notre seule arme c’est le tableau noir. " L’opération a pourtant été orchestrée de main de maître avec des manœuvres complexes et interarmes (infanterie, blindés et soutien de l’artillerie) et à partir de renseignements militaires très précis : les Croates disposaient de photographies aériennes de la zone, prises par des avions espions de la DIA stationnés sur l’île de Brac, le long des côtes dalmates.
Jimmy Carter déclare alors : " c’est terrible, les Etats-Unis se sont alignés unilatéralement avec la Croatie (…) les Croates qui ont délogé les Serbes de Krajina sont aussi coupables de purification ethnique que les Serbes de Bosnie. "
En dehors des exactions commises par les Croates sous l’impulsion américaine, il s’agit de considérer l’intérêt des Etats-Unis à exercer une telle influence militaire. Les activités de MPRI permettent une forme de " covert foreign policy " qui est analysée ainsi par Dan Nelson (professeur à l’Université de Old Dominion et ancien conseiller du Département d’Etat) : " Les entités commerciales sont utilisées pour remplir des tâches que le gouvernement, pour des raisons budgétaires ou pour des motifs tenant à la sensibilité politique, ne peut pas mener lui-même. "
Mais MPRI peut tout aussi bien, parallèlement à une influence politique non-négligeable, servir les intérêts économiques et commerciaux américains comme elle le fait en Angola. Les compagnies pétrolières de l’Oncle Sam ont considérablement insisté pour qu’Executive Outcomes quitte le pays et soit remplacée par MPRI, jugée plus " sûre ". C’est Herman Cohen de Cohen & Woods qui est à l’origine du lobbying pour que l’Angola choisisse MPRI après EO. Sous couvert de former deux " Forcas Armadas Angolanas airborne brigades ", la firme de Virginie a été surtout accusée de protéger les intérêts pétroliers américains dans l’enclave de Cabinda.
  (b) BDM-Vinnel Corporation en Arabie Saoudite
 
Les deux composantes " militaires " du géant financier Carlyle, BDM International et Vinnel Corporation, sont aussi des bras armés privilégiés des Etats-Unis en Arabie Saoudite et par extension dans l’ensemble du Moyen-Orient.
Plus de 750 employés de Vinnel Corporation, Fairfax, Virginie, assurent en Arabie Saoudite la formation de la Garde Nationale que Jane’s Defense Weekly décrivait en janvier 1996 comme " une sorte de garde prétorienne pour la Maison des Séoud, dernier rempart de la famille royale contre toute forme d’opposition interne. " Les accusations de soutien à un régime corrompu et autocratique ont souvent compliqué les explications officielles de l’action de Vinnel en Arabie Saoudite.
Vinnel a été fondée en 1931 pour permettre la construction des infrastructures civile de Los Angeles (autoroute, stades, etc.). Mais dès la fin de la deuxième guerre mondiale, la compagnie a évolué vers des activités plus militaires : soutien maritime aux nationalistes de Tchang Kaï Tchek contre les forces communistes de Mao, construction de bases militaires à Okinawa, Taiwan, en Thaïlande et au sud Vietnam où l’on comptait plus de 5000 salariés de Vinnel dans le pays au plus fort de la guerre. En mars 1975, un officiel du Pentagone interviewé par The Village Voice décrira Vinnel comme une " petite armée de mercenaires au Vietnam. "
La même année, la firme décroche un contrat de 77   millions de dollars pour entraîner la Garde Nationale saoudienne. Immédiatement, la presse américaine fustige le soutien d’une entreprise de mercenaires à un régime antidémocratique mais un responsable répondra : " Nous ne sommes pas des mercenaires parce que nous n’appuyons pas sur les gâchettes. Nous formons des hommes qui appuient sur les gâchettes. Peut-être que cela fait de nous des cadres mercenaires. " Pourtant, pendant l’occupation de la Grande Mosquée de La Mecque en 1979 par des " rebelles ", les personnels de Vinnel furent appelés en renfort pour leurs précieux conseils. Cette présence américaine au cœur du dispositif militaire saoudien est peu populaire chez les Saoudiens. L’attentat " islamiste " du 13 novembre 1995, contre le quartier général de la Garde Nationale, fit 5 morts et une trentaine de blessés de nationalité américaine car l’explosion toucha en priorité le bâtiment de la " mission formation " de Vinnel. Cela n’empêcha nullement le renouvellement du contrat de la firme en 1998 et la perspective d’une montée en puissance du prince héritier Abdullah ibn Abdullahziz, commandant en chef de la Garde Nationale, comme successeur du Roi Fahd ne peut que conforter les intérêts américains dans le pays, et donc ceux de Vinnel Corporation…
 
B. La multinationale de mercenaires affranchie et autonome : Executive Outcomes
  " Le problème des mercenaires n’est plus confiné à une région particulière, il a acquis une dimension globale ". Cette déclaration reflète bien l’état d’esprit des commentateurs face à la prolifération des contrats des firmes privées de sécurité et d’assistance militaire. Si leurs activités sont souvent relativement limitées géographiquement, elles peuvent aussi prendre la forme achevée d’une multinationale mondialisée capable d’agir sur l’ensemble du globe, pour des services extrêmement diversifiés 
  mais précisément adaptés au type de clientèle (Etat, compagnie, ONG) tout en disposant d’une marge de manœuvre considérable. Khareen Pech et David Beresford, deux journalistes du Weekly Mail & Guardian, ont analysé la structure de la firme sud-africaine et ses activités au cours de ses différents contrats. Ils définissent Executive Outcomes comme " … la première armée privée du monde et, pour certains, une force effective de maintien de la paix… "
La structure financière et opérationnelle d’Executive Outcomes est surprenante et extraordinairement complexe. Son analyse demande des recherches poussées et des recoupements systématiques tant le nombre et la fréquence des changements au sein des filiales sont considérables.
Dans son rapport du 20 février 1997 pour la 23ème session du Conseil Economique et Social, Enrique Ballesteros rappelle qu’il a souvent " fait référence à des activités mercenaires originaires d’Afrique du Sud et qui tentaient de perpétuer et de renforcer le régime de l’apartheid. (…) une compagnie privée de sécurité enregistrée à Pretoria, Executive Outcomes, et ses filiales ont dépêché des mercenaires en Angola et en Sierra Leone par le biais de contrats conclus avec les gouvernements de ces pays en échange de paiements substantiels en argent et en concessions minières. Les dirigeants du conglomérat sont d’anciens du 32ème Bataillon qui a combattu en Angola sous le nom de Buffalo Battalion et qui jadis était composé de membres d’organisations paramilitaires sud-africaines racistes et d’extrême droite. "
La visite de Bernales Ballesteros en Afrique du Sud   du 20 au 30 octobre 1996 lui a permis de mesurer toute l’ampleur qu’ont prises les sociétés privées de sécurité en République Sud Africaine. Son rapport traite bien entendu d’Executive Outcomes mais il fait aussi référence à des firmes telles que Combat Force, Investments Surveys, Honey Badger Arms and Ammunition, Shield Security, Kas Enterprises et Longreach Security.
  1. Les origines de la firme
  L’émergence d’une firme comme EO en République Sud Africaine n’est pas due au hasard : elle est l’aboutissement d’un long processus entamé durant la période de l’apartheid.
  (1) Le contexte de la République Sud-Africaine après l’apartheid
  Le nouveau gouvernement d’unité nationale d’Afrique du Sud, élu en avril 1994, a du s’attaquer au démantèlement du système sécuritaire de l’ère de l’apartheid.
  (a) La démobilisation de l’appareil sécuritaire après la fin de la " stratégie totale "
  L’origine politique coloniale du pays et les nombreux conflits internes ou frontaliers que l’Afrique du Sud a connu jusqu’à présent ont laissé des " habitudes de vie violentes et une tradition guerrière que des facteurs polémogènes (stratégiques, économiques et humains) ont exacerbées. " Mais c’est le système de l’apartheid qui a codifié et institutionnalisé la violence dans la culture politique des sud-africains. La tentative continue et déterminée du pouvoir blanc de se maintenir au pouvoir a eu pour principale conséquence de transformer l’Afrique du Sud en une " nation de garnison ", un Etat en armes dirigé de 1960 à 1990 par une caste de militaires soucieuse de préserver les privilèges de la communauté blanche.
Le soutien du régime résidait au départ dans l’élite coloniale tenant les rênes économiques et les considérables richesses naturelles du pays. Quand cela ne suffisait pas, l’appel à l’aide militaire étrangère était de rigueur : contre les troupes britanniques au début du siècle, des mercenaires français et allemands avaient été dépêchés sur place   mais ils n’avaient pas pu éviter la défaite des Boers. Ces derniers possédaient déjà une expérience éprouvée du combat et de l’art de la guérilla, ils la mettront en pratique durant les deux guerres mondiales aux côtés des Alliés. Mais dès 1948, l’Afrique du Sud s’émancipe et les élections poussent au pouvoir les théoriciens nationalistes qui mettent en pratique leurs idées ségrégationnistes et une répression sanglante contre l’opposition noire, indienne et métis.
Il ne restait plus aux mouvements contestataires que la guerre de libération nationale pour combattre l’apartheid. Le soutien des pays occupés comme la Namibie ou déstabilisés par Pretoria comme l’Angola, le Mozambique, le Zimbabwe et la Zambie aux ailes combattantes de l’African National Congress (ANC) et du Pan-Africanist Congress (PAC) s’organise en même temps que s’y développent des mouvements de rébellion contre l’occupant sud-africain.
Un Etat policier se met donc en place en Afrique du   Sud pour contrer le siège des " communistes " et des opposants au pouvoir blanc. La militarisation de la société se concrétise légalement en 1977 où le service militaire obligatoire est porté de un à deux ans et au moment où le Civil Defence Act encourage les collectivités locales et les lycées à créer des unités de défense civile : le Defence White Paper (livre blanc sur la défense) fixe un objectif de 200 000 hommes rien que pour les cadets. Des emprunts publics sont lancés pour financier l’effort de guerre et une " stratégie totale " guide la préparation politique et psychologique de l’opinion bien avant le début des hostilités. La prolongation du service militaire apporte de jeunes combattants blancs qui augmentent les forces sud-africaines (SADF) et ensuite les corps de réserve de la Citizen Force (dont les effectifs passent de 2 000 en 1960 à 30 000 en 1967 et à 180 000 en 1977) ou des Kommandos (environ 150 000 hommes chargés de la défense opérationnelle du territoire). L’esprit de ces " Kommandos " reste très enraciné dans la culture afrikaner comme représentatif de la nation en armes. Leurs zones d’actions (frontières du Botswana, du Mozambique et du Zimbabwe) et leurs activités de contre-guérilla en faisaient des militaires craints et respectés : " Le Kommando, c’est l’unité de citoyens-soldats engagés dans une guerre populaire à l’afrikaner pour défendre la communauté et la patrie. "
  (i) Le 32ème bataillon sud-africain et le CCB
  En plus de ces forces spécifiquement sud-africaines, les SADF comptaient aussi des mercenaires français, israéliens, portugais et des angolais et autres rhodésiens (après la chute du régime blanc en 1980). En 1975 est crée le 32ème bataillon, une unité d’infanterie exclusivement formée de transfuges angolais à l’origine, qui deviendra un creuset d’élite sur le modèle de la Légion étrangère. Fondé en Angola par le colonel Jan Breytenbach, frère du poète et militant anti-apartheid Breyten Breytenbach, le " bataillon Buffalo " est directement issu de la guerre civile angolaise. La lutte entre la rébellion de l’UNITA (Union pour l’Indépendance Totale de l’Angola) et le MPLA (Mouvement pour la Libération du peuple angolais) marxiste pro-gouvernemental fait rage et laisse sans base populaire et géographique le troisième mouvement : le Front 
  National pour la Libération de l’Angola (FNLA) de Holden Roberto.
Les hommes du FNLA sont repris en main par les Sud-Africains et Breytenbach, qui écrira plus tard dans son histoire du 32ème Bataillon : " C’était la troupe la plus misérable et la plus démoralisée que j’ai jamais vu. " Les " orphelins de guerre " sont encadrés par une douzaine de soldats des forces spéciales des SADF et prennent le nom de " Bravo Group " puis de 32ème Bataillon. En quelques mois, la troupe est transformée en véritable machine de guerre spécialisée dans le combat de brousse et la contre-guérilla. Les combattants se battront en Angola et en Namibie au sein des forces sud-africaines. Le patron du 32ème, le colonel Mucho Delport assurait en août 1991 : " Nous ne sommes pas des mercenaires. Nous sommes l’équivalent de la Légion étrangère. " Mais le bataillon se constitue vite en une caste, sous l’impulsion de Breytenbach, opérant seul au combat en complète autonomie. Plus tard, le 32ème et ses 1500 hommes quitteront la   Namibie et seront affectés au maintien de l’ordre dans les ghettos noirs après la libération de Nelson Mandela en 1990. Le bataillon sera dissout en 1992 avec l’arrivée au pouvoir de l’ANC et les révélations sur son passé encombrant : " Cette unité-là a torturé. Ces mercenaires ont commis les pires atrocités. " Les membres du " Buffalo battalion " fourniront les meilleurs cadres des firmes de sécurité privées sud-africaine, dont Eeben Barlow le fondateur historique d’Executive Outcomes.
  (ii) La constitution d’un Etat garnison et le boom des sociétés de sécurité
  Au cours des années 1980, l’intensification de la guerre de libération et l’ouverture de nouveaux fronts urbains (zones blanches à protéger et ghettos noirs à contenir) conduit les militaires sud-africains à développer le maintien de l’ordre interne comme une priorité nationale. La protection des édifices publics et des centres industriels devient une nécessité mais l’Etat a déjà fort à faire aux frontières et manque de moyens. Le gouvernement impose donc aux collectivités et aux entreprises de se protéger elles-mêmes. Le National Key Point Act de 1980 permet au ministère de la défense de déclarer tout site civil " point-clé national " et d’enjoindre par la même occasion à son propriétaire d’assurer sa sécurité. La première liste identifie 633 sites : raffineries, centrales électriques, ports, aciéries, etc. Les 657 collectivités locales font l’objet d’un ultimatum identique. Des milliers d’hommes sont alors recrutés, encadrés et équipés par l’Etat, les entreprises et les administrations déconcentrées 
  pour protéger leurs équipements. Mais la plupart des collectivités et des chefs d’entreprises choisissent de sous-traiter ces activités à des sociétés privées dont le nombre se multiplie exponentiellement. Actuellement, le Security Officers Board, qui régule l’industrie de la sécurité en Afrique du Sud, dénombre 180 000 officiers de sécurité privés, 120 000 salariés à plein temps dans plus de 4 000 firmes et entre 50 et 100 000 gardes privés employés directement par le secteur privé.
Le détonateur intervient en 1985 quand les restrictions de circulation des Noirs dans les zones blanches sont levées : la paranoïa se développe parallèlement à la criminalité et la protection devient une obsession pour les particuliers comme pour les organisations publiques et privées dominées par les blancs. Le nombre de vigiles et des   agents de sécurité dépasse 100 000 et le chiffre d’affaires de l’industrie de la sécurité croît de 30% par an. Actuellement, il est estimé à 4,2 milliards de francs et le nombre d’employés du secteur à 300 000 hommes. De véritables géants apparaissent dont Coin Security qui possède des équipements militaires lourds (blindés légers, hélicoptères, forces d’intervention rapide, centre de formation de ses agents) et qui s’adapte progressivement de la lutte anti-terroriste à celle contre la criminalité. Ces firmes disposent d’un soutien total de la part du gouvernement de l’apartheid et de ses services spéciaux dépendants à la fois de la police et de l’armée. La complicité et l’assistance logistique sont en effet réciproques entre les deux composantes sécuritaires (privée et publique) du fait de la convergence de leurs objectifs et de leurs intérêts. Les domaines de compétences s’interpénètrent finalement pour une meilleure efficacité de telle sorte que les rôles respectifs sont parfois inversés : les privés se livrent à des assassinats politiques pour le compte du gouvernement et en liaison étroite avec les services publics concernés, alors que la police et l’armée sont souvent utilisées par les entreprises commerciales pour maintenir l’ordre et la sécurité.
L’autre matrice originelle d’Executive Outcomes réside ainsi dans le Bureau de Coopération Civile (CCB) des services de renseignement sud-africains qui fut l’interface entre la sécurité privée et la défense d’Etat. Le Civil Cooperation Bureau fut rapidement mis en place au sein du commandement militaire sud-africain en liaison avec sa cellule de renseignement, le Military Intelligence (MI), afin de constituer un " escadron de la mort " au service de l’apartheid. Les meurtres d’activistes de l’ANC et du PAC sont une spécialité du CCB qui reçoit dans ses missions " contras " le soutien des polices municipales et des firmes privées de sécurité sud-africaines. Divisé en zones d’action, le CCB mène des opérations en Afrique du Sud (région n°5), dans les pays frontaliers ainsi qu’en Europe de l’Ouest (région n°6). La " pretoriaiska " entamée par Frederik W. De Klerk en 1990 et 1991 aboutit à la formation d’une commission d’enquête sur les activités du CCB, dirigée par les juges Louis Harms et Victor Hiemstra.
  b) Les dirigeants et la naissance d’Executive Outcomes
  Le professeur Reno, spécialiste des problèmes de défense et de l’Afrique du Sud, explique la situation opérationnelle d’Executive Outcomes à sa naissance : " L’apartheid et les sanctions internationales ont créé des réseaux clandestins. Ils existent toujours mais ont été privatisés. Coupés des intérêts du gouvernement, ils sont utilisés à des fins commerciales. " Un autre analyste, Ivor Powell, décrit plus précisément le phénomène : " En 1978, la SADF a mis en route tout un engrenage… Il s’agissait de privatiser des branches secrètes des forces de sécurité… Fondée sur les théories de la CIA sur les conflits de basse intensité, la privatisation des services de renseignement et des opérations de terrorisme d’Etat permet de maintenir à distance les personnes responsables d’actes de déstabilisation et leur commanditaire. " Le retournement de situation du début des années 1990 en Afrique du Sud ne fait qu’accélérer le processus. Executive Outcomes intègre les membres des unités militaires spéciales sud-africaines : Selous Scouts rhodésiens, membres des forces spéciales des SADF et de la SAP. C’est à ce moment précis que certaines personnalités fondamentales se retrouvent ensemble et développent une structure privée d’assistance militaire inédite : Executive Outcomes.
Eeben Barlow est le fondateur historique d’Executive Outcomes. Angella Johnson, dans une interview exclusive, le présente comme : " L’homme qui a remplacé R. Reagan et Leonid Brejnev pour devenir un assureur de pouvoir majeur en Afrique. "
Fils d’un chef de gare Boers qui abandonne le domicile conjugal quand il a 6 ans, Luther Eeben Barlow est élevé dans la Rhodésie du Nord d’avant la décolonisation. Il vit avec ses trois frères, sa sœur et sa mère, d’origine française. Il travaille très tôt, la semaine dans une compagnie minière et, le week-end, il se rend utile dans une ferme pour le maïs et le bétail aux côtés des Noirs dont on lui apprend qu’il faut les respecter malgré le gouvernement d’apartheid en Afrique du Sud. Dès 18 ans, la conscription le porte en Angola où la guerre fait rage. Il se déclarera choqué par le racisme dont font preuve les militaires sud-africains. Il s’engage pourtant au service des forces armées sud-africaines où il passe 17 ans dans les forces spéciales et le 32ème bataillon.
On le retrouve plus tard, divorcé avec un enfant, étudiant la politique africaine et les affaires internationales à l’Université d’Afrique   du Sud. A Angella Johnson, il confiera sa vision de la géopolitique en Afrique : l’imposition de la démocratie au mépris des frontières tribales alors que " ce n’y a jamais été un système naturel (…) ni culturel. (…) " a fait que " la guerre et l’anarchie régneront en Afrique parce qu’elle a été exploitée par des personnes qui lui ont fait beaucoup de promesses. "
Sa " scolarité " est entrecoupée de missions qu’il effectue à partir de 1983 pour le Directorate of Covert Collection (DCC) et à partir de 1989 pour le compte du CCB où il est chargé des opérations dans la région 5 puis 6. La même année, il fonde, avec le minimum légal de fonds, Executive Outcomes.
Immédiatement, Executive Outcomes est engagée par le gouvernement sud-africain pour former les cadres des forces spéciales aux opérations de collecte de renseignement, de contre-espionnage et aux " covert operations. "
Deuxième homme clé, Lafras Luitingh est le fidèle compagnon de Barlow. Ils se sont connus au 5ème régiment de reconnaissance du CCB. Luitingh était affecté à la région 5 – couvrant le territoire de la RSA – où il a été mêlé avec Ferdi Barnard (ancien policier du Brixton Murder and Robbery Squad) au double meurtre des activistes David Webster (ANC) et Anton Lubowski (SWAPO) en 1989. On a aussi cité son nom dans l’affaire du meurtre par lettre-bombe de Dulcie September, le leader de l’ANC à Paris, le 24 mars 1988. Lafras Luitingh attaquera plus tard le ministère de la défense sud-africain pour l’avoir forcé à émigrer en   Angleterre en 1990 après sa mise en cause par la Commission Harms pour ses activités au sein du CCB sous le régime de l’apartheid : il a demandé 1 million de Rands de dommages et intérêts. La liaison avec Eeben Barlow se serait ainsi produite en janvier 1993 dans le contexte angolais au moment où Buckingham et Mann auraient demandé à Barlow de lever une troupe de mercenaires afin de reprendre les champs pétrolifères de Soyo des mains de l’UNITA. L’attaque de Soyo fut un franc succès. Elle sera menée personnellement par Lafras Luitingh pour un montant de 30 millions de dollars, payés par Ranger Oil.
Nick van den Bergh enfin, il est le chief executive officer actuel d’Executive Outcomes : cet ancien parachutiste des SADF est désormais   à la tête de la première armée privée du monde.
  2. Executive Outcomes
  Executive Outcomes représente une forme inédite du mercenariat moderne. Ses capacités d’action sont considérables et très diversifiées. La firme peut agir dans le conseil, la formation, le soutien armé, la protection, la construction civile, le déminage, le transport, l’action médicale, etc.
  (1) La puissance d’EO et ses avantages
  (a) La capacité d’action géographique et matérielle
  Executive Outcomes a mené des opérations sur l’ensemble du globe. Même si ses activités principales sont en Afrique, la firme est aussi intervenue en Papouasie Nouvelle-Guinée, en Indonésie et vraisemblablement dans un pays du Golfe. La liste des matériels qu’elle peut déployer est aussi impressionnante.
Sur le plan logistique, Executive Outcomes est à la recherche d’une base de cantonnement, sorte d’île de la Tortue, qui pourrait faire office de repaire/tremplin pour les opérations extérieures de la firme. Tout mercenaire qui se respecte et qui entend développer ses activités dans une région a besoin d’un point central logistique. Bob Denard croyait l’avoir trouvé avec l’archipel des Comores où il était bien implanté mais cela n’a pas pu aboutir. Le retrait des militaires français de leurs bases en République Centrafricaine a laissé pensé aux observateurs du pays qu’Executive Outcomes chercherait à négocier leur rachat ou la possibilité de leur utilisation avec le président Ange Félix Patassé.
 (b) Le poids du réseau financier
  Barlow utilise les connaissances acquises au CCB pour créer un réseau de sociétés écrans équivalent à ceux qui permettaient de déjouer les embargos contre l’Afrique du Sud. Le schéma d’organisation d’Executive Outcomes est ainsi un chef d’œuvre de complexité avec des filiales officielles et officieuses " à la fois hydre, méduse et araignée défiant la sagacité de la communauté du renseignement et des journalistes. Les raisons sociales changent sans cesse, les participations se croisent et se décroisent, des entreprises naissent et meurent en un rien de temps (…) Du coup, la vision qu’on peut donner du réseau depuis l’extérieur devient forcément rapidement obsolète. "
Autant que les informations ouvertes et " grises " permettent de le dire, la structure de la firme est en fait bicéphale : d’une part un ensemble de sociétés spécialisées et fonctionnelles en Afrique, qui agissent sur place, et d’autre part, un réseau financier complexe de sociétés d’extraction basées dans des paradis fiscaux (Bahamas, Ile de Man, etc.), en Grande Bretagne et au Canada.
  (i) Executive Outcomes et ses filiales en Afrique
  Le holding qui chapeaute l’ensemble des activités africaines d’Executive Outcomes s’appelle Strategic Resources Corporation (SRC), enregistré à Lynnwood près de Pretoria. Si l’on en croit des documents financiers de mars 1995, SRC englobait plusieurs sociétés africaines dont Saracen International (compagnie de protection des membres et des intérêts d’Executive Outcomes), Falconer Systems qui est supposée fournir un soutien logistique aux " organisations affiliées aux Nations unies " et enfin Bridge International spécialisée dans la construction et le génie civil. Le 25 octobre 1996, le rapporteur spécial Bernales a rencontré Eeben Barlow, président d’Executive Outcomes, et Nico Palm, directeur financier de la firme, dans le cadre de sa visite en Afrique du Sud. Barlow s’étend alors sur les activités des filiales du holding Strategic Resources Corporation qui coiffe tout l’appareil d’Executive Outcomes :
Les autres firmes du holding fournissent des services diversifiés incluant le soutien médical et pharmaceutique, la construction d’hôpitaux et la mise en place de leurs équipements spécifiques, le génie civil, la purification de l’eau et le soutien en eau potable, le transport, etc. En ce qui concerne Executive Outcomes, l’ensemble de son support logistique est procuré par le pays dans lequel elle travaille. EO est aussi impliquée dans le développement et l’action humanitaire. "
L’ensemble forme un tout cohérent au sein duquel les tâches fonctionnelles des opérations sont distribuées aux différentes sociétés du groupe. Chaque compagnie possède un rôle précis et attitré dans la mise en œuvre des activités d’Executive Outcomes.
Mais le réseau SRC comporte aussi des filiales offshore implantées dans d’autres pays d’Afrique ainsi que des joint-ventures locales se formant au fur et à mesure du déroulement des contrats d’EO. Ainsi, après le retrait d’Executive Outcomes d’Angola, la présence de la firme change de structure et se matérialise désormais par le biais de " business units " formées de joint-ventures entre des sociétés du holding anglais de la firme (Ibis Air, Saracen International et Branch Energy) et des éléments   angolais privés ou publics. La technique est éprouvée et efficace : la firme agit au début pour protéger des intérêts privés dans un pays, le gouvernement fait ensuite appel à elle pour son propre compte par le biais d’un contrat de formation ; une fois achevé, la firme reste en place pour assurer la protection des compagnies d’extraction et la reconstruction des installations publiques. C’est une forme d’action civilo-militaire très développée qui intègre la gestion de sortie de crise aux côtés des activités sécuritaires proprement dites.
Ce schéma se retrouve dans plusieurs pays d’Afrique où Executive Outcomes est impliquée dans des opérations de déminage et de construction civile. En Ouganda et au Mozambique, la firme agit par l’intermédiaire de sa filiale spécialisée dans le déminage, Shibata Limited, mais également dans le développement d’un hôtel et la construction d’un hôpital (Lettre de l’Océan Indien n°749). Chaque filiale du holding SRC opérant de façon   autonome, elle peut développer des activités décentralisées en collaboration avec les gouvernements locaux. Au Kenya, un projet de modernisation de l’aviation est mené par Ibis Air et une compagnie appartenant au fils du président Moi ; Sanjvivan Ruprah, membre du parti socialiste de Moi, est à cet égard président de la filiale de Branch Energy au Kenya (Lettre de l’Océan Indien, n° 749).
  (ii)La connexion britannique et canadienne
  En réponse à une question du rapporteur spécial Bernales sur les activités d’Executive Outcomes en Sierra Leone, le représentant permanent du Royaume-Uni aux Nations unies, Nigel Williams s’étend sur la connexion britannique de la firme : " EO a son siège anglais à Alton, Hampshire. Branch Energy, une compagnie affiliée à EO, a été contractée pour travailler dans les mines de diamants de Koidu. Les autres compagnies affiliées à Executive Outcomes sont Heritage Oil & Gas, GJW Government Relations, Capricorn Air et Ibis Airline. " En fait, Capricorn Air est l’ancienne dénomination d’Ibis Airlines, la compagnie de transport (matériels et personnels) d’EO qui possède 3 Boeing 727 achetés à American Airlines, 2 King Air, 2 Lear Jet, 2 hélicoptères Mi-17 et 2 hélicoptères d’attaque " Hind " Mi-24.
Un rapport confidentiel des services de renseignements anglais cité par Khareen Pech et David Beresford confirme en effet que " Executive Outcomes a été enregistrée au Royaume-Uni en septembre 1993 par Anthony Buckingham, un homme d’affaires anglais, et Simon Mann, un ancien officier britannique… " Les journalistes s’intéressent ensuite plus précisément à ces deux hommes. Ils établissent que Buckingham est un vétéran SAS et un ami intime lié financièrement au leader du parti libéral anglais, Sir David Steel. Il possède en outre une firme aux activités pétrolières en Angola, Heritage Oil & Gas dont le siège est aux   Bahamas, en collaboration financière avec la compagnie canadienne Ranger Oil. Simon Mann est aussi un ancien SAS du 22ème régiment de renseignement qui a opéré à Chypre, en Amérique Centrale, en Arabie Saoudite et au Nigeria. Le troisième homme étant Andrew Gifford, membre dirigeant d’Heritage Oil & Gas ainsi que fondateur et managing director actuel de GJW Government Relations Limited.
Les activités anglaises d’Executive Outcomes et de sa nébuleuse trouvent leur origine avec le holding Plaza 107 qui regroupait en septembre 1994 : Executive Outcomes Limited, Ibis Air International, Heritage Oil & Gas, Branch International Limited, Branch Mining Limited et Capricorn Systems Limited. Toutes ces compagnies étaient liées par leurs actionnaires-directeurs, Buckingham et Mann.
  (c) Le lien avec Sandline International
  Il semble que le lien entre Executive Outcomes et Sandline International passe principalement par DiamondWorks et 

                                                            

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